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L’école de Trump…

À l’occasion de la campagne présidentielle aux États-Unis, nous proposons le chapitre consacré au bilan de Trump en matière d’éducation publié dans l’ouvrage de notre camarade Grégory Chambat du collectif Questions de classe(s) – Quand l’extrême droite rêve de faire école, une bataille culturelle et sociale, Éditions du Croquant, janvier 2024 (10 €).

États-Unis : guerre de classes et guerre en classes

Pour l’alt-right1 étasunienne, il y a bien longtemps que la bataille des idées s’est transformée en véritable guerre culturelle. Une guerre qui se joue tout autant sur les plateaux des chaînes d’info en continu ou les réseaux sociaux que dans les écoles et les campus. Selon Donald Trump, l’enseignement « efface notre histoire, insulte nos héros, détruit nos valeurs et endoctrine nos enfants ». Face aux « radicaux d’extrême gauche », il invite à « restaurer une éducation patriotique […] Nous allons enseigner à nos enfants l’amour de leur patrie, la fierté de leur histoire et le respect de notre drapeau ».

Les enseignant·es sont bien entendu dans sa ligne de mire avec la rémunération au mérite sur la base des résultats des élèves aux tests. Pour les élèves comme pour les personnels, il s’agit d’appliquer la devise de Trump en matière d’éducation : « La concurrence réussit toujours. Les faibles disparaissent et les forts s’améliorent. C’est formidable. »

Au nom du « School choice » – que Trump et ses soutiens élèvent même au rang de nouveau « droit civil » – il s’agit de permettre aux parents, à travers un financement public, de choisir n’importe quelle école publique ou privée ou encore l’enseignement à domicile privilégié par les ultra-conservateurs et les évangélistes radicaux. C’est à Betsy DeVos, partisane d’une privatisation intégrale du système éducatif, que Trump confie le secrétariat de l’Éducation. Cette milliardaire républicaine est originaire du Michigan où fleurissent les Charter schools, ces écoles privées financées en partie par des fonds publics, et où le recrutement et le licenciement ne relèvent plus des règles syndicales en vigueur dans le public. Elle clame que la réforme de l’éducation est un moyen de « faire avancer le royaume de Dieu » tout en appelant à ouvrir l’école aux « entrepreneurs et aux innovateurs » afin de créer les « équivalents éducatifs de Google, Facebook, Amazon, PayPal, Wikipedia ou Uber. »

L’Université reste le lieu le plus emblématique de cette confrontation. Les nostalgiques du maccarthysme y sévissent à travers une série d’organisations radicales – Turning Point USA, Campus Reforme, etc. – qui pratiquent la délation et le fichage des étudiant·es et des professeur·es progressistes. Le combat est aussi médiatique : la très réactionnaire chaîne Fox News s’est dotée d’une rubrique « La folie des campus », et alimente le fameux backlash théorisé par Susan Faludi ; l’antiracisme, le féminisme, la lutte contre les discriminations, etc., sont ainsi devenus des menaces pour l’ordre établi et les valeurs traditionnelles. En réalité, comme sous l’ère Reagan, ces campagnes servent de prétexte aux politiques néolibérales de précarisation et de privatisation de l’université. En 2017 le sénateur Rick Brattin propose une loi contre l’emploi à vie des universitaires, un moyen détourné d’écarter les militant·es et les syndicalistes et de supprimer ce qui leur reste encore de protection et de liberté académique. Derrière la volonté de reconquérir les campus ou de lutter contre une prétendue Cancel culture au nom de la liberté d’expression (c’est-à-dire la liberté d’être suprémaciste, sexiste, homophobe, etc.), on assiste à une neutralisation politique de l’Université, en phase avec le projet néolibéral d’adaptation et de mise au pas de la recherche.

Ces débats se rejouent à l’échelle du premier et du second degré. Au Texas, le Patriot Mobile PAC finance les élections de candidats au conseil scolaire des académies. « Nous avons choisi, précisent ses membres, des candidats qui sont des chrétiens conservateurs, qui veulent défendre les mêmes fondamentaux qui nous animent, c’est-à-dire les valeurs chrétiennes, conservatrices, anti-avortement, pour le port d’armes, soutenant les forces de l’ordre et la liberté d’expression… ». Les bibliothèques scolaires sont la cible de ces réactionnaires qui contestent l’enseignement de l’histoire de l’esclavage, de la « critical race theory », des questions de genre et la dénonciation des discriminations contre toutes les minorités. Des listes de livres jugés « obscènes » sont officialisées dans plusieurs États et ont ainsi conduit au retrait de Pédagogie des opprimés de Paulo Freire mais aussi de textes de Martin Luther King, de Toni Morisson, de l’adaptation en roman graphique du Journal d’Anne Frank ou encore de la BD antifasciste Mauss d’Art Spielgman.

Alors qu’une partie de l’alt-right se revendique de théoriciens de l’extrême droite française, comme Renaud Camus, en retour, ses méthodes et ses thématiques se diffusent en Europe et sont parfois reprises au plus haut niveau. Que l’on songe à l’offensive contre le wokisme ou « l’islamogauchisme » universitaire initiée en France par Vidal, Blanquer et compagnie.

1. Le terme désigne un puissant courant d’extrême droite états-unien qui rejette le conservatisme traditionnel considéré comme trop modéré et combat pour le suprémacisme blanc et contre le féminisme et le multiculturalisme.

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