Menu Fermer

Micro-physique intersectionnelle du pouvoir dans la salle de classe

De la micro-sociologie de l’école à la micro-politique des oppressions-

L’ethnographie de l’école peut nous donner à voir la micro-physique intersectionnelle des oppressions qui se déroule dans la salle de classe et de manière générale dans les établissements scolaires.

Rapport de pouvoir structurels, institutionnels et micro-pouvoirs

Les oppressions peuvent être analysées à différents niveaux (Hill Collins). Un établissement scolaire est une institution. Les actions de ces acteurs/trices y sont contraints par des dispositifs (Foucault).
Dans le cadre de la salle de classe, par exemple, l’enseignant-e se trouve contraint par le règlement scolaire ou encore l’agencement scolaire d’y faire respecter une certaine discipline. La disciplinarisation des corps s’effectue en particulier pour les élèves les plus socialement éloignés des attendus scolaires (Willis). L’institution scolaire fixe qu’il faut faire apprendre le programme aux élèves. Mais elle impose également que cela doit s’effectuer dans le dispositif de la forme scolaire. L’enseignant est donc soumis à cette double injonction.

Or la dimension disciplinaire devient prédominante dans l’enseignement lorsque l’enseignant fait passer le contrôle du comportement des élèves, en particulier de ceux qui sont dans la culture anti-école, avant la visée de l’émancipation par des connaissances puissances (Young). Se pose alors la question de savoir comment la visée de l’émancipation par la connaissance peut-elle prendre le pas dans le système scolaire sur la forme disciplinaire de l’institution ? En effet, cette forme disciplinaire peut avoir pour effet de maintenir les élèves les plus éloignés de la culture scripturale dans un malentendu sur le type de rapport au savoir que suppose l’acquisition de la culture scripturale.

De fait, la microphysique des oppressions se trouve déjà prise dans la contrainte d’une physique des institutions. Mais celle-ci dépasse largement le pouvoir des acteurs/trices qui doivent, pour l’essentiel, s’y adapter sauf à pouvoir les transformer collectivement. Ces institutions, comme la micro-physique des oppressions, se trouve traversée par des rapports sociaux (Kergoat) qui les dépassent et structurent la société.

Néanmoins, les acteurs/trices possèdent des capacités de résistance en mettant en œuvre des tactiques (De Certeau) en vue, par une micro-politique (Guattari), de limiter les relations d’oppression. Cette micro-politique n’est pas vaine car ces micro-oppressions peuvent par accumulation produire dans les trajectoires des individus des différences substantielles. On peut ainsi penser à la situation du harcèlement scolaire (Debarbieux) : des micro-violences, mais répétées peuvent être à l’origine d’une partie du décrochage scolaire enregistré au sein de l’institution scolaire nationale.

Micro-physique des oppressions dans les relations entre l’enseignant-e et les élèves

On peut chercher à étudier la micro-physique des oppressions dans le cadre d’un établissement scolaire dans son ensemble, mais dans la limite de ce texte on se restreindera à la salle de classe. Dans celle-ci, les rapports sociaux peuvent prendre plusieurs formes à la fois entre l’enseignant-e et les élèves, et entre les élèves entre eux.

Dans le cas de la relation entre l’enseignant et les élèves, on appellera adultisme le rapport social d’oppression qui les opposent. L’adultisme se met en œuvre lorsque le pouvoir qu’exerce l’enseignant passe de l’éthique de la sollicitude (care) à la forme du despotisme. L’enseigant-e exerce un « pouvoir sur » les élèves, au lieu de mettre en œuvre un « pouvoir avec » les élèves. Une pédagogie émancipatrice peut être en effet considéré comme l’exercice d’un « pouvoir avec » dans l’objectif de développer le « pouvoir de » (empowerment) des élèves. L’éthique de la sollicitude est nécessaire afin d’éviter de traiter l’enfant comme s’il était un adulte en miniature (que l’on pourrait faire travailler à des fins d’exploitation capitaliste). L’adulte se doit de protéger l’enfant des abus qui pourraient s’exercer contre lui/elle et non de devenir un-e despote dans la salle de classe. C’est sur ce rapport d’autorité despotique et patriarcal que s’est concentré la pédagogie libertaire en dénonçant l’autorité du maître.

Mais, les relations d’oppression ne se limitent pas à celles là. L’enseignant-e peut exercer sans s’en rendre compte une oppression de classe sociale, de sexe ou encore ethno-raciale par inconscience de sa position sociale ou de réflexivité critique sur ses pratiques. Dans ce cas, le rapport d’oppression ne se marquera pas nécessairement par un exercice actif d’une autorité, mais peut au contraire se jouer dans ce qui n’est pas fait. Une pédagogie non-directive peut être oppressive dans la mesure où elle laisse se jouer de manière inconsciente les rapports sociaux inégalitaires dans la salle de classe. La non-action est une forme d’action par ommission.

Ainsi, l’ethnocentrisme de classe sociale peut le ou la conduire à ne pas expliciter les attentes de l’institution scolaire. Cela produit alors une discrimination passive entre les élèves qui par leur proximité sociale avec l’école les comprennent et ceux qui sont socialement éloignés de l’école et ne les comprennent pas. Une tactique de subversion des relations d’oppression classiste consiste alors comme l’avait souligné Bourdieu à « vendre la mèche » c’est-à-dire à enseigner explicitement pour ne pas favoriser inconsciemment les élèves les plus connivents avec le système scolaire.

Ces relations d’oppression peuvent être également en lien avec des préjugés sociaux qu’a l’enseignant-e a relativement à certaines catégories d’élèves qui le/la conduise à enfermer les élèves dans une certaine représentation qu’il se fait d’eux. C’est par exemple les enseignant-e-s qui tendent à être moins exigeant avec les filles en mathématiques et avec les garçons en français.

Il s’agit par exemple également du fait de traiter les élèves en situation de handicap dans le système scolaire comme s’ils étaient là principalement pour se socialiser et non pas également pour accéder à des apprentissages scolaires comme les autres élèves. C’est par exemple aussi certains préjugés liant origine ethnique des élèves et compétences professionnelles qui les conduit à les orienter tout « légitimement » vers des filières professionnelles. Ces relations d’oppression peuvent également s’exercer à l’égard des familles par les préjugés que peuvent avoir les enseignants à l’égard des milieux populaires ou de certains groupes ethnico-religieux.

Micro-physique des oppressions dans les relations entre les élèves

Les relations de micro-oppressions entre élèves sont par excellence mis en lumière dans la situation du harcèlement scolaire. Si toute différence peut se trouver stigmatisée et être érigée en sujet de harcèlement, pour autant le harcèlement s’oriente de manière privilégié vers certaines personnes : les élèves en surpoids (grossophobie), les élèves en situation de handicap ou encore supposés « homosexuels » ou ayant une expression de genre non-conforme sont plus susceptibles que d’autres d’être pris pour cible de harcèlement.

Si les filles peuvent être des harceleuses, c’est surtout les garçons qui ont recours aux violences physiques. De manière générale, les filles se plaignent davantage d’être victimes dans les couloirs ou dans la cours de récréation de brutalités de la part de garçons. La « masculinité hégémonique » (Cornell) se construit donc également à l’école et dans la salle de classe. Or cette masculinité se développe par opposition à deux figures la féminité et l’homosexualité masculine. Dans l’univers scolaire, les garçons sont les objets de 80 % des sanctions disciplinaires (Ayral). Mais, ce sont également les garçons de classe populaire, en particulier immigrés, qui se trouvent le plus précocement orientés vers les filières professionnelles.

Cependant, en centrant les interactions avec les garçons de milieu populaire autour du contrôle de leur comportement, on accentue le malentendu socio-cognitif avec l’école qui tend à leur faire penser que ce que l’école attend d’eux c’est un certain comportement et non une mobilisation intellectuelle autour des savoirs scolaires. Il s’agit alors peut être moins de dire à l’élève “arrête de bouger” que de lui dire par exemple “reprend ta lecture s’il te plaît”.

La pédagogie anti-oppression consiste ici à lutter contre la construction de la masculinité hégémonique (Gutierrez). Il s’agit au contraire de favoriser des fabriques de genre non-binaire (Trujilo Garcia) susceptibles de développer des compétences scolaires dans des matières à la fois stéréotypées comme masculines, comme les mathématiques ou les sciences, ou comme féminismes, comme le français ou les langues étrangères. L’enseignant-e peut alors proposer d’autres exemples de construction de la masculinité que ceux de la masculinité hégémonique.

De leur côté, les filles peuvent adopter dans la salle de classe des tactiques de résistance à la forme scolaire. Mais celles-ci sont en général moins frontales que celles des garçons (Depoilly)

L’enseignant en pédagogie anti-oppression vise à faire de sa salle de classe un espace inclusif en particulier pour les filles et les garçons aux masculinités subalternes. Non seulement en luttant contre les micro-violences, mais également en déconstruisant les préjugés sexistes et homophobes.

Conclusion : La pédagogie anti-oppression conçoit son action comme une micro-politique intersectionnelle dans la salle des classes. L’enseignant se donne par la méthode de l’observation ethnographique (Lapassade), les moyens d’analyser les relations intersectionnelles d’oppression. Les pratiques de la pédagogie anti-oppression se donnent pour objectif de les combattre. Parmi les axes qui peuvent être privilégiés figurent : a) la lutte contre les préjugés de l’enseignant et des élèves b) la lutte contre l’ethnocentrisme de classe sociale par un enseignement explicite c) la déconstruction de la masculinité hégémonique. La pédagogie anti-oppression se trouve donc au niveau de ce que Guattari appelait une révolution molaire.

Références :

Ayral Sylvie, La fabrique des garçons, PUF, 2011.

Caderon et Cohen, Qu’est-ce que résister ?, Presses Universitaires du Septentrion, 2014

Conell Raewyn, Masculinités, Editions Amsterdam, 2014.

Debarbieux Eric, Refuser l’oppression quotidienne la prévention du harcèlement à l’école (2011). URL : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2011/64/5/Refuser-l-oppression-quotidienne-la-prevention-du-harcelement-al-ecole_174645.pdf

De Certeau, L’invention du quotidien, Gallimard, 1990.

Depoilly Severine, “Les filles de milieux populaires: de la docilité à la ruse”. (2014) URL:
http://ses.ens-lyon.fr/articles/les-filles-de-milieux-populaires-et-l-ecole-de-la-docilite-a-la-ruse-251108

Foucault Michel, Surveiller et Punir, Editions de Minuit, 1975.

Guttierez Enrique, « Codes de la masculinité hégémoniques en éducation » (2015). URL :
https://iresmo.jimdo.com/2016/12/21/codes-de-la-masculinit%C3%A9-h%C3%A9g%C3%A9monique-en-%C3%A9ducation/

Guattari Felix, Micropolitiques, Les empêcheurs de tourner en rond, 2007.

Guattari Félix, « Le capitalisme mondial intégré et la révolution moléculaire » (1981). URL : http://1libertaire.free.fr/Guattari4.html

Hill Collins, Black Feminist Thought, Hyman, 2000.

Kergoat Danièle, Se battre disent-elle, La Dispute, 2011.

Lapassade Georges, Microsociologie de la vie scolaire, Economica, 1999.

Micropolitiques des groupes – http://micropolitiques.collectifs.net/

Scott James C., La domination et les arts de la résistance, Editions Amsterdam, 2009.

Trujillo Gracia, « Penser depuis un autre lieu, penser l’impensable : vers une pédagogie queer » (2015). URL : https://iresmo.jimdo.com/2016/12/09/vers-une-p%C3%A9dagogie-queer/

Young et Muller, “On the powers of powerful knowledge” (2013). URL: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/rev3.3017/full

Willis Paul, L’école de ouvriers, Agone, 2011.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *