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Covid-19 : repolitiser la crise

Dans la crise sanitaire et sociale liée au coronavirus que nous traversons, à première vue les flottements, l’impréparation, les contradictions dans la gestion de la pandémie donnent une impression d’incompétence des pouvoirs publics ; la pénurie, plus d’un mois après le début officiel de l’épidémie, de produits aussi faciles à fabriquer que des masques ou des solutions hydro-alcooliques semble traduire une incapacité du gouvernement à prendre des mesures efficaces.

Certain-e-s politicien-ne-s se sont engouffrés dans la brèche et ont fait de cette apparente incompétence l’axe essentiel de leurs attaques contre le gouvernement. Ainsi, François Asselineau et l’UPR, qui considèrent la crise actuelle comme due à « l’incompétence du gouvernement ». Ainsi Marine Le Pen, dénonçant dans Le Figaro du 28 mars les « incompétences » (sic) du gouvernement et ses « mensonges » destinés à les cacher. On retrouve ici la posture qui consiste à opposer « le peuple » à des « élites » corrompues ou incompétentes, posture dangereuse qui joue sur les émotions de la population et occulte délibérément la dimension politique de la crise et de son traitement.

Car à y regarder de plus près, le gouvernement, si ses membres ont pu commettre quelques couacs, n’est pas incompétent : il applique pour cette gestion de la crise son orientation néo-libérale autoritaire. Ni plus, ni moins. Et les réponses à apporter, les revendications que nous pouvons défendre ne peuvent pas être les mêmes que si on ne voit qu’incompétence dans sa politique.

Ainsi, dans le domaine de la santé, même si les hôpitaux sont débordés et ne peuvent accueillir que les cas les plus graves, et si en un seul mois après le début de l’épidémie 490 personnels de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ont été contaminés (on en est à 1600 actuellement), il ne s’agit pas pour le pouvoir de remettre en question la suppression de plus de 20 000 lits ces dernières années, ni la réduction ou la destruction des stocks de matériel (masques et autres) qui ont été décidées depuis 2007. Puisque cette politique fait que l’hôpital ne peut plus accueillir correctement tou-te-s les malades, on se fixe un autre objectif : que l’épidémie soit étalée sur une longue période pour que les malades n’arrivent pas tous ensemble, et pour cela il faut confiner la population. Edouard Philippe l’exprime clairement sur TF1 le 23 mars : « Nous ne voulons pas que l’augmentation soit rapide, c’est ce qui explique toutes les décisions que nous avons prises. »

Dans le domaine de l’éducation, on assiste au même phénomène : la politique scolaire de Blanquer -et d’autres avant lui- vise à développer un enseignement standardisé avec l’aide du numérique et sous l’égide des neurosciences, et à individualiser les parcours scolaires dans un service public réduit à la portion congrue. A l’arrivée de l’épidémie et après la fermeture des écoles, au lieu de laisser aux enseignant-e-s le temps d’organiser un lien avec leurs classes, Blanquer impose immédiatement une « continuité pédagogique » qui repose sur les mêmes principes : enseignement à distance via le numérique et insistance sur la nécessité de répondre de manière individualisée et personnalisée aux besoins des élèves. L’oxymore « Ma classe à la maison » occulte délibérément le caractère collectif d’une classe, et infuse l’idée que l’enseignement pourrait être fait par n’importe quel parent à partir du moment où il dispose de cours numérisés qu’il suffirait de « transmettre » et de recettes qu’il suffirait d’appliquer.
Lorsque la crise sanitaire sera passée, il sera plus facile de maintenir les mêmes orientations, chacun-e, enseignant-e, parent-e ou élève, ayant été accoutumé-e à respecter ces procédures numériques et individualisantes et à « se débrouiller » pour appliquer les consignes même les plus contraires aux habitudes pédagogiques ou aux statuts.
Et comme l’embrigadement national n’est jamais loin quand il s’agit d’éducation, après les drapeaux dans les classes et la Marseillaise obligatoire, la crise sanitaire fournit une nouvelle occasion : la « continuité pédagogique » organisée via l’audiovisuel public devient officiellement « la nation apprenante » …

Dans le domaine économique, le processus est peut-être encore plus visible. Avant la crise, la politique du gouvernement visait à déstructurer le code du travail et à réduire les acquis sociaux au bénéfice du grand patronat et des groupes financiers. Dès l’arrivée du Covid-19, les premières mesures prises le sont en faveur des entreprises, et s’il n’est évidemment pas question de laisser l’économie s’effondrer, les choix faits montrent la poursuite de la même politique destructrice de droits. La loi votée le 22 mars instaurant un « état d’urgence sanitaire » permet de prendre par ordonnances des mesures dérogatoires autorisant l’employeur à « déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical » ou à modifier unilatéralement les dates des jours de RTT ou de repos. Il est question de demander à des personnels déjà inquiets et surchargés de travailler jusqu’à 60 heures par semaine. Là encore, alors qu’un dévouement spontané se manifeste chez nombre de travailleurs et de travailleuses, il s’agit de faire entrer dans les mœurs, sans débat, l’idée que les conquêtes sociales doivent être effacées si le patronat le demande, avec une prime de 1000 euros pour faire passer la pilule.

Cela donne un aperçu de ce qui nous attend quand la crise sanitaire sera passée, et des réactions et revendications qu’il faudrait mettre en avant dès maintenant.

La première idée à avoir en tête est que le pouvoir n’a pas « mal » géré la crise, il l’a gérée conformément aux intérêts de la classe dominante, quitte à sacrifier un nombre important de travailleuses et travailleurs. C’est ce que Boris Johnson a explicitement dit au début, avant de noyer le poisson sous des mesures contradictoires devant le tollé soulevé. En France, le refus initial d’exclure de l’aide de l’état les entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires témoigne, sous une forme plus discrète, de la même démarche ; et la commande tardive de masques ou l’annonce d’un plan « massif » pour la santé (qui s’accompagne d’une modification des carrières dont on peut craindre le pire), s’ils répondent à l’émotion créée par la pandémie, ne remettent pas en cause la politique suivie précédemment. Et les annonces contradictoires ou les revirements des ministres ne relèvent pas de quelque incompétence, mais de la nécessité de tenir compte des réactions de l’opinion, surtout face à une situation évolutive et particulièrement anxiogène, pour faire passer leur politique sans trop de contestation.

C’est toute cette politique qu’il faut dénoncer et combattre, et non tomber dans le piège d’attribuer à « l‘incompétence » ou au cynisme de quelques dirigeant-e-s la crise actuelle. Que signifierait les remplacer par d’autres qui mèneraient la même politique avec plus de « compétence » encore, sinon une défaite encore plus cuisante ? Il faut sortir des approches technicistes (« ils sont incompétents ») ou morales (« ils sont hypocrites ») et repolitiser l’analyse de la situation et le sens de notre lutte.

La gestion de la crise du Covid-19 est fondamentalement la même que celle du travail (loi El Khomri), celle des retraites (réforme Delevoye-Philippe), celle de la Fonction publique (projet Dussopt) ou celle de l’éducation publique (réformes Blanquer-Vidal), qui ont toutes suivi l’orientation néo-libérale à l’œuvre depuis bien avant Macron : permettre, au nom de la « loi du marché » dans une économie mondialisée, aux riches d’accroitre leur fortune et leurs privilèges, et pour cela imposer la concurrence de tou-te-s contre tou-te-s et détruire les solidarités sociales. Ce sont celles-ci : services publics, protection sociale, sécurité sociale, qu’il nous appartient de défendre, de promouvoir et de développer par nos luttes, dans une perspective égalitaire et émancipatrice.

1 Comment

  1. THIBAULT

    Covid-19 : repolitiser la crise
    Merci Alain Chevarin pour votre analyse du confinement lié au COVID-19. Effectivement les mots sont lâchés : émotion, réaction, anxiété et combattre.
    Le livre de Serge Tchakhotine “Le viol des foules par la propagande politique” paru en 1939 et réédité en 1952 est éclairant concernant la manipulation des masses. Il me semble que ce que nous subissons actuellement par le confinement sanitaire imposé par un gouvernement autoritaire pourrait s’ajouter aux exemples qui parcourent cet essai.
    Le vocabulaire que vous utilisez en tout cas m’a fait penser à cet ouvrage d’une actualité saisissante.

    Le président Macron en utilisant le mot “guerre” a mis les gens au parfum de son dessin politique et je crois qu’il est grand temps de mesurer rationnellement l’ampleur des dégâts révélés par cette crise sanitaire inédite par sa forme mais pas malheureusement par son fond : l’histoire se répète !

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