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Fonctionnaires : sujet·tes ou citoyen·nes ?

Petit lexique divergent sur l’organisation des établissements scolaires. Neo-management vs collectifs de travail autogestionnaires.


Neo-management des établissements scolairesCollectif de travail démocratique, égalitaire et autogestionnaire
Fonctionnaire– Être fonctionnaire, c’est obéir aux injonctions, administratives comme politiques.
– Un « devoir de réserve » brandi comme « devoir de silence ».
– Vers la flexibilité (voire la disparition) du statut de fonctionnaire et des garanties qu’ils offrent aux agent·es, avec l’augmentation du recrutement de précaires.
– Une culpabilisation des fonctionnaires comme « privilégié·es ».
– Être fonctionnaire, c’est construire un service public accessible et égalitaire, détaché des changements politiques.
– Être attentifs·ives aux besoins collectifs des usagèr·es, davantage qu’aux injonctions idéologiques et bureaucratiques et aux mots d’ordre budgétaires.
– Une école publique digne pour tou·tes les jeunes, partout sur le territoire.
– Revendiquer, défendre et améliorer un statut et des droits.

Qu’est-ce qu’un·e fonctionnaire ?

Ce sont des agent·es de la fonction publique d’État, territoriale ou hospitalière, avec un statut général commun, auquel s’ajoutent des spécificités de branches.

Dans les textes, par leurs statuts, les fonctionnaires conservent leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et assurent ainsi la continuité des services publics, quels que soient les changement de gouvernement.

Fonctionnaires… Rares sont les statuts autour desquels se jouent autant de fantasmes et qui subissent autant d’attaques régulières : privilégié·es, protégé·es par un emploi à vie, bénéficiant d’un niveau de vie supérieur, tout le temps en vacances, fainéant·es, responsables de la dette publique parce que trop nombreux·euses et trop payé·es ; devant rendre des comptes à tou·tes car « c’est avec nos impôts qu’on les paie ! », etc.. La haine des fonctionnaires, et dans notre cas, le #profbashing (qui vaut pour tous les personnels de l’éduc) sont attisés par bien des représentant·es politiques et médiatiques.

Mais qui donc (se) rappelle les raisons d’être des fonctionnaires et, par là, des services publics ?

Les services publics sont là pour garantir un accès égal sur tout le territoire aux soins, à l’éducation, à la justice, à l’information, à la protection civile, à l’énergie, aux transports, à l’eau, etc., autant de domaines considérés comme des biens publics, et à préserver comme tels.

Les agent·es sont au service de l’intérêt général (et non des intérêts particuliers patronaux, comme c’est le cas dans le privé). Ils et elles sont là pour répondre aux besoins de la population dans son ensemble, où qu’elle soit et d’où qu’elle vienne.

Attaquer les services publics, chercher à en diminuer le champ d’action, c’est donc attaquer cette accessibilité et cette égalité.

Dans les établissements scolaires, le mot « fonctionnaire » est rarement utilisé pour nous désigner en tant que travailleuses et travailleurs au service de l’intérêt général, ayant pour mission de garantir un même accès à l’éducation pour tou·tes.

Lorsqu’il y est fait référence, c’est souvent par la hiérarchie, et dans une volonté managériale de rappel à l’ordre et/ou avec une idéologie politique très marquée, qui porte toutes les marques des préjugés cités plus haut.

De l’art de neo-manager des fonctionnaires…

Lorsque les chef·fes d’établissement (et autres échelons de la hiérarchie) renvoient les personnels à leur statut de fonctionnaire – oubliant par ailleurs que de plus en plus ne le sont pas ! – c’est souvent dans un contexte de confrontation et de tension :

« Je vous rappelle que vous êtes fonctionnaires ! » résonne alors comme un rappel au devoir d’obéissance, que d’aucun·e voudrait devoir de soumission, de non-contestation, de silence, surtout lorsque l’argumentaire est épuisé, ou inexistant ! Un argument d’autorité creux, utilisé pour nous mettre au pas.

« Vous êtes fonctionnaires, vous devez fonctionner », a-t-on entendu en salle des personnels. « Fonctionner », c’est-à-dire exécuter des ordres, mécaniquement ; se plier aux injonctions, sans les penser, sans même les comprendre parfois.

On se rappellera que, dans les années 1950, Michel Debré affirmait déjà ceci : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait ».

Être fonctionnaires dans ce sens, c’est effectivement ce que sont et font les hiérarchies : transmettre et exécuter les consignes, même les plus absurdes ; participer sans la remettre en question à la politique du gouvernement (celle qui trie, qui accentue les inégalités, qui discrimine, cette politique qui n’est jamais fonction de l’intérêt général) ; ne jamais contester, ne jamais s’exprimer publiquement même quand le ministère maltraite personnels, élèves et familles par sa gestion ahurissante de la crise sanitaire, même quand des élèves sont menacé·es d’expulsion. L’éthique professionnelle et la mise au service de l’intérêt commun disparaissent au profit d’une subordination inconditionnelle aux intérêts particuliers des politiques.

On voit ici que, pour les personnels hiérarchiques, être obéissant·es à l’institution passe bien avant la construction d’un service public de qualité pour toutes et pour tous, et bien avant la bienveillance vis-à-vis de l’équipe de l’établissement.

Certain·es che·fes d’établissement – ainsi que des organisations syndicales d’accompagnement – se réjouissent d’ailleurs dès que le projet de recrutement des agent·es par les personnels de direction est reposé sur la table du ministère : faire passer des entretiens aux personnels, en ayant le pouvoir de mettre fin à leurs missions, voire à leur contrat, avec toutes les formes de pression que cela autorise (nous le voyons avec les AED et AESH ainsi maltraité·es) ; faire disparaître le statut de fonctionnaire et la stabilité de l’emploi, afin que l’angoisse liée à la précarité se généralise et impose la docilité aux personnels ; faire ainsi jouer la concurrence entre les professionnel·les qui, dans le souci de conserver leur emploi, rivaliseraient de projets, d’heures supplémentaires – parfois bénévolement -, de missions diverses, quitte à y perdre la santé.

Tel est le tableau du service public d’éducation qui se dessine, régressant vers une contractualisation et une privatisation de plus en plus accrues des différentes missions dévolues à l’Éducation nationale (comme l’orientation, ou encore la formation des enseignant·es avec Teach for France dans le 93, dont les collègues ressortent au bout de 5 semaines, prêt·es à enseigner, dit-on).

Avec le recours exponentiel aux contractuel·es et autres collègues précaires, il est même des situations où le statut de fonctionnaire est perçu comme un privilège quasi indécent par les personnels eux/elles-mêmes, qui intériorisent ainsi ces préjugés et cette culpabilité que les politiques de destruction des services publics véhiculent.

Ainsi, lorsque nous nous retrouvons face à des collègues dont le service privatisé (tel la restauration et l’entretien dans les collèges des Yvelines) ou lorsqu’un·e AESH rappelle la réalité brutale de ses conditions de travail (CDIsable après 6 longues années, avec un salaire de misère et une considération inexistante de la part des hiérarchies), il n’est pas rare d’entendre, ou de nous dire en nous-mêmes : « Nous au moins, on a un salaire garanti à vie ; on n’a pas à s’inquiéter pour notre travail ; on nous laisse tranquilles ; on a de la chance, finalement » : comme si c’était cette situation de stabilité de l’emploi qui était anormale, voire scandaleuse…

Alors que le scandale, c’est au contraire le statut précaire des travailleurs et des travailleuses, dans l’éducation comme en-dehors ; le scandale, ce sont les contrats reconduits de semaine en semaine – voire de jour en jour –, les salaires inférieurs au seuil de pauvreté ou les ruptures de contrat abusives que s’autorise l’administration ! Remonter à la source des problèmes permet bien souvent de surmonter les récriminations que l’on peut avoir les un·es envers les autres et de nous rappeler que ce sont les politiques d’emploi et les décisions patronales qui sont responsables des maux des salarié·es, de nous rappeler que c’est bien pour la défense des services publics et de la titularisation de tou·tes dans le corps des fonctionnaires que nous devons nous lever.

En guise de transition, quelques questionnements…

Dans une société autogestionnaire, les fonctionnaires existent-ils ?

Lorsqu’il s’agit de prôner l’auto-organisation des travailleuses et des travailleurs, à partir des préoccupations du terrain de chaque espace social et professionnel, on peut légitimement questionner la place, voire l’existence de l’État et par là des fonctionnaires.

Quel rôle pour l’État, si ce sont les travailleuses et les travailleurs qui débattent et décident, se donnent des orientations ?

L’État, aujourd’hui contrôlé par la classe bourgeoise et par les intérêts capitalistes, doit-il être redéfini ? Ne doit-il pas, même, disparaître ?

N’y aurait-il pas d’autres institutions à imaginer ?

Ces questions sont fondamentales et passionnantes, mais elles dépassent largement le cadre de ce « Petit lexique divergent ».

Conservons donc, pour l’heure, les statuts actuels de fonctionnaires…

Des fonctionnaires au service d’une école publique égalitaire

Le mot « fonctionnaire » est à prendre ici au sens fort, celui d’agent·e de la fonction publique au service de l’ensemble de la population, sans distinction d’aucune sorte.

C’est en effet davantage cette périphrase – que l’usage du mot « fonctionnaire » – que nous retrouvons dans la bouche ou sous la plume des personnels de l’éducation qui se battent pour la défense de leurs métiers, car elle met en valeur un rôle dans la société, ce que ne dit pas – ou plus – le mot « fonctionnaire », sans doute trop connoté désormais pour que les personnels osent s’en emparer et le revendiquer.

Dans bien des situations, être fonctionnaires, c’est-à-dire au service de l’intérêt général, demande à s’extraire et à lutter contre les pratiques managériales qui ne recherchent que l’obéissance aux injonctions ministérielles budgétaires et déshumanisantes.

Être fonctionnaires alors, c’est d’abord chercher à construire un service public de qualité, pour tou·tes et sur l’ensemble du territoire, contre les préoccupations économiques et bureaucratiques des hiérarchies et des politiques.

Sortir de la résignation et du consentement passif pour réagir, critiquer, résister, désobéir, collectivement, apparaît comme indispensable pour lutter contre la dépossession de nos métiers, mais aussi pour la survie d’une école publique au service des besoins collectifs.

C’est par exemple dénoncer l’abandon de la Guyane ou de la Seine-Saint-Denis où, par rapport au reste du territoire, le manque de profs fait perdre des centaines de journées de cours aux élèves sur l’ensemble de leur scolarité, dans des locaux à l’état lamentable.

C’est s’opposer aux fermetures de classes qui conduisent à l’augmentation incessante des effectifs, rendant difficile, si ce n’est impossible, un accompagnement de qualité et conduisant à un épuisement des personnels.

C’est dénoncer l’emprise des entreprises sur l’école, avec leurs stages démultipliés (y compris pour les personnels!), leurs valeurs d’entreprenariat, de concurrence et de compétition à tout va, leur mécénat malsain. Parfois même leur tentative de recruter, dès le collège ou le lycée !

C’est également défendre le même accès à l’école et le droit à la scolarisation pour tou·tes les jeunes, d’où qu’ils/elles viennent, quel·le que soit leur origine ou leur parcours de vie (le droit des Rroms, des Sans-papièr·es, des enfants en situation de handicap), et faire en sorte, une fois dans l’école, que les réflexes de rejet et de discrimination qui existent soient mis en lumière et combattus dans et par l’école, afin d’espérer contribuer à une transformation de la société.

Car, être fonctionnaires, c’est aussi se mettre au service non pas seulement des savoirs et de leur transmission, mais des élèves et de leurs familles, celles et ceux à qui doit bénéficier l’enseignement. C’est rechercher une relation d’échanges et de confiance avec elles/eux afin que l’école s’adapte à leurs besoins et les accompagne au mieux dans leur parcours scolaire, dans un partenariat loin du clientélisme ou du consumérisme.

Pour cela, les réunions de travail entre pair·es, mais aussi avec les élèves et les familles, serviraient à affiner les parcours, à repenser les démarches pédagogiques et éducatives, à imaginer des projets collectifs de classe et d’établissement à même de répondre aux besoins locaux, aux spécificités individuelles, tout en garantissant le respect d’un cadre commun d’éducation.

Enfin, être fonctionnaires, c’est défendre des missions, mais aussi un statut : celui qui protège les agent·es – et ici l’école – des influences des politiques qui vont et qui viennent. Un statut qui garantit ainsi la continuité du service public dans le temps et sur le territoire.

Là encore, il s’agit de dénoncer et de s’opposer à toutes les dégradations des conditions de travail et de recrutement, de gagner des droits pour les précaires en réclamant la titularisation de tou·tes les personnels et leur intégration au corps des fonctionnaires, avec un salaire digne, afin que cessent les divisions entre les personnels, du fait de statuts, de salaires, de contrats et de traitements différents.

Car, contre les accusations de corporatisme que certain·es agitent comme une insulte, à la manière des réacs fustigeant l’égalitarisme, il importe d’assumer pleinement la défense de notre statut et de réclamer que tous les moyens soient déployés pour garantir la pérennité du corps des fonctionnaires, condition indispensable à la pérennité d’un service public d’éducation à la hauteur de la jeunesse.

En forme de conclusion : un devoir de réserve pour les fonctionnaires ?

Un article sur le mot « fonctionnaire » ne peut pas se terminer sans évoquer ce mythe du devoir de réserve des fonctionnaires, devenu dans la bouche des hiérarchies un devoir de silence.

Un mythe dont certain·es se servent pour effrayer les personnels, dans le but de les faire taire, n’hésitant pas à passer de la menace aux sanctions s’ils s’expriment publiquement pour dénoncer les méfaits des décisions hiérarchiques (de celles des chef·fes à celles du ministère). Que les sanctions soient ensuite annulées par le tribunal administratif importe peu, puisque la dissuasion a fait son effet (voir l’affaire des 4 de Melle).

Un mythe que d’autres brandissent comme prétexte à leur absence de mobilisation quand il s’agit de défendre l’école publique, parce qu’il peut être plus confortable de se conformer et d’obéir.

Pourtant, dans la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la liberté d’expression est garantie aux fonctionnaires (voir « Intox devoir de réserve » : https://www.sudeducation.org/le-devoir-de-reserve-intox/ ) et nul autre que le porteur de cette loi, Anicet Le Pors, pour cerner les enjeux de ce mythe et en réaffirmer l’irréalité : « En définitive, la question est plus politique que juridique et dépend de la réponse à la question simple : le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ? Dans notre construction sociale, est-il un sujet ou un citoyen ? Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait », c’était la conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen ». ( tribune parue dans Le Monde en 2008)

À cela, nous pourrions ajouter ces paroles de Primo Levi : « les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter » (Si c’est un homme, 1947)

Jacqueline Triguel, collectifs Questions de classe(s), Lettres vives et militante à Sud éducation 78

À venir, les premiers mots du « Petit lexique divergent sur l’organisation des établissements scolaires » : temps/rythme, autonomie, confiance, réunions, syndicat, obéir.

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