![]() Décembre, le mois des livrets scolaires du premier trimestre. La tâche est fastidieuse mais oblige à faire un point sur tous et toutes les élèves dont nous avons la charge ; à s’obliger à réfléchir à où en est chacun.e d’entre elles/eux et non seulement aux quelques élèves qui nous préoccupent. Je débute dans mon métier, je tâtonne – plein de choses dans la tête – qui au quotidien sont plus complexes, demandent de se confronter à des contradictions et à des doutes. Dans mon école, on remplit le LSUN [1]. Cela participe au fichage massif des élèves, cela les suit toute leur vie, alors on pèse nos mots, d’autant qu’on veut une évaluation bienveillante. Déjà, dans mes LSU, il n’y a pas de « non acquis » : quel sens cela aurait tout un domaine de compétences qui ne serait ni acquis, ni même en cours d’acquisition ? A l’école, on est là pour apprendre donc si ce n’est pas acquis, cela est forcément en cours. La case « non acquis » sera définitivement oubliée. On évitera ensuite les formulations négatives : ce n’est pas l’élève qui a des difficultés, mais les apprentissages qui sont difficiles pour l’élève, etc. Si vous avez besoin d’exemples d’euphémisme, venez lire les livrets de mes élèves…
On s’interdira aussi de parler des comportements problématiques : je ne parlerai pas des colères quotidiennes de Untel et de ses difficultés à canaliser ses émotions. Le livret va le suivre toute sa scolairité, et j’imagine trop bien la scène : « Le juge - Monsieur untel vous êtes accusé de violences contre agents dépositaire de l’autorité de l’état, vous avez voulu blesser voire tuer un policier ! C’est très grave ! Donc non, on ne mentionnera pas les colères de Untel, certainement pas. Encore une fois, on euphémisera, on tournera autour du pot : « En respectant mieux les règles de vie, Untel aurait beaucoup de choses à apporter à la classe et ferait progresser lui-même mais aussi les autres ». Alors que je terminais de remplir ces fameux livrets, j’écoutais d’une oreille l’émission Être et savoir sur France culture : on parle d’ « illusion méritocratique ». Plusieurs sociologues rappellent les inégalités face, moins à la culture scolaire, que finalement au rapport scolaire à la culture, rapport qui s’incorpore rappellent-ils dès la naissance. Rappeler les inégalités persistantes face aux attentes scolaires, c’est toujours écorner « l’illusion méritocratique ». Si l’égalité des chances est et restera une fiction, qu’est-ce que le mérite ? Qu’est-ce que l’effort ? Mise à part une sanction que prodigue ceux et celles qui sont déjà du bon côté. Et mes livrets ? Moi qui suis bien conscient de cette fable, qu’est-ce que je marque spontanément dans mes livrets ?
Des efforts !
En réalité, et cela est admis, l’évaluation comme geste professionnel est avant tout une auto-évaluation de l’enseignant.e : est-ce que ma séquence a été comprise ? Est-ce que j’ai été assez clair ? D’autant plus au primaire où très peu de devoirs « à la maison » sont attendus, l’essentiel des apprentissages se font en classe. Cependant, dans un livret scolaire, l’individualisation rend difficile de rendre visible cette responsabilité partagée de l’enfant et de l’éducateur/rice dans les progrès accomplis. C’est l’enfant seul qui est objectivé par le livret scolaire, par les grilles d’évaluation et les appréciations de l’enseignant.e. Les enseignant.e.s sont les auteurs/trices du jugement mais n’en sont pas l’objet. En séparant l’enfant du contexte pédagogique où il apprend, le livret scolaire transforme l’enfant en un pur sujet d’apprentissage qui finalement n’est pas si éloigné du « sujet libéral » mythique qui est à la base de « l’illusion méritocratique ». A ce « sujet apprenant » fictif du livret d’évaluation, on n’a pas d’autres choses à dire qu’il faudrait qu’il fasse « des efforts » comme s’il était d’une certaine manière responsable de son destin scolaire. Alors, que dire à l’enfant qui peine et à ses parents ? Arthur, prof des écoles Notes[1] comme presque partout d’ailleurs malgré les quelques appels au boycott [2] Cet extrait de procès est bien entendu une fiction, mais une fiche sert toujours à un moment ou un autre à autre chose que ce à quoi elle est destinée. |
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