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Je n’irai pas travailler le jour de l’Aïd

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Je suis athée et anticlérical. Et cette année, je ne travaillerai pas pour l’Aïd el Kebir. Non, je ne me suis pas converti et pourtant je vais utiliser mon droit à ne pas travailler pour des raisons religieuses. Enseignant en lycée professionnel, beaucoup de mes élèves, parfois la majorité, sont musulmans, de foi ou de tradition familiale. Ils ne seront donc pas présents mardi prochain comme le permet la loi.

Les années précédentes, je venais travailler sans savoir combien d’élèves j’aurais en classe avec moi. Je prévoyais donc des activités déconnectées des cours car je ne voulais pas pénaliser les élèves qui utilisaient leur droit. Mais alors, celles et ceux qui étaient présent-e-s acceptaient mal cette situation. « Pourquoi on ne continue pas le cours ? Ça sert à quoi de se déplacer si on ne travaille pas ? J’aurais mieux fait de rester chez moi ! » Certes, je leur répondais que ce qu’ils apprenaient des choses, que l’on approfondissait des éléments de méthodes alors que nous n’en avons pas le temps d’habitude. Cependant, c’était moi qui me retrouvais en colère. Puisque ce que nous faisions était bien utile, je pénalisais les élèves absents. Or, d’une part c’est leur droit de ne pas venir au lycée ce jour-là, et d’une autre part il ne faut pas négliger que pour certain-e-s ce n’est pas leur choix mais celui de leur famille. En tant qu’enseignant soucieux d’égalité, je ne peux que défendre le fait que ce jour soit férié pour tous.

En outre, l’organisation actuelle de cette journée ne respecte pas, selon moi, le principe de laïcité de la loi de 1905 : « ARTICLE PREMIER. – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Les élèves qui sont absents ce jour affichent donc publiquement, par la force des choses, leur croyance. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la loi dite « sur le voile », car elle visait principalement les musulmans, leur demande au contraire de masquer totalement leur appartenance religieuse. Nous sommes donc toutes et tous informés de qui est musulman et de qui ne l’est pas. Au-delà du fait que je n’ai pas à connaître la religion de mes élèves, j’estime que cela peut entraîner des préjudices ou des conflits qui ne sont pas utiles. « Mais pourquoi tu ne fais l’Aïd ? Tu t’appelles Faiçal, et tu n’es pas musulman ?, Oh t’as vu Kevin n’était pas là, ça doit être un converti ! » Il est vrai que cela peut être l’occasion de débats intéressants dans le cadre de l’éducation civique, mais je considère que mes cours de français et d’histoire-géo sont suffisants pour aborder ces thématiques. De plus, cet étalage public de nos pratiques, ou traditions familiales, concerne aussi les adultes de l’établissement. En effet, depuis une loi de 1967, les fonctionnaires peuvent poser des jours de congés pour certaines fêtes religieuses qui sont définies par la loi. Encore une fois, face à cette situation, je ne peux défendre que le fait que ce jour soit férié pour tous.

Enfin, pour un principe d’égalité, je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas tous les mêmes jours fériés. Il ne s’agit pas là d’un réflexe jacobin primaire mais bien d’une égalité entre les travailleuses et les travailleurs. Bien sûr, chaque région, chaque établissement, ne connaissent pas les mêmes réalités dans ce domaine. Mais alors pourquoi pas imaginer aussi des jours fériés pour les personnes qui ne posent pas de jours religieux. Je propose dans ce cas-là que le 18 mars soit férié pour commémorer le début de l’expérience révolutionnaire de la Commune de Paris. Il est vrai que je préférerais que l’ensemble des jours fériés entretiennent la mémoire de la lutte des peuples à travers le monde pour la liberté et l’égalité. De même, il faudrait déconnecter l’ensemble des congés du calendrier religieux. Mais nous en sommes très loin. Alors, il ne sert à rien de se cacher derrière des espoirs que personne n’essaye de rendre réels. Donc dans un souci d’égalité, je ne peux encore défendre que le fait que ce jour soit férié pour tous.

Pour conclure, j’estime que cette situation est le reflet d’un fantasme vis-à-vis de la laïcité. Je nomme les vacances d’octobre « vacances d’automne ». Mais ce sont les vacances de la Toussaint. Il ne sert à rien d’appeler les vacances de fin d’année autrement que vacances de Noël. Restent celles d’hiver qui n’ont pas de référence religieuse. Car si Pâques ne tombe pas pendant les vacances, le lundi sera férié. Le calendrier des congés scolaires n’a rien de laïque. Il conforte la place de la tradition chrétienne comme base de la société française. Mais le peuple de France a changé. Et tant mieux car les cultures se mélangent, se complètent, se confrontent parfois, mais finalement, c’est une richesse intellectuelle. Il serait donc temps de prendre en compte cette diversité. Or aujourd’hui l’islam est la seconde religion de France, la première dans certains territoires. Ce qui a été acceptable pour le catholicisme ne le serait pas pour l’islam ? Les vacances de Noël n’ont jamais soulevé d’opposition. Pourquoi rendre un jour férié poserait problème ? Alors encore une fois, je ne peux défendre que le fait que ce jour soit férié pour tous.

Si je reste convaincu que les organisations religieuses sont les complices du capitalisme, de l’asservissement des peuples et en particulier des femmes, je me refuse à adopter une vision autoritaire qui viserait à la disparition des croyances. Mon combat est contre les hiérarchies religieuses, pas contre les gens. Or je suis convaincu que le fonctionnement actuel donne des arguments pour un repli identitaire et religieux. « On ne me reconnaît pas à l’égal des autres du fait de ma religion, alors j’en ferai encore plus. » Voilà le risque. Bien sûr, cet argumentaire porte sur une fête musulmane, mais il pourrait être le même pour une fête juive, bouddhiste, hindouiste… On n’arrêtera donc jamais de fêter les religions ? Ce n’est pas mon souhait, mais pour cela il est temps de se lever contre les injustices sociales, les dictatures coloniales, le capitalisme dévastateur qui sont le terreau des religions.

Erwan, PLP lettres-histoire, militant à la CNT éducation 93

2 Comments

  1. dgb

    Je n’irai pas travailler le jour de l’Aïd
    Et le dimanche ? Non travaillé (en principe…) en France et ailleurs parce que c’est le “jour du seigneur” des chrétiens.
    Ce jour religieux est le vendredi pour les musulmans, le samedi pour les juifs…
    La commission Stazi, je crois, avait proposé qu’un ou deux jours fériés chômés soient référés à l’islam ou au judaïsme.

    On peut aussi dire que le dimanche relève d’une tradition, dont le contenu religieux s’est largement effacé dans une société sécularisée.

  2. AUDUC

    Je n’irai pas travailler le jour de l’Aïd
    A propos des “jours protégés” pour les différentes religions.
    C’est l’application de l’article 42 de la loi de 1905 qui maintient comme férié le dimanche et les jours fériés existant

    Cela n’existe pas depuis 1967 ( c’est la dernière circulaire d’application ) mais depuis 1907 : première religion a en bénéficier: le judaïsme.
    Il y a deux pages d’historique sur ce point dans le rapport du HCI sur laïcité et enseignement supérieur

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