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La loi Rilhac est passée, « enfin » ?

La loi Rilhac, on en parle depuis un moment.

Quand une partie des directeurs et directrices y voyaient, avec espoir, la reconnaissance de leur charge de travail et la possibilité de bénéficier de décharges plus justes et réellement soulageantes, de nombreux personnels se sont mobilisés pour lutter contre une nouvelle forme de hiérarchie locale, dont les écoles du 1er degré étaient jusque là exemptes. À coté de cela, certain·es directrices et directeurs se réjouissaient de l’autorité que leur conférerait une telle loi.

Après la promulgation de la loi en décembre 2021, un décret important paraît le 14 août 2023 et confirme les craintes que nous avions :

Décret n° 2023-777 du 14 août 2023 relatif aux directeurs d’école – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Quelques passages choisis…

– L’autorité…

– Un lien de subordination exacerbé…

– Des profs des écoles directeurs et directrices aux Perdir (personnels de direction) : pauvres collègues…

– La hiérarchie dans le second degré ou pourquoi l’anti-hiérarchie ?

– Se défendre contre la hiérarchie : la centralité du collectif et de la syndicalisation

L’autorité…

Article 1 : il* a autorité sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire. […]

Il arrête, après avis du conseil des maîtres, le service des instituteurs et des professeurs des écoles. […]

Il veille à la diffusion des instructions et programmes officiels ainsi qu’au bon déroulement des enseignements.

*Le décret n’utilise que le masculin, ignorant sans doute que la majorité des personnels du 1er degré sont des femmes.

Les personnels de direction (appelons-les Perdir, comme dans le 2nd degré…) ont autorité sur les personnes présentes : laissons de côté le flou du terme « personnes » (les parents ? Les intervenantes extérieures? Les Atsem – Agent·es territorial·es spécialisé·es des écoles maternelles – dépendant de la municipalité ?).

Intéressons-nous à l’autorité sur les personnels de l’éducation, autrement dit les professeur·es des écoles (PE).

Avoir autorité, juste en nous appuyant sur ces extraits de l’article 1, ce serait donc :

– pouvoir imposer un niveau de classe et un service (les Perdir ne sont pas obligé·es de suivre l’avis de l’équipe, comme cela peut déjà arriver dans le second degré)

– exiger des PE – fonctionnaires l’obéissance

– scruter les pratiques pédagogiques et veiller à la bonne application des méthodes et directives ministérielles, quelle qu’elles soient (devons-nous voir ici une brèche dans notre liberté pédagogique?).

Autorité : manager, organiser, réglementer ? Faire respecter la loi et les consignes ministérielles ? Se faire respecter ? Se faire obéir ? Contrôler, surveiller, dénoncer ? Menacer, réprimer, sanctionner ?

Quels seront les recours des personnels du 1er degré face à l’autorité des Perdir ?

En réalité, la notion d’autorité est bien subjective. On l’a vu dans les récents débats suite à la mémorable première intervention du ministre Attal promettant de « remettre le respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’École »…

Un petit conseil d’emblée : en cas de convocation par votre supérieur·e, n’y allez jamais seul·e ! Demandez le motif par écrit et faites-vous accompagner par un·e représentant·e syndical·e ou par un·e collègue.

Une petite question dans la foulée : le directeur/la directrice semble devenir chef·fe de service. Sera-t-il/elle garant·e, devant la loi comme les personnels de direction dans le 2nd degré, de la sécurité des personnels ? Car cela engage à d’autres types de responsabilités…

Peut-être un petit indice dans l’article 1 : il prend toutes dispositions, en liaison avec les autorités administratives compétentes, pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l’hygiène et la salubrité de l’école sur le temps scolaire.

Un autre questionnement : dans la logique du second degré, doit-on s’attendre à un décret sur les rdv de carrière, donnant le même pouvoir d’évaluation aux directrices et directeur dans le 1er degré ?

Maintenant, regardons les articles du même décret qui définissent qui peut être nommé Perdir et de quelle manière…

Décret n° 2023-777 du 14 août 2023 relatif aux directeurs d’école – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Un lien de subordination exacerbé…

Article 5 Nul ne peut être nommé dans l’emploi de directeur d’école s’il n’a été inscrit sur une liste d’aptitude prévue à l’article 6, sous réserve des dispositions de l’article 11.

Article 6 Il est établi chaque année par département une liste d’aptitude à l’emploi de directeur d’école. L’inscription sur une liste d’aptitude départementale demeure valable durant trois années scolaires.
Cette liste d’aptitude est arrêtée par le directeur académique des services de l’éducation nationale.

Article 8 Pour être inscrits sur la liste d’aptitude, les instituteurs et les professeurs des écoles qui n’ont pas déjà bénéficié d’une formation au titre de l’exercice des fonctions de directeur d’école doivent avoir suivi une formation de préparation à la fonction de directeur d’école.

Tout directeur d’école nouvellement nommé suit une formation au plus tard six mois après sa prise de fonction.

Article 9 Les candidatures aux emplois de directeur d’école sont adressées au directeur académique des services de l’éducation nationale dont relèvent les instituteurs et professeurs des écoles.

Elles font l’objet d’un avis motivé de l’inspecteur de l’éducation nationale de la circonscription.
Lorsqu’un instituteur ou un professeur des écoles candidat à l’emploi de directeur d’école n’est pas en fonctions dans une école, sa candidature fait l’objet d’un avis motivé de l’autorité administrative auprès de laquelle il est placé.

L’avis est communiqué à l’agent à sa demande.

Article 10 : Les candidatures aux emplois de directeur d’école sont soumises à l’avis d’une commission départementale présidée par le directeur académique des services de l’éducation nationale ou son représentant et comportant un inspecteur de l’éducation nationale ainsi qu’un directeur d’école justifiant d’une expérience professionnelle suffisante en cette qualité. […] La commission formule ses avis après examen des dossiers et un entretien avec chacun des candidats.

Article 12 Les instituteurs et professeurs des écoles nommés dans l’emploi de directeur d’école peuvent se voir retirer cet emploi par le directeur académique des services de l’éducation nationale dans l’intérêt du service.

Article 14 Les directeurs d’école sont évalués au plus tard après trois ans d’exercice dans leurs fonctions puis au moins une fois tous les cinq ans. L’évaluation est conduite par l’inspecteur de l’éducation nationale de la circonscription dont ils dépendent. Elle donne lieu à un entretien portant sur la mission spécifique de directeur d’école et sur ses conditions d’exercice. Cet entretien fait l’objet d’un compte rendu écrit.

Des managers au service du ministère… Liste d’aptitude validée par la hiérarchie ; avis motivé de l’autorité (encore elle!) administrative ; formations de Perdir obligatoires ; dossier et entretiens devant une commission pour devenir Perdir ; entretien d’évaluation* tous les trois ans ; possibilité de se voir retirer le poste « dans l’intérêt du service » (quand on voit comment cette expression est utilisée dans la répression des profs, on peut se poser des questions…).

On le voit : les directrices et directeurs ont vocation à être formaté·es dans/à l’esprit managériale de l’évaluation, de la performance et des objectifs à atteindre. Leur nomination et leur évaluation sont totalement soumises aux consignes et au bon vouloir de la Direction académique, elle-même totalement tributaire et exécutante zélée des consignes ministérielles. Adieu donc, la priorité du terrain et de l’équipe !

Pour précision : dans le 2nd degré, les chef·fes arrivant sur un nouvel établissement ont une lettre de mission triennale avec des objectifs à atteindre, y compris dans le domaine des « ressources humaines à gérer » et leur évaluation est passée en 2022 de tous les 3 ans à tous les ans ! A bon entendeur…

Des profs des écoles directeurs et directrices aux Perdir (personnels de direction) : pauvres collègues…

On comprend que certain·es directrices et directeurs qui revendiquent, assument et pratiquent déjà des formes de management dans « leur » école se réjouissent de la publication de ce décret. Ceux/celles-là passent définitivement dans le camp de la hiérarchie directe, avec tout le rapport de force qu’implique ce lien de subordination. Et, en somme, nous n’avons plus à les considérer comme des collègues (c’est-à-dire des pair·es, à égalité avec tou·tes).

Mais on compatit surtout avec nos collègues prof des écoles/directeurs·rices déjà en poste, qui se retrouvent malgré elles/eux devant cette « autorité » à exercer et on leur apporte tout notre soutien pour faire face aussi, en espérant qu’ils/elles ne tomberont pas dans le piège de l’autoritarisme.

Mais, vu le flicage à venir de leurs missions, cela s’annonce difficile : il faudra ou bien renoncer, ou bien se conformer…

La hiérarchie dans le second degré ou pourquoi l’anti-hiérarchie ?

Aux collègues qui se questionnent sur le poids de la hiérarchie au quotidien, voici une sélection d’articles qui en explicitent le fonctionnement dans le 2nd degré

(Dans l’attente de la publication à venir d’un livre qui analyse les modes de management dans le second degré et qui proposera, à partir de l’existant et dans la perspective d’un avenir plus égalitaire et démocratique, des modes de résistances ! ;-)).

Loi Rilhac et hiérarchie dans les écoles : résistons ! L’exemple de la hiérarchie dans le second degré (questionsdeclasses.org)

Petit lexique divergent sur l’organisation des établissements scolaires. Neo-management vs collectifs de travail autogestionnaires. (questionsdeclasses.org)

“Temps” – Petit lexique divergent sur l’organisation des établissements scolaires. (questionsdeclasses.org)

Démocratie vs Démocratie – petit lexique divergent (questionsdeclasses.org)

Fonctionnaires : sujet·tes ou citoyen·nes ? (questionsdeclasses.org)

Souffrance d’être collègues (questionsdeclasses.org)

Quand la violence institutionnelle s’exerce sous nos yeux, que faisons-nous ? (questionsdeclasses.org)

Quand les chef·fes vendent des briques, ce sont les fondations des équipes et du service public qui se creusent (questionsdeclasses.org)

Se défendre contre la hiérarchie : la centralité du collectif et de la syndicalisation

Pour finir, un rappel : une majorité des chef·fes d’établissement sont syndiqué·es (regardez donc l’opportunisme de ce Syndicat de directeurs et directrices d’école qui s’est monté au moment de la loi Rilhac…). Les chef·fes forment un véritable corps qui se soutient et qui applique consciencieusement les directives ministérielles, quand bien même elles portent atteintes à la qualité de l’enseignement et aux conditions de travail et d’études.

Seul le collectif nous protège et nous apporte les ressources nécessaires pour ne pas nous laisser prendre au piège du management, quelle que soit sa forme.

Alors, un conseil pour faire face et ne pas être isolé·e : syndiquez-vous (si possible dans une organisation de lutte qui ne syndique pas les chef·fes ! SUD éducation et la CNT, avec certitude. CGT éduc, je sais pas ?)

Parce que, oui, on ne le répétera jamais assez : la hiérarchie, on n’en veut pas ! Pas de chef·fes, tou·tes collègues !

Jacqueline Triguel, SUD éducation 78 et collectif Questions de classe(s)

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