Le mois de juin a été celui du Pacte dans l’esprit de beaucoup.
Pour les organisations syndicales, il fallait faire barrage au ministère pour que ce projet ne passe pas, et à raison : il importait (et il importe toujours!) de réclamer des augmentations conséquentes et pérennes pour tou·tes, au lieu de primes et de tâches supplémentaires !
Pour les militant·es dans les établissements, il fallait expliquer, argumenter, démontrer la dangerosité de ces propositions : inégalités de traitement, travail supplémentaire, asservissement aux lettres de missions données par les chef·fes, annualisation du temps de travail, etc.
Pour beaucoup de collègues, après des années de gel du point d’indice et des mois d’une inflation effrénée, la tentation était grande devant ce qui était présenté comme une manne financière.
Et de fait, certain·es Perdir (personnels de direction) n’y sont pas allé·es de main morte pour inciter les personnels à s’engager dans ces briques, alors même que toutes les organisations syndicales, y compris celles comportant des chef·fes d’établissement, avaient dénoncé la perversité de ce Pacte. Alors même que les textes officiels n’étaient pas parus. Mais il fallait faire remonter les chiffres à sa hiérarchie pour que le ministère ait une idée de la réception de son Pacte. Alors, il fallait se montrer bon·ne élève, mériter sa propre prime pour l’organisation du Pacte – 1000 euros – et pousser les équipes à « travailler plus pour gagner plus », selon le bon mot sarkozyste.
Ainsi, il y a eu des Perdir qui ont choisi d’insister sur l’argent, et rien que l’argent, tirant bassement profit du fait que les personnels de l’éducation souffrent d’un véritable déclassement salarial, accentué par les bonds de l’inflation : « vous serez payé·es plus à faire la même chose qu’avant, avec Devoirs faits par exemple » ; « vous gagnerez presque deux fois plus et si ça ne vous va pas, vous ne signez plus l’année suivante ».
Il y a eu celles et ceux qui ont su louvoyer et appâter : « vous serez payé·es pour ce que vous faites déjà » ; « votre lettre de mission, c’est vous qui la ferez vous-même, comme ça vous serez tranquille » ; « ne vous inquiétez pas, ce sera souple ».
Il y a eu les Perdir qui mentaient éhontément en assurant que les collègues ne seraient forcé·es à rien en signant un Pacte.
Il y a eu celles et ceux qui n’ont pas eu froid aux yeux et ont grondé, tempêté, menacé de réquisitionner les personnels pour que toutes les briques du Pacte soient prises.
Dans tous les cas, jamais il n’a été question de pédagogie, de souci des élèves, de projets collectifs, de préservation des conditions de travail. Il ne s’agissait que d’individualiser les primes et les carrières, de flatter l’égo(ïsme) des personnels en leur proposant telle ou telle brique correspondant à leurs grandes compétences, de proposer et de faire signer des Pactes dans la confidentialité ; parfois sans même exposer les différentes priorités de l’établissement en conseil pédagogique.
Certaines fois, la vigilance des collègues, associée à celle des syndicats, a suffi pour que le Pacte ne soit pas un succès. D’autres fois, le chant des sirènes a eu raison des équipes, pour le plus grand effarement des quelques résistant·es.
Dans quelques établissements encore, on a vu des Perdir qui, en fin d’année, ont seulement fait allusion au Pacte et ne s’en sont pas fait les VRP*.
Il n’empêche qu’un certain nombre de chef·fes d’établissement portent une grande responsabilité et devront rendre des comptes. Non pas à leur hiérarchie pour le suivi des Pactes, comme cela est prévu dans les textes aujourd’hui parus, mais aux équipes, à leur famille, aux professionnel·les de la santé, face à la charge de travail supplémentaire qu’ils et elles ont fortement incité les collègues à prendre, face à l’épuisement professionnel qui s’annonce plus important encore, face aux divisions dans les équipes, face à la destruction de nos statuts et, par là, à la dégradation du service public d’enseignement. La souffrance au travail, déjà grandissante ces dernières années, va s’accentuer et avec elle les burn out, les maladies, les démissions.
D’aucun·es disent que les personnels de direction sont également mis sous pression et en souffrance. On peut le dire et on peut aussi l’entendre.
Mais comment faire preuve d’une quelconque empathie quand ces Perdir font du zèle pour vendre des Pactes, sachant pertinemment que cela entérine la transformation des métiers de l’éducation et la dégradation du service public et des conditions de travail ?
Aujourd’hui, nous avons un nouveau ministre de l’Éducation nationale, sans aucune expérience/expertise de l’école publique mais toujours dans la droite ligne du président Macron, dont la politique n’est que mépris des personnels et brutalité.
Il est à parier que la dégradation du service public d’éducation va se poursuivre, appelée d’ailleurs par la Cour des comptes et certain·es membres du gouvernement qui voudraient « tout désétatiser »… Il est à parier que les réformes proposées multiplieront de nouveau les atteintes aux statuts et aux missions des personnels de l’éducation.
Quand les AESH, les AED, les enseignant·es seront au rendez-vous, dans les mobilisations, comme ils et elles l’ont été systématiquement et ouvertement ces dernières années, que feront les chef·fes d’établissement ? Quel rôle voudront-elles/ils jouer dans la préservation – ou non – de notre bien commun ?
Jacqueline Triguel, SUD éducation 78 / Collectif Questions de classe(s)
*VRP : voyageur représentant et placier. Salarié·e commercial·e chargé·e de prospecter et de placer des produits.