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Chroniques bretonnes, épisode n°1

Ancien instituteur, Erwan Hupel livre un regard cru sur la maternelle. Au fil de la lecture, son humour cinglant laisse percevoir un accueil singulier des élèves, tendre même, attentif à leurs dires, à leurs gestes mais aussi à ceux de leurs parents. Il a publié ces chroniques en langue bretonne sous le titre Yudal ! aux éditions Al Liamm en 2013. Une chronique sera publiée chaque mois sur le site Questions de classes.

Ce n’était pas une histoire de sommeil (je n’avais pas dormi). D’angoisse je ne dis pas. C’était seulement ma deuxième année dans cette école et je devais désormais m’occuper de la classe des petits. Ce n’était pas parce que j’étais directeur de l’école et que je devais mener à bien des « tâches plus importantes ». Je n’étais pas directeur. Ce n’était pas parce j’étais arrivé le dernier et que personne ne voulait s’occuper des petits. C’était moi qui avais demandé la classe des petits.

Dans l’école, il y avait des classes en français et des classes en breton. Pour faire la classe avec moi, il y avait en alternance Herveline (qui voulait se faire appeler « Line ») et Sonia. Bernez enseignait en CM1-CM2, Vanessa enseignait en CE1-CE2, Julia enseignait aux grandes sections et aux CP, Sophie aurait enseigné aux moyennes et aux grandes sections s’il n’y avait pas eu ce long hiver, ce froid et l’électricité coupée. La nuit avait été longue, neuf mois auparavant, et Sophie attendait une bonne nouvelle. Aux moyennes et aux grandes sections enseignait Alan en attendant que Sophie revienne. Il n’y avait qu’un demi poste pour cette classe. Le jour d’avant, on nous avait dit qu’il n’y avait pas eu moyen de faire changer d’avis le « grand chef » sur ce point. Nous savions qu’on n’avait pas essayé.

J’avais ouvert la porte. Je n’osais pas. Le jour précédent, Bernez m’avait dit de faire attention de ne pas apprendre un mauvais breton aux petits car après il devenait impossible de rattraper les choses. J’avais compris que mon breton était mauvais. J’avais quand même ouvert la porte.
– Mon nom est Erwan. Ça va ?
Keridwenn m’avait demandé tout de suite si j’avais des enfants à la maison.
– J’ai deux enfants, avais-je répondu. Un garçon et une fille.

, ça aurait été bien de dire un proverbe tel que « Fille et gars, ça dure toujours. Gars et fille, plus rien après ». Je ne l’avais pourtant pas fait. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait dire des dictons coûte que coûte. Pour donner du goût aux choses ? Ne suis-je pas assez « typique », je devrais en plus danser la gavotte avant de prendre la parole ?
– Tu vas bien, Pierre ?
Il avait été mis à mal à l’aise. Il avait bien appris sa leçon avant d’aller à l’école (Il faut saluer le maître). Il avait osé dire
– Bonjour*
J’avais répondu
– ça va bien ?

Il avait été déçu mais ça n’avait pas duré.
Après lui était arrivée Morganenn. Cheveux roux, des yeux verts, une jupe courte (fin de l’été). Elle avait décrochée la main de sa mère, m’avait regardé et avait pleuré. Clément, cheveux blonds, lunettes rouges sur le nez, des sandales en cuir à ses pieds (l’été toujours), il avait pleuré, hurlé, craché sur le sol et craché sur moi. Léa et Clara étaient arrivées, des jumelles, elle se ressemblait comme deux gouttes d’eau. Elles m’avaient souri et hop aux jeux. Ivan était arrivé (à contre cœur car il était accroché très fort au pantalon de son père), un pull et des chaussures de ski (?). Ce n’était plus l’été à Rumean, à deux kilomètres du bourg. Il avait vomi, pissé, chié.

Une heure plus tard nous étions vingt-cinq dans la classe. Onze d’entre eux pleuraient abondamment. De la pisse, du vomi, des crayons débouchés, du papier sur le sol. Du sable dans les yeux de Baptiste, du sang sur le nez de Pierre, cassé par Logan, de la peinture sur le visage de Julie. Tous sentaient mauvais. Tout le monde se foutait de mon mauvais breton.

Erwan Hupel
* en français dans le texte

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