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Conseil scientifique de l’Education nationale : Hubert MONTAGNER s’interroge !

[**Conseil scientifique de l’Education nationale : Hubert MONTAGNER s’interroge !*]

Hubert MONTAGNER est bien connu dans le milieu enseignant, en particulier sur Q2C, pour ses travaux sur le développement de l’enfant reconnus par la communauté scientifique internationale.

La composition du conseil scientifique mis en place par le ministre Blanquer lui pose vraiment problème. Nous avons été nombreux à nous interroger aussi sur cette composition. Nous savons parfaitement que l’utilisation de la « science » dépend en grande partie du choix des travaux et des scientifiques acceptables pour les systèmes en place. D’autre part la complexité humaine ne se réduit pas à des observations de laboratoire.

Le regard critique d’un scientifique, qui plus est investi depuis longtemps pour une école publique laïque et gratuite respectant la diversité de chaque enfant, est donc intéressant. Avec son accord nous reproduisons ci-dessous des extraits du courrier qu’il a envoyé à quelques personnes dont Bernard Collot de Q2C.

Il est étonnant, et surtout consternant qu’il y ait eu peu de réactions à l’annonce de la composition du Conseil Scientifique du Ministère de l’Education Nationale. Présidé par Monsieur Stanislas DEHAENE, il comprend en effet essentiellement (pour ne pas écrire exclusivement) des universitaires ou chercheurs dont le domaine de recherche est la Psychologie Cognitive. De nouveau, il faut souligner que la Psychologie Cognitive ne se confond pas avec les Neurosciences… loin de là. C’est ce que confirmerait l’ensemble des chercheurs « de FRANCE et de NAVARRE » dont les études s’inscrivent dans le vaste champ des Neurosciences, sauf peut-être quelques neurologues ou psychologues ancrés dans le « tout cognitif ». C’est en effet une hérésie d’assimiler les Neurosciences à la Psychologie Cognitive, et inversement. Les collègues étrangers que j’ai informés sont interloqués, et s’interrogent sur les raisons et les buts d’une telle confusion.

Fort heureusement, et bien évidemment, les êtres humains ne sont pas « sous la dictature » des « systèmes cognitifs », et les fonctions d’intégration du cerveau ne se résument pas « simplement » à une mobilisation sélective ou exclusive des « mécanismes » et processus cognitifs pour comprendre et apprendre.

En outre, qui peut extrapoler les résultats obtenus en situation contrôlée de laboratoire aux conduites des enfants placés en classe dans une situation d‘apprentissage, même si les études scientifiques ont été réalisées au moyen de méthodes et technologies sophistiquées telles que celles utilisées dans l’imagerie cérébrale, quelle que soit la rigueur des protocoles ? Dans une perspective éventuelle de « transposition scientifique » du laboratoire « au terrain », est-il ou serait-il pertinent, légitime au plan scientifique et conforme à l’éthique de faire porter à des élèves un casque d’électrodes alors que, en classe ou en situation de classe, ils énoncent, répètent, lisent, écrivent, dessinent, « manipulent »… des lettres, des syllabes, des mots, des phrases, des chiffres…

S’agissant des aspects scientifiques, de nombreuses questions se posent. Par exemple, dans la « capture » et le « défilement » des images cérébrales, quels paramètres, « formes », particularités, algorithmes… sont pertinents pour décoder et interpréter le sens et la signification des activations, non activations ou désactivations de telle ou telle zone ou structure cérébrale ? Non pas seulement « en situation de laboratoire », mais dans les contextes et situations de classe, selon que les enfants apprennent à lire avec « la méthode » dite syllabique, « la méthode » dite globale ou une autre « méthode » ou sans méthode ?

Plus généralement, il est évident que le « traitement cognitif » des informations par le cerveau (le « décryptage » du sens et de la signification), les perceptions, les comportements, les conduites, les interactions et relations sociales, les analyses, les synthèses, la réflexion, la pensée… ne sont pas « simplement » façonnés, structurés et « portés » par des processus cognitifs, c’est à dire, en termes plus « ordinaires », par la « rationalité cartésienne » et la « déduction logique », ou apparemment logique. Sans être scientifique et sans être spécialiste de la cognition, chacun sait que la signification et la prise de sens d’une stimulation, d’une information, d’un message, d’une question, d’une énigme, d’une modification ou d’une nouveauté dans l’environnement… sont aussi influencées, façonnées, guidées, structurées, inhibées, « portées »… par les émotions, l’affectivité, les expériences individuelles (conscientes ou non), le vécu, les facteurs sociaux et environnementaux, les interprétations, l’imaginaire, les fantasmes. Parmi d’autres, le livre « L’erreur de Descartes » du neurobiologiste américain Antonio DAMASIO (édité depuis peu par Odile JACOB), est une réponse pertinente, argumentée, documentée et scientifiquement fondée aux dogmes, positions ou allégations des idéologues de la Psychologie Cognitive. Sans compter les autres ouvrages internationaux et les multiples publications scientifiques qui ne réduisent pas les Neurosciences aux seuls processus cognitifs.

Au nom de quelle légitimité, la Psychologie cognitive parle t‘elle au nom des Neurosciences ? Les conséquences de la confusion entre les processus cognitifs et les fonctions d’intégration du cerveau, pourraient être très dommageables. En tout cas, si on voulait organiser la transmission des savoirs et des connaissances à partir de stimulations, situations, formatages, méthodes, procédés, « recettes »… qui, selon l’imagerie cérébrale, activeraient au maximum, de façon « sélective » ou apparemment de façon optimale, le fonctionnement des zones ou structures cérébrales habituellement considérées comme impliquées dans le traitement, l’intégration et la mémorisation des informations, au cours ou à l’issue de tel ou tel conditionnement, acquisition ou apprentissage. En particulier, dans les apprentissages scolaires.

Va t’on revenir à des vielles chimères ou des vieilles « lunes » qui enferment les enfants de deux à quatre ans dans des situations d’apprentissage formaté, avec la « certitude » (la « croyance ») que, ainsi, ils comprennent et apprennent plus tôt, plus vite et mieux à parler et à lire (à comprendre le sens de ce qu’ils lisent), à écrire, à calculer, à résoudre une question ou un problème, à dessiner… Par exemple, en privilégiant des situations dans lesquelles les enfants âgés de deux à trois ans (de deux à quatre ans) répètent ou reproduisent au quotidien et d’un jour à l’autre des lettres, syllabes, mots, phrases, chiffres… qu’ils entendent ou qu’ils « lisent ».

En d’autres termes, et plus communément, on privilégie alors la méthode dite syllabique, ou une méthode « apparentée ». Pourtant, par expérience professionnelle et pédagogique, par un réel « bon sens » et par pragmatisme, mais en se fondant sur les particularités, modes de raisonnement, stratégies d’apprentissage… des différents enfants, les enseignants du Cours Préparatoire savent mettre en pratique l’une ou l’autre de ces approches, ou leur(s) combinaison(s), souvent et à bon escient au moyen d’objets et d’outils appropriés, selon les enfants.

Les Asiatiques ne sont pas les seuls qui utilisent des « objets outils » dans les différents apprentissages. A t’on oublié la fondatrice de l’école maternelle, la remarquable Pauline KERGOMARD ? La réduction des effectifs, évidemment louable, ne change rien à une diversité et différenciation des approches fondées sur les particularités des enfants. Par ailleurs, et par exemple, comment serait-il possible d’apprendre à la plupart des enfants les quatre opérations « de base » du calcul en quelques mois au cours de la même année, et au même âge (qui ne se confond pas avec le développement individuel), c’est à dire au CP… et peut-être dès l‘école maternelle, dans des situations d’apprentissage plus ou moins formaté ?

On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait enfermer les enfants dans la confusion, l’incompréhension, le blocage, le refus, le non accrochage et/ou le décrochage par rapport à la parole et au message des Maîtres et Maîtresses, en tout cas les plus démunis, fragiles et vulnérables qui cumulent les difficultés de tout ordre. Et, en même temps, « tuer » chez eux l’envie de comprendre et d’apprendre, ou même former l’idée qu’ils peuvent comprendre et apprendre… eux aussi.

Veut-on « dégoûter », dissuader ou « mettre sur la touche » les enfants qui ne sont pas encore prêts à apprendre, en tout cas dans les situations formelles d’apprentissage, et donc écrémer les classes de CP, ou même de grande section d’école maternelle, pour en faire des « viviers » d’excellence pour l’apprentissage précoce et accéléré des fondamentaux ?

S’agit-il pour « l’élite » (en particulier les experts de la Psychologie Cognitive, les décideurs politiques, les détenteurs du pouvoir…) de transformer l’école pour que les seuls enfants ayant envie dès le CP (ou bien avant) de comprendre et d’apprendre à lire, écrire, compter… et pouvant mobiliser leurs processus cognitifs et autres (en particulier, leurs propres enfants), soient façonnés et formatés le plus tôt possible dans et par les « prémisses » ou « prérequis » des apprentissages dits fondamentaux… ?

S’agit-il, par une sélection déguisée, de donner à certains enfants une probabilité optimale de réussir « plus tard » le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique ou dans une autre « filière d’excellence » ? Si des enfants sont inattentifs, « rêveurs », « autocentrés », «agités, « résistants », réticents, rebutés, déroutés… en particulier dans des situations formelles d’apprentissage formaté, ou même « ordinaires », cela n’est pas forcément à cause de leur « immaturité », de déficits, de lacunes… dans leurs processus cognitifs, ou encore d’une incapacité intellectuelle (qui serait un indicateur de débilité). C’est plutôt ou surtout parce qu’ils ne peuvent pas, ne veulent pas ou ne savent pas libérer toute la gamme de leurs possibilités, potentialités, ressources, ou encore les rendre lisibles et fonctionnels. C’est ce qu’on observe quand ils sont fatigués, voire épuisés (en particulier lorsqu’ils ont des déficits récurrents ou persistants de sommeil et des troubles du rythme veille-sommeil), stressés, insécures, en manque de confiance en soi, dans l’appréhension de ne pas savoir apprendre et de se tromper, plus généralement s’ils sont enfermés dans des peurs, états d’anxiété, angoisses, inhibitions… qui les « paralysent » (pour des raisons personnelles, familiales, sociales…). En outre, deux réalités sont à considérer :

** entre cinq et six ans, six ou sept ans, certains enfants ne sont pas encore (ou pas tout à fait) à un niveau de développement qui puisse leur permettre de s’engager dans les différents apprentissages scolaires, ou même d’en former l’idée. Les Scandinaves, en particulier les Finlandais, ont bien compris cette évidence… et savent attendre. Faut-il rappeler ici que leurs enfants réussissent mieux que ceux des élèves de l’école de la FRANCE (voir les enquêtes PISA) ?

** au cours des premières années, tous les enfants n’ont pas pu, su ou voulu façonner, structurer et/ou mobiliser toute la gamme des possibilités, potentialités, capacités, ressources… qui peuvent permettre à chacun de s’engager dans les apprentissages scolaires et de se réaliser comme élèves. De toute évidence et objectivement, certains ont besoin de plus de temps que d‘autres.

Les écoles et enseignants scandinaves n’ont pas eu besoin des données de l’imagerie cérébrale ni même de la Psychologie Cognitive pour engager leurs enfants avec succès dans les apprentissages scolaires et autres, en tout cas avec une réussite bien supérieure à celle de l’école française, sans exiger que l’ensemble des élèves doivent apprendre à lire, écrire, compter… entre cinq et sept ans. En outre, dans ces pays, il n’y a peu d’élèves qui se suicident (ou pas du tout), par comparaison avec SINGAPOUR, le JAPON et la COREE DU SUD, réputés performants dans les apprentissages scolaires, alors que l’école (la société) impose aux enfants une pression, un surmenage et un « gavage » intellectuel que beaucoup ne peuvent pas accepter ou supporter.

Revenant à la FRANCE, on ne s’y prendrait pas autrement si on voulait sélectionner les « enfants élèves » à partir de leur aptitude à se plier le plus tôt possible à des apprentissages qui enferment le cerveau dans des moules formatés qui les empêchent de libérer, de rendre lisibles et fonctionnelles des possibilités, potentialités, compétences, ressources… qui permettent de s’engager dans des acquisitions et apprentissages de tout ordre.

Le Ministre de l’Education Nationale brouille un peu plus les cartes en confiant à Boris CYRULNIK une mission sur l’école maternelle. C’est ahurissant quand on sait que Boris CYRULNIK (que je connais depuis le début des années 1970 et que j’ai très souvent « côtoyé » pendant plus de vingt ans) n’a jamais effectué la moindre recherche scientifique en néonatalogie, dans le domaine de la petite enfance, et au delà, dans les maternités, à la crèche, à l’école maternelle, à l’école élémentaire… Ou même, des investigations ou modes d’approche moins compliquées à réaliser qui soient vérifiables, vérifiées et réfutables dans des conditions reproductibles. (…)

L’enfumage s’épaissit avec la participation du collègue mathématicien Cédric VILLANI, certainement l’un des plus grands mathématiciens de notre pays (que je crois parfaitement honnête et sincère) qui propose d’enseigner les quatre opérations basiques du calcul dès le cours préparatoire. Pourtant, même si les capacités du cerveau humain sont à priori et potentiellement illimitées, et s’il est plastique, tous les êtres humains au même âge (donné par l’Etat-Civil) ne sont pas au même niveau de développement, en particulier dans la « construction », la « fonctionnalité » et la maîtrise des processus cognitifs (les mécanismes à mobiliser pour comprendre, apprendre à comprendre et apprendre telle ou telle stimulation, information, question…), quels que soient les informations à traiter, les situations, les contextes… et quels que soient les « romanciers » du cerveau et des conduites humaines.

J’ai évidemment conscience d’être un trublion. C’est décourageant et usant d’être en permanence le « Don Quichotte » de service ! Il serait temps que les responsables et les « animateurs » du « monde éducatif » consultent les banques de données et sachent vraiment qui est qui, et qu’ils sortent de l’omerta.

Je serais disponible pour tout débat contradictoire ou confrontation que vous souhaiteriez.

Hubert Montagner

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