![]() L’écriture du journal des pratiques ; un atelier de désaliénation personnelle et collective. Par Rémi Hess Animateur du courant de l’autogestion pédagogique, Remi Hess publie en 1989 Le lycée au jour le jour, ethnographie d’un établissement d’éducation dans lequel il consigne les éléments de sa vie quotidienne d’enseignant. Depuis 1986, enseignant à plein temps à l’université, Remi Hess tient son Journal pédagogique. Dépasser nos dissociations On pourrait partir d’un constat initial pour présenter le dispositif singulier qu’est le « journal des pratiques » : le métier d’enseignant se définit par des injonctions paradoxales. Le prof doit en effet gérer des dilemmes. Il doit par exemple faire participer les élèves tout en gérant le bavardage en classe. L’enseignant doit aussi, à la fois aborder le programme dans sa globalité, et avoir une attention spécifique à chaque élève. Or le journal des pratiques, tel qu’il nous est présenté par Remi Hess, permet une écriture dissociée, en écho à nos comportements d’acteurs dissociés. On écrit donc une page par jour sur un fait : relationnel, pédagogique, affectif, idéologique, ou organisationnel. Il s’agit donc de garder une mémoire de nos multiples « dissociations » et observer ainsi la pensée qui se forme au quotidien, dans la l’enchainement des observations et des réflexions. Inscrire la durée La question de la temporalité est de fait toujours complexe à appréhender en milieu scolaire. Comment rendre compte du quotidien ? La visite d’un inspecteur par exemple relève d’une temporalité particulière, on est dans le registre du « ponctuel », comme une photo instantanée. Quelle révélation fait-il vraiment de la situation pédagogique réelle ? Le journal pédagogique a donc d’abord été crée pour rendre compte d’une temporalité particulière, celle d’une année complète. L’école est une institution qui soumet l’élève, et le pédagogue, à sa propre temporalité ; une année scolaire, une semaine, une heure. L’écriture journalistique, qui relèverait aussi du « ponctuel », du fait divers, ne peut non plus capter cette durée. “ Le journal des pratiques peut donc être considéré comme outil pédagogique et politique. Prendre du recul sur les pratiques L’enseignant, qui doit sans cesse passer d’une logique à l’autre peut ainsi avoir une vision globale de ses pratiques. Ecrire, c’est alors aussi réfléchir à une situation donnée pour avoir une approche distanciée sur un fait précis. Ecrire permet de questionner notre propre rapport à un moment ou une organisation, pour se « désaliéner ». Le journal est dialectique pour R. Hess, d’un jour à l’autre la contradiction est possible, et féconde. C’est un lieu d’élaboration de ses hésitations fécondes. L’objectif second du journal pédagogique est donc d’être lu par les pairs. Rémi Hess témoigne les faire lire à ses collèges à l’intérieur et à l’extérieur du collège, ainsi qu’à ses élèves. Journal des moments : se créer une communauté de référence Mais Rémi Hess tient une multitude de journaux. Selon lui on peut tenir un journal de grand père, pour sa petite fille, un journal pour ses pratiques artistiques, pour le jardinage etc. Il souligne que ce type de « journal des moments » permet de construire une appartenance forte à une pratique, une collectivité, un univers de référence, à un milieu spécifique. Noter les éléments de vécus qui méritent d’être consignés permet de construire ainsi l’expérience. Un dispositif subversif : construire des transversalités fécondes Le journal des pratiques est subversif dans le sens où il permet de consigner des critiques qui émergent sur le vif, et qui peuvent ainsi être cristallisées par cet outil. De plus, les luttes peuvent être mises en commun d’un univers de référence à l’autre. Rémi Hess nous encourage à construire nos « moments militants », avec les camarades d’un même milieu de référence. Le temps d’auto réflexion sera soumis à la réflexion d’autrui. Le partage des réflexions avec la communauté de référence, fonde ainsi la communauté : en tant que collectif d’idées et espace de pensée. On peut se demander pour terminer pourquoi l’école n’encourage-t-elle pas à tenir un journal ? Remi Hess répond en mettant en avant l’atomisation de l’individu qu’induit le système éducatif. En ce qui concerne les élèves surtout, le journal peut être le lieu d’une individuation possible. Par exemple pour construire un projet professionnel, il est nécessaire de pouvoir prendre du recul sur qui je suis en tant que personne, ce que je veux, ce qui m’intéresse, d’où je viens….. Le journal des pratiques est donc un outil efficace pour qui veut comprendre au mieux sa pratique, et la réfléchir pour mieux la structurer. Mais avant tout le journal, tel que l’envisage Rémi Hess, est un dispositif subversif car aujourd’hui alors qu’il est plus que jamais nécessaire de construire une conscience alternative au discours de l’institué, Il permet de libérer des forces instituantes. Le journal est un outil pour « fédérer les résidus »2 du système. C’est là que s’opère concrètement le passage au politique, lorsque des forces vont se fédérer et surprendre les forces instituées3. Notes 1. - Rémi Hess renvoit à Henri Lefebvre, penseur de la vie quotidienne. |
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