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Une pédagogie coopérative critique

Le stage organisé à Créteil, les 12 et 13 janvier, sur les pédagogies alternatives a été l’occasion de réfléchir à ce que peut être une pédagogie coopérative critique.
Au cours de l’introduction du stage, les organisateurs ont souligné les défis auxquels se trouve confrontée la pédagogie coopérative aujourd’hui : d’un côté la dépolitisation des mouvements pédagogiques coopératifs qui avaient porté autrefois un projet de transformation sociale et la récupération par l’institution scolaire et le management néolibéral des pratiques pédagogiques coopératives.

Deux ateliers sur la pédagogie critique ont pu être l’occasion de réfléchir à la manière dont la pédagogie critique peut contribuer à repolitiser la pédagogie coopérative en particulier en introduisant des thématiques qui n’avaient pas été traditionnellement prises en charge par les pédagogies coopératives.

Esprit de coopération et esprit critique

Alors que la pédagogie coopérative a pour but initialement de former des coopérateurs qui pourront autogérer une activité économique, la pédagogie critique se donne pour objectif de former des citoyens qui lutteront pour la justice sociale. En ce sens, la pédagogie critique peut requérir des capacités de coopération au sens où celles-ci sont nécessaires pour mener des actions collectives.
Les capacités requises par la pédagogie critique supposent de critiquer l’organisation sociale en sachant penser, parler, lire et écrire de manière critique, de prendre des décisions et d’agir collectivement. La pédagogie critique, c’est d’une certaine mesure la transposition des pratiques des mouvements sociaux dans la salle de classe.
Mais, à l’intérieur de ce collectif, la pédagogie critique se montre attentive à ce que les rapports sociaux de sexe, de classe, de racisation… ne se reproduisent pas.
Les apports possibles de la pédagogie critique à la pédagogie coopérative.
Voici ci-dessous quelques axes d’une pédagogie coopérative critique :
A la différence de la pédagogie coopérative mainstream, la pédagogie coopérative critique suppose un contenu critique. Une pédagogie coopérative critique est orientée vers l’étude de la critique sociale : littératie critique, mathématiques radicales, controverses socio-techniques, éducation anti-préjugés et pour la justice sociale…

Les pratiques partent de l’expérience sociale vécue des élèves et non pas d’un usage a-critique de l’industrie de l’entertainment. Cette expérience sociale immédiate, souvent exprimée à l’oral de manière narrative, a pour objectif d’être problématisée de manière critique en particulier à travers la culture scripturale.
L’enseignant-e s’appuie ainsi sur des thèmes générateurs. L’hypothèse de la méthode Freire, c’est que les opprimés peuvent oser sortir de la culture du silence et entrer dans la culture scripturale, parce que la formation qui leur est proposée s’appuie sur les expériences d’inégalités sociales et de discriminations dont ils font directement l’expérience.

L’enseignant-e qui pratique une pédagogie critique coopérative est attentif à ne pas reproduire des pratiques sexistes et classistes dans sa classe. Elle/Il peut pour cela utiliser des grilles d’observation qui lui permettent d’analyser les rapports sociaux de genre dans sa classe (comme celle-ci :http://www.egalite-filles-garcons.ac-creteil.fr/IMG/pdf/Grille_observation_genres_en_classe_Creteil_septembre2012.pdf )
et des pratiques pédagogiques en étant attentif à lutter contre les malentendus socio-cognitifs (en s’appuyant par exemple sur : Bonnery Stéphane, Comprendre l’échec scolaire, Paris, La Dispute, 2007).
Une pédagogie coopérative critique développe des pratiques d’entraide, de discussion et de prise de décision démocratiques dans la classe qui sont attentives à ne pas reproduire les rapports sociaux inégalitaires, par exemple, en veillant ce que les filles prennent autant la parole que les garçons ou en évitant une répartition sexuée des tâches dans le travail en groupe (les filles qui font les secrétaires).
La pédagogie coopérative critique est donc attentive à ne pas reproduire les curricula cachés de genre, hétéro-normatifs, de classe sociale, de racisation, de pouvoir … Cela passe en autre par une analyse critique des supports pédagogiques utilisés de manière à ce qu’ils ne reproduisent pas ces curricula et qu’ils soient orientés vers la justice curriculaire en visibilisant de manière positive les groupes socialement discriminés.

Une pédagogie coopérative critique est attentive à déconstruire les ethos de domination (comme par exemple le virilisme) et à favoriser l’empowerment mental, verbal et physique des catégories sociales discriminées à travers le développement d’un dialogue intérieur positif, du théâtre de l’opprimé, de l’éducation aux droits humains, de l’enseignement des sports de combat…. Elle vise ainsi à rendre les personnes des groupes socialement discriminés capables de résister aux phénomènes négatifs de conformisme de groupe et de soumission à l’autorité.
Une pédagogie coopérative critique organise des projets pédagogiques orientés vers la réalisation de recherches-actions collaboratives et d’enquêtes de conscientisation où les élèves analysent de manière critique leur établissement, effectuent une enquête sociologique sur leur quartier ou en effectuent la cartographie critique, étudient les circuits production et de consommation des objets de la vie quotidienne, mènent des projets orientés vers la justice sociale…

8 Comments

  1. madeleine abassade

    Une pédagogie coopérative critique
    Très intéressée par la lecture de cet article, avec votre accord je souhaiterais le partager avec les lecteurs de notre site Education Populaire & Transformation Sociale http://www-mille-et-une-vagues.org/ocr.
    Merci de me préciser ce que sont les “mathématiques radicales” dans “une pédagogie coopérative critique (est) orientée vers l’étude de la critique sociale”.
    En vous remerciant par avance. Cordialement,
    Madeleine Abassade

  2. Irène

    Une pédagogie coopérative critique
    Le courant des mathématiques radicales ou mathématiques pour la justice sociale est un courant qui choisi de proposer aux élèves des exercices, non pas pour mieux faire leurs achats dans les supermarchés, mais en prenant des énoncés qui portent sur des questions sociales. Voir par exemple: http://www.radicalmath.org/

    • Gauthier Tolini

      Une pédagogie coopérative critique
      Merci pour cet article. À propos des mathématiques radicales, on en trouve aussi des exemples dans la pédagogie Freinet dès les années 1930.
      Voici un exemple intéressant extrait de la revue L’Éducateur Prolétarien n°4, 1934, p. 188 :
      “Le régime actuel est tel que les 9/10 de nos problèmes sont orientés vers l’argent. Notre fichier doit tenir compte aussi de cet aspect de la question. Mais nos élèves ne sont pas des capitalistes : au lieu de leur demander
      « quel capital faut-il pour … ». Posons-leur des problèmes du genre de celui évoqué par Gris-Grignon dans la Gerbe n°30 :
      Un mineur gagne 26 fr. par jour, mais il ne travaille que 20 jours par mois, son salaire réel est donc 26 x 20 / 30 = 17 fr. par jour.
      Ce problème peut être continué : tel jour, il a acheté 1 pain, 1 l. de vin, 1 livre de pot-au-feu, 1 morceau de savon, 1 paire de sabots. A-t-il gagné suffisamment ?
      On sait que nos camarades du Syndicat unitaire de l’Hérault ont commencé un travail intéressant sur ces problèmes prolétariens. Je crois qu’ils préparent pour 1934-35 une suite dans l’École Émancipée. Nous serons les premiers à nous en réjouir ; de tels essais, même imparfaits, sont infiniment plus profitables que des cours types, du genre classique, fussent-ils très soignés, rabotés, polis, gradués et léchés.”
      Lien : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/35684

      Gauthier Tolini

      • Delbet

        Une pédagogie coopérative critique
        On reste toutefois étonné que le seul terme de « critique » accolé aux termes «  pédagogie coopérative » suffise à transformer le monde scolaire en cours.
        Tout de même, c’est prendre d’un peu haut le travail accompli dans les centaines de classes Freinet et ce, depuis des années, et un peu condescendant de laisser croire que les instits en charge de ces classes seraient inattentifs aux pratiques racistes ou sexistes dans leurs classes ou ne faciliteraient pas des pratiques d’entraide (je reprends quelques-unes de vos affirmations qualifiant ce que vous appelez « pédagogie coopérative critique »)
        Si une critique peut être adressée à la pédagogie Freinet, c’est effectivement qu’il y a, rarement, de dépassement de la dimension « classe », que le déroulé coopératif ne s’effectue le plus souvent qu’entre 4 murs, coupé du reste de l’école qui continue à fonctionner classiquement et que tout cela ne déborde pas sur toute une école. Notamment en zone urbaine où les écoles sont à plusieurs classes. Car c’est là que se situent les lieux d’éducation à investir.
        Cette critique peut d’ailleurs également vous être adressée puisque votre « pédagogie coopérative critique » n’est décrite, tout au long de votre compte-rendu, qu’au sein de LA classe :
        « La pédagogie critique, c’est d’une certaine mesure la transposition des pratiques des mouvements sociaux dans la salle de classe. »
        On peut alors considérer cette critique comme insuffisante, restrictive et conforme à la dominance. On nous fait encore le coup du « socialisme dans un seul pays ». Il faut changer d’échelle et travailler sur la vraie dimension du lieu éducatif qu’est l’école. Il faut penser et passer de la classe à l’école. Pour les enfants comme pour les adultes, tous habitants et travailleurs dans ce lieu.
        Sous couvert de « critique », chercher à théoriser sur le reste ressemble de plus en plus à un leurre et à une entreprise de retardement. Ou faut-il ajouter critique à tout pour se rendre audible ? Alors vive la pédagogie coopérative critique critique !

        Gérard Delbet

  3. Irène Pereira

    Une pédagogie coopérative critique
    Il me semble Monsieur Delbet qu’il faudrait relire le dernier paragraphe qui ne se limite pas à la salle de classe:

    “Une pédagogie coopérative critique organise des projets pédagogiques orientés vers la réalisation de recherches-actions collaboratives et d’enquêtes de conscientisation où les élèves analysent de manière critique leur établissement, effectuent une enquête sociologique sur leur quartier ou en effectuent la cartographie critique, étudient les circuits production et de consommation des objets de la vie quotidienne, mènent des projets orientés vers la justice sociale..”

    Je persiste en ce qui concerne la prise en compte du sexisme et du racisme en particulier, je crois que des progrès peuvent être réalisés…

  4. Marion Bertin

    Une pédagogie coopérative critique
    Bonjour, et merci pour cet article intéressant,

    précision : lorsque l’on parle de pédagogie coopérative, on ne parle pas que de la pédagogie Freinet, on peut parler des pédagogies coopératives.

    Je suis très intéressée par cette question de “critique”.

    Ma question : je comprends que c’est donc d’un recours à la sociologie critique que vous faites allusion, dans l’enseignement. Quelles pistes avez-vous en travaux de recherche et/ou en expériences pratiques pour amener cet éclairage dans l’école, que ce soit dans les pratiques pédagogiques auprès des élèves, mais aussi par exemple dans des modes de formation destinée aux enseignants ?

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