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L’espoir est dans la classe

L’espoir est dans la classe

L’humanité a-t-elle un avenir viable ?
La société, l’humanité, le monde mondialisé ont à se colleter avec la question d’un avenir possible. Facile à dire. En réalité, on ne sait par où commencer ou plutôt comment et qui aura suffisamment de pouvoir pour inverser le cours des choses. De leurs paradis fiscaux, les « riches actionnaires » et les banques spéculent, investissent, ruinent populations et Etats à leur guise. Les puissances financières tiennent les rênes du devenir mondial. Elles dominent le politique. L’époque actuelle n’est pas sans rappeler la voix off, leitmotiv du film La Haine (1) : « C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien.
Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »

Crises économique, écologique et anthropologique obligent, aucun signe ne laisse augurer un avenir enthousiasmant. Tout porterait au pessimisme. En divers lieux de la planète, les équilibres naturels sont toujours menacés davantage par le déboisement, l’épuisement des ressources, les pollutions radioactives, les émissions de gaz et autres poisons. En Occident, la pensée unique vire à l’obsession maladive de consommer et spéculer sans retenue et sans morale. En Europe, la peste brune regagne pignon sur rue. Comment et sur quelle planète allons-nous atterrir ? Si l’éducateur ne porte pas seul le monde, il ne peut travailler en toute indifférence. Il est pris dans l’engrenage, témoin et acteur du sort réservé à l’enfance et son école. Des familles et leurs enfants survivant clandestinement sont menacés d’expulsion. Les débouchés professionnels s’étiolent. La gestion locale des écoles demeure calamiteuse. L’institution continue de rejeter la responsabilité de ses difficultés sur les enfants eux-mêmes en les stigmatisant comme handicapés. Les enfants « hors normes » sont accompagnés par des « auxiliaires » précaires et sans formation. L’encadrement éducatif s’est dégradé, des sureffectifs épuisent tout espoir de remédiation. La refondation et la réforme des rythmes accouchent d’un projet ajoutant du désordre à la désorganisation contre l’intérêt des enfants.

Jusqu’ici, tout allait bien , pas pour tous, mais…
Malgré son volontarisme, le positivisme républicain ne s’est pas répandu harmonieusement sur TOUTE la surface du globe. Loin s’en faut. Seule une minorité en profitait. L’Histoire dira l’incidence de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme sur les illusions de nos démocraties bourgeoises. Malgré ces contradictions politiques, les éducateurs échafaudaient une pédagogie trouvant sa cohérence. Qu’en est-il à ce jour ? En Occident, la première génération pouvant redouter une dégradation de ses conditions d’existence comparées à celles de ses aînés entre dans la force de l’âge. De quelle marge de manœuvre disposent les éducateurs ? Sur quelles perspectives tracer un avenir pour les jeunes, pour le monde ?
Hier, dans la foulée de la création de l’école publique, envisager des alternatives au cours magistral était légitimé par l’idée d’un projet républicain appliqué à l’école. A l’ère néolibérale, TINA, There Is No Alternative, s’applique à l’école. Rien n’existe plus hors des valeurs marchandes. Minoritaires sont les groupes revendiquant une alternative au consumérisme égoïste et aveugle. L’école est à l’image de la société. Si, massivement, les enseignants ne sont pas tous gagnés au mythe de l’employabilité, même s’ils rêvent d’un autre monde, par confort professionnel et intellectuel, ils se soumettent aux pratiques pédagogiques ambiantes. S’ils enseignent en Grande Section de Maternelle, ils imposent à leurs élèves écriture cursive et évaluations départementales, simplement, pour ne pas avoir d’ennui avec leur hiérarchie ou être mal vus de leurs collègues ou de certains parents. Comme tout le monde, ils corrigent en rouge et multiplient de fades et ennuyeuses batteries d’exercices à consignes. Qui pourrait le leur reprocher ? On a vu, ces dernières années, des ministres s’en prendre à l’intérêt des enfants en dégradant leur école, en la soumettant à la concurrence des évaluations PISA, en supprimant les cours du samedi matin, en détruisant les RASED ou en diminuant les effectifs enseignants, en asphyxiant les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public. Dans ce contexte, comment résister ? Pourquoi sortir des sentiers battus ? Qui ose encore prendre le risque de défendre contre vents et marrées des pratiques éducatives favorisant la motivation, l’implication, l’affirmation et le bien-être des enfants ? Quelle folie pousse certains à choisir l’inconfort de l’imperfection des moments de flottement dans leur classe en continuelle évolution ? Qui peut supporter les incertitudes des effets secondaires de l’innovation pédagogique à l’heure de la comptabilité du tableau de bord ? Toute prise de risque est malvenue en ces temps de frileux conservatisme pédagogique où le pilotage par le résultat écrase toute approche qualitative pour retenir seulement les pourcentages des évaluations notées. Quel culot faut-il pour dénoncer concurrence, aliénation et exploitation comme forces destructrices et mortifères en action aussi à l’école ? La puissance de l’étendard du chiffre, du pourcentage et la compétition prennent le pas sur l’épanouissement et l’apprentissage des responsabilités et des solidarités. Elles réduisent le jeu de possibles négociations argumentées autour du récit, de l’histoire du sujet, de la globalité et de la complexité de l’équilibre des individus (2) .

L’espoir traverse la classe
Comment éduquer sans optimisme, sans foi en l’avenir ? Pire, en ayant chaque jour davantage la certitude de nous enfoncer dans le chaos. Quel sens donner aux apprentissages ? Quels discours tenir, quelles pratiques offrir aux enfants pour les convaincre de l’utilité de devenir des individus autonomes et responsables d’autrui ? Enseigner pour enseigner est dérisoire. Sans but, sans valeur, éduquer est insensé. Eduquenseigner appelle une certaine logique reposant sur trois convictions : l’égalité des intelligences, l’éducabilité de tous et un désir d’apprendre intrinsèque à la nature humaine. Ces principes guident les gestes du maître favorisant l’autonomie dans les apprentissages. Forces de vie fraternelles et humanistes fondent l’éducation. Le devenir de l’enfant, ses découvertes et son entrée de plain-pied dans le monde appellent une espérance en l’avenir, simplement à l’échelle de l’individu. Impossible de s’investir dans le moindre apprentissage sans se projeter dans le futur. Cette force intérieure portée par toute l’énergie de la jeunesse ne pourrait supporter un mur faisant barrage à sa fougue. Le cas échéant, elle y donnerait l’assaut pour le transgresser. Cette vitalité guide l’éducateur. La survie des jeunes et l’épanouissement de leurs potentialités sont les postulats à tout apprentissage. Si parents et enseignants accompagnent, aiguillent et facilitent les découvertes et les assimilations des jeunes. S’ils défrichent le chemin des savoirs et des saveurs et se soucient de la bonne santé de la classe, de la bienveillance prévalant à la sauvegarde de chacun au sein d’un groupe coopératif. Alors, ils contribuent à consolider les forces vives s’apprêtant à affronter avec sens et raison, les défis anthropologiques, politiques et écologiques. Eduquer en temps de crise exige grande souplesse. Toutes les certitudes sur lesquelles s’ancrait le progressisme politique et pédagogique ont été remises en cause quand elles ne se sont pas effondrées. Nous nous sentons trahis et désemparés au souvenir des tournures tragiques prises par des nations qui avaient emporté l’enthousiasme à travers le monde en promettant justice et démocratie pour la multitude. Nous entrevoyons des réponses partielles, parcellaires aux problèmes posés comme celui d’une équitable répartition des ressources naturelles à l’échelle planétaire. La crise se traduit par un relativisme tous azimuts. Dans le flou de l’expectative d’une inversion des rapports en faveur des forces de vie, l’éducateur (s’) autorise une pensée vive et agile, surfant sur les contradictions, jonglant avec l’implicite et l’explicite des mystères d’un avenir à imaginer et à inventer. Il donne le cap et puise espérance au cœur même de la classe dans la dynamique de la rencontre de l’Histoire de l’humanité dont il est l’un des représentants avec ce foisonnement vivace d’histoires en cours d’élaboration dans le présent en actes de chaque enfant.

Traduire le fondement de l’espérance à travers des vécus de classe
Il ne s’agit ni de modèles, ni de recettes, plutôt de postures donnant fluidité à la vie. L’éducateur s’efforce de tramer des situations authentiques dans l’école, d’élaborer des savoirs à partir de la spontanéité de désirs exprimés. En Petite et Moyenne section, il cherche à voir le sens de l’objet apporté, du geste esquissé par l’enfant, il accueille sa parole, son envie d’action. Comme nous le répétons à satiété à l’Ecole Moderne, nous tentons de donner les outils adéquats pour satisfaire toute velléité et entretenir la flamme qui métabolise le besoin d’agir en maîtrise de langages permettant aux enfants d’être de sérieux artisans de leur propre devenir. Attentif, l’éducateur est prêt à saisir au vol une idée et à puiser dans sa besace de pédagogue un lien pour prolonger, soutenir chaque apprentissage. Et inlassablement, il montre, rappelle l’intérêt d’échanger, de s’entraider pour co-élaborer. Il fait goûter et partage ses plaisirs culturels, littéraires, corporels, musicaux, poétiques, philosophiques, mathématiques, humoristiques, etc. Mais il reste vigilant pour éviter de se projeter maladroitement en prenant ses désirs pour la réalité des autres, pour ne pas envahir ou étouffer les propres désirs et les propres plaisirs des enfants. L’éducateur a pour obligation un travail introspectif de connaissance de soi et de ses pulsions personnelles. Pouvoir échanger entre pairs sur des questions de classe ne serait pas un luxe, seulement une garantie de préservation de l’espace de liberté et de l’intégrité des élèves.
L’espoir dans la classe est animé par la confiance dans les capacités adaptatives du vivant. Les premières traces gribouillées s’organiseront prochainement en symboles et deviendront bientôt bonhomme, animal ou forme géométrique grâce à l’entrainement et à la coopération. L’espoir enseigne la patience d’attendre la mise en confiance du mutique qui parviendra un beau jour à prendre la parole pour se faire comprendre. Il encourage telle enfant fluette à oser enfin s’attaquer au mur d’escalade après avoir longtemps observé les autres et s’être enfin sentie prête à son tour. L’espoir se régénère dans la béatitude face à la fulgurante et parfaite harmonie de couleurs dont est capable le jeune peintre. Il se confond en émotions au spectacle de petits danseurs marquant le tempo d’un reggae ou pliant aux derniers soupirs de la mort du cygne.

Jean Astier

1 Mathieu Kassovitz, La Haine, 1995

2 Roland Gori La dignité de penser, Les liens qui libèrent, 2011.

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