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Marseillaise à l’école : changer les paroles, culbuter la nation

2016, « année de la Marseillaise » ? Si, déjà, cette initiative ubuesque, présentée avec fracas il y a quelques mois comme un remède au terrorisme, pouvait donner une nouvelle vigueur au débat, déjà ancien, sur les paroles de l’hymne national et surtout, remettre en cause sa finalité ultime.

Lorsqu’en 2005 un parlementaire, Jérôme Rivière, député UMP, fait intégrer l’enseignement de la Marseillaise à la nouvelle loi d’orientation sur l’école, l’écho médiatique qui accueille son initiative n’est guère en rapport avec l’indifférence manifestée sur le terrain. Et pour cause, à cette date, cela fait déjà vingt ans que la Marseillaise est inscrite dans les programmes scolaires (1985), comme elle le sera dans ceux de 1995, 2005, 2008 puis 2015, injonction administrative à répétition traversant les différentes majorités politiques. Aujourd’hui, c’est principalement à l’école élémentaire que revient la charge de cet apprentissage, dans le cadre des programmes d’éducation morale et civique (EMC) du cycle 2 (CP, CE 1, CE 2), rubrique « se sentir membre d’une collectivité », puis à nouveau dans le cycle 3 (CM 1, CM 2, 6e) et enfin, pour les élèves qui n’auraient pas tout compris, en cycle 4 (5e, 4e, 3e), dans l’inépuisable fourre-tout sur « les valeurs de la république ». Cette remarquable permanence de la Marseillaise dans le cursus éducatif des élèves, imposée sans débat ni concertation comme quelque chose qui irait de soi, mérite pourtant d’être interrogée à la fois dans sa finalité comme dans ses modalités d’appropriation par les élèves.

Une violence bien peu éducative

Sur ce second point, les critiques récurrentes adressées à l’hymne national portent sur la violence de ses paroles, combinée à des tournures de style et à une phraséologie datées, une rhétorique ambigüe, qui le rendent inintelligible pour des enfants de 6 – 7 ans : « contre nous de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé […], ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes, […] qu’un sang impur abreuve nos sillons etc ». Les instructions officielles adressées aux enseignants pour contourner la difficulté, non seulement ne font rien à l’affaire mais l’embrouillent encore davantage : d’abord, parce que replacer l’apprentissage de la Marseillaise dans le contexte de l’époque révolutionnaire, comme il est spécifié, ne correspond évidemment pas aux capacités cognitives d’élèves aussi jeunes, ensuite et surtout parce que, une fois cet obstacle éliminé, reste la contradiction fondamentale qui consiste à promouvoir une éducation à la citoyenneté qui s’appuierait sur la violence, la déshumanisation de l’autre vu comme un ennemi, la légitimité de la guerre, sur l’idée que, finalement, la fin justifie toujours les moyens. Peut-on prétendre faire grandir et éduquer en banalisant des mots, des conduites, des représentations aussi peu fondées moralement, en opposition avec toutes les valeurs que l’école encourage au fil des ans ?

De nouvelles paroles pour la Marseillaise : un bon début…

C’est dans cette perspective de cohérence entre les valeurs affichées pour les enfants des écoles et celles pratiquées par la société des adultes que peuvent se comprendre les propositions visant à « donner de nouvelles paroles à la Marseillaise », certaines déjà anciennes mais n’ayant pas réussi à percer, ou encore, cette dernière en date (février 2015), lancée sous forme de pétition et popularisée par la longue marche suivie l’automne dernier par son initiatrice, Evelaine Lochu, professeure des écoles, entre Saint-Malo et Marseille. Avec beaucoup de justesse, elle écrit : « [La Marseillaise] a été écrite dans un contexte révolutionnaire et les paroles qui faisaient sens autrefois ont aujourd’hui un tout autre écho aux oreilles de nos contemporains. Interrogeons-nous sur la portée de ces mots sur nos jeunes. Peuvent-ils entendre certaines paroles autrement que comme des incitations à la haine de l’autre et à la violence ? Le monde de demain se construit aujourd’hui, il est de notre responsabilité de citoyens de transmettre aux générations qui nous succèdent les valeurs auxquelles on croit. »

… mais pour quelle finalité ?

Mais ces valeurs, précisément, encore faudrait-il les définir autrement que par la sacralisation d’un hymne, une sorte de prière obligatoire aussi peu accessible aux enfants des écoles que l’était autrefois la prière en latin, aux fondements d’ailleurs tellement peu solides que le législateur s’est senti obligé de le protéger par la contrainte d’un impensable « délit d’outrage aux symboles nationaux », punissable de 6 mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. De son côté, le programme d’éducation civique de 2008 tient à préciser que « les élèves apprennent à connaître et à respecter les emblèmes et les symboles de la république », une formulation qui tient effectivement plus du religieux que de l’appel à la raison.

De fait, à l’école comme dans la société, la Marseillaise souffre d’une tare indélébile qui lui fait confondre deux registres inconciliables par nature : celui des croyances personnelles, d’ordre privé, sur lesquelles aucune instance politique ne devrait avoir autorité et celui des règles communes que tout individu vivant en société peut être amené à respecter. Alors que les secondes sont légitimes, le fait d’imposer par la contrainte, sans discussion, une sorte de dogme irrationnel – l’identité nationale – ne l’est plus. L’altruisme, la coopération, l’aide apportée aux plus faibles, le respect du travail des autres sont autant de valeurs, d’habitudes, dont la pratique régulière pendant toute la scolarité dispense d’avoir à recourir aux fétiches nationaux pour former des citoyens. Et plutôt que de se référer à une très hypothétique et très imaginaire « communauté de peuple », c’est à la construction d’une communauté d’élèves que doivent œuvrer les éducateurs, avec la garantie que cette dernière est potentiellement plus riche d’avenir que l’autre.

… pour quelle collectivité ?

Car fondamentalement, le débat sur les paroles de la Marseillaise serait inabouti, laisserait trop de choses en suspens, si la finalité ultime de cette dernière n’était pas interrogée : un hymne national restant par principe un hymne à la nation, il paraitrait curieux que celle-ci n’ait jamais de comptes à rendre, surtout dans le cadre de l’espace scolaire où, depuis le 19e siècle, elle s’est installée comme chez elle. Tous les thuriféraires de la Marseillaise obligatoire s’attachent comme à un dogme indéfectible à l’idée d’ « appartenance à une communauté nationale » (BOEN n° 30, 25 août 2005) à laquelle il faudrait « intégrer » les enfants. Mais sans jamais donner le moindre contenu aux notions d’intégration ou de communauté nationale. Pourtant, de même que la nation est une création récente dans l’histoire des hommes, le sentiment national n’a rien de naturel ou, comme l’écrit Anne-Marie Thiesse (1), « il n’est spontané que lorsqu’il a été parfaitement intériorisé ; il faut préalablement l’avoir enseigné. » Or, cet enseignement de l’histoire à l’école primaire reste jusqu’à nos jours marqué de manière indélébile par le cadre étroitement national dans lequel le maintiennent une grande paresse intellectuelle et de vives pressions politiques. Dans un ouvrage fondateur, Suzanne Citron (2) a très bien démonté ce « mythe national », élaboré à partir d’ « une mise en scène du passé imaginée [au 19e siècle] » visant à fabriquer une conscience nationale. L’historienne pose alors la bonne question : « Le discours frileux ou méchant de ceux qui voudraient nous convaincre que nous sommes menacés de « disparaître » sous la vague des nouvelles « invasions » ne débouche sur aucun futur mais il se réclame de stéréotypes que l’histoire républicaine a diffusés : origine gauloise, France éternelle […] nation supérieure à toute autre … » Autrement dit, intégrer, certes mais intégrer à quoi ?

De façon d’ailleurs très significative, le renforcement de la place des symboles nationaux à l’école, l’injonction patriotique qui cible cette dernière- tout spécialement depuis les attentats de janvier – la participation de plus en plus forcée des élèves à des cérémonies commémoratives où le guerrier l’emporte sur l’historien, autant de signes, visibles et inquiétants, qui accompagnent, dans toute la société – sans doute plus qu’à l’école – un incontestable délitement du lien social, une perte des repères collectifs, imputables, pour une bonne part, aux dérèglements d’un système économique et d’une organisation politique qui s’avèrent incapables de faire face à l’évolution du monde. Il est alors tellement plus facile de se rassurer en faisant chanter la Marseillaise aux enfants des écoles.

(1) Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales, Le Seuil, 2001, 307 pages

(2) Suzanne CITRON, Le mythe national, l’histoire de France en question, Les Editions ouvrières, EDI, Paris, 1987, 318 pages. Rééd. en poche, Le mythe national, l’histoire de France revisitée, Les Editions de l’Atelier, Paris, 2008, 351 pages.

La présente note de blog est tirée du dossier “Changeons les paroles de la Marseillaise”, paru dans le dernier numéro (178, mars 2016) d’Alternatives non-violentes

Voir aussi sur Histoire, école et Cie : “2016, année de la Marseillaise, année de toutes les escroqueries”

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