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La grève enseignante, en quête d’efficacité

Editions syllepse, 178 p., 8 euros.

L’ouvrage, publié sous la direction de Laurent Frajerman, avec l’assistance de Nada Chaar (membre du collectif d’animation de Questions de classe(s)), est issu d’un colloque scientifique et syndical organisé par l’Institut de recherche de la FSU et l’IRSHES1 qui a réuni des chercheurs et des syndicalistes.
L’avant-propos de Gérard Aschiéri et d’Alain Dalançon rappelle trois éléments de problématisation: a) la grève enseignante, c’est une grève qui ne fait pas perdre de l’argent à l’Etat, b) historiquement la grève ne fait pas partie de la culture des enseignants puisqu’elle est liée à la classe ouvrière, c) en tant que fonctionnaires, ils peuvent exercer depuis 1946 leur droit de grève, mais dans un cadre réglementaire contraint. Laurent Frajerman, dans son introduction, souligne un paradoxe: les enseignants sont présentés par les médias comme des « gréviculteurs » et pourtant les militants se plaignent souvent du manque de combattivité de leurs collègues. L’auteur rappelle également la tension qui existe entre le métier d’enseignant – individualiste et classe moyenne – et le fait de s’engager dans un mouvement social collectif de type syndical. Pourtant, il est vrai que les enseignants font plus grève que les autres salariés, y compris ceux du public. L’auteur parle ainsi de « surconflictualité enseignante ». Il propose une périodisation de la grève enseignante: a) 1918-1945: la phase d’acculturation; b) 1945-1968: la phase d’institutionnalisation; c) 1968-années 1980: phase de radicalisation; d) Des années 1980 à nos jours: phase de remise en cause partielle.
L’ouvrage se compose de quatre parties: 1) Faire la grève, une bonne idée ? 2) Retour sur des expériences grévistes 3) Les alternatives à la grève classique: une recherche typiquement enseignante ? 4) La grève, oui, mais combien de temps ?

1- Faire la grève, une bonne idée ?

Cette première partie débute par une introduction de Danielle Tartakowsky qui rappelle d’emblée que « le pouvoir de grève d’une branche n’est pas proportionnel à son taux de syndicalisation ».
Loic Le Bars, dans son article « Du rejet de la grève à son apprentissage par les syndicats de l’enseignement primaire (1905-1938), souligne comment initialement les militants syndicaux révolutionnaires dans l’enseignement étaient hésitants à recourir à la grève et pensaient ne pas avoir de rôle légitime à jouer dans la grève générale révolutionnaire: « la place des enfants n’est pas au milieu des mouvements ouvriers : ils constituent un danger pour les uns et pour les autres. Dans une période agitée comme celle-là, notre devoir impérieux serait d’être à notre poste pour garder les enfants ». Yves Vernueil revient également sur cette difficulté des enseignants à mettre en œuvre l’outil de la grève dans « La difficile appropriation de la grève par les professeurs de lycée (1919-1939 ». L’auteur met en valeur l’existence d’une tension qui perdure encore entre ceux qui mettent en avant la « liberté individuelle » et ceux qui insistent sur la nécessité d’une « action collective et disciplinée ».
Nada Chaar étudie quant à elle un groupe d’enseignants stagiaires durant l’année 2011-2012 dans leur rapport à la grève. Elle met en avant le fait que ces nouveaux enseignants, grévistes ou non grévistes, ont le point commun d’avoir intégré précocement « une culture syndicale et politique enseignante de gauche et une vision rénovée du métier ». Jean-Michel Devron, ancien secrétaire national FSU tendance École émancipée, s’intéresse pour sa part davantage aux dimensions stratégiques de l’action gréviste, en s’appuyant sur son expérience de militant, dans son article « Comment gagner ? De l’articulation entre le particulier et le général, de la capacité de « blocage » ». Il lui semble déceler quelques invariants pour qu’un mouvement réussisse qui sont: « blocage de l’économie, généralisation du mouvement, nécessité d’un secteur ou d’une force sociale capable de jouer le rôle « locomotive », articulation entre « grève reconductible » et temps forts ». Enfin, Quentin Lohou étudie « L’évolution de la réglementation du droit de grève des enseignants ». Il en tire la conclusion d’une grande instabilité de la réglementation du droit de grève en fonction des alternances politiques.


2- Retour sur des expériences grévistes

Louis Astre revient sur une grève tournante qui eu lieu en 1962. André Dellinger s’intéresse entre autre à l’usage de la grève de 24 heures dont il analyse quels sont selon lui les avantages contre ceux qui sont partisans de la grève reconductible. La table ronde qui est restituée dans cette deuxième partie de l’ouvrage revient d’ailleurs sur cette thématique: « La grève de 24 heures, souvent critiquée, toujours pratiquée ».

3- Les alternatives à la grève classique: une recherche typiquement enseignante ?

La troisième partie de l’ouvrage s’intéresse aux tentatives d’alternatives à la grève. La partie est introduite par René Mouriaux qui propose un abécédaire des différents types d’action utilisés dans le syndicalisme allant de l’action juridique à la vente directe. Alain Dalançon, dans sa contribution, revient sur l’expérience de la grève administrative de 1965. L’analyse de cette expérience est reprise également par Louis Astre. Bertrand Geay propose pour sa part une étude du mouvement des enseignants-chercheurs de 2009 : il met en valeur les facteurs qui ont rendu possible un mouvement d’ampleur ainsi que la diversité des techniques de lutte mises en œuvre par les acteurs. Alain Ponvert analyse l’expérience de la grève interprofessionnelle à laquelle ont participé les enseignants au Havre durant le mouvement contre la réforme des retraites de 2010. Enfin, Baptiste Giraud dans « La « journée d’action »: une pratique de mobilisation enseignante au regard des conflits du privé » met en valeur les différences entre les conditions de grève dans l’Éducation nationale et dans le secteur privé qui expliquent les formes de conflictualité différentes, en particulier sur le plan des conditions juridiques.

4- La grève, oui, combien de temps

Cette quatrième partie débute par une contribution de Robert Hirsch qui revient sur l’expérience de « La grève des instituteurs et institutrices de la seine de 1947 ». Bernard Boisseau s’intéresse quant à lui au « Mouvement des enseignants de Seine-Saint-Denis en 1998 ». Il introduit son article en présentant les spécificités historiques, sociales et militantes de ce département. Gérard Aschieri revient dans « La grève de 2003, leçons d’un traumatisme » sur cet important mouvement pour les enseignants alors qu’il était lui même Secrétaire général de la FSU, en proposant des justifications de la stratégie adoptée alors, en particulier par son organisation syndicale.
L’ouvrage se termine par une conclusion d’André Robert et une postface de Bernadette Groison, actuelle secrétaire générale de la FSU.

5- Remarques générales

L’ouvrage, du fait de son origine, est très centré sur la grève enseignante du point de vue de la FSU. Néanmoins, ce qui est intéressant, c’est que l’on voit poindre dans certaines pages les divergences qui traversent les tendances de la FSU sur les moyens d’action: grève de 24h ou grève reconductible ? grève corporative locale ou grève nationale considérée comme plus politique ? AG de lutte ou pilotage de la grève par les fédérations syndicales ? etc. Ces éléments permettent de nourrir une réflexion plus large sur le rôle et les modes d’action du syndicalisme enseignant.

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