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Que/qui contrôle-t-on, avec les devoirs communs ?

Crédit Pixabay

Parfois, il n’est pas besoin d’aller chercher du côté du ministère pour voir se développer la tendance à l’évaluation permanente, des élèves comme des personnels.

Ce qui n’était qu’anecdotique, il y a 15 ans, devient monnaie courante dans les établissements du second degré : les fameux devoirs ou contrôles communs, avec leurs lots d’insatisfactions, de surtravail et d’instrumentalisation managériale.

Les devoirs communs, qu’est-ce que c’est ?

Pendant une même durée, à un horaire donné, tou·tes les élèves d’un même niveau planchent sur le même sujet dans la même matière.

Nombre d’établissements mettent ainsi en avant, sur leur site ou dans leur planning interne, l’organisation de ces devoirs communs en maths, français, langues vivantes, sciences, etc. Cela va même, dans certains, jusqu’à l’organisation de semaines dédiées à ces devoirs communs, comme une vitrine augurant du sérieux du collège ou du lycée !

Devoirs communs, examens, concours, compétitions : nous sommes bien dans l’école à la française, celle de la concurrence et du mérite individuel.

Pourquoi des devoirs communs ?

Les défenseurs et défenseuses des devoirs communs avancent les arguments suivants.

C’est pour mettre les élèves en situation d’examen. C’est peut-être le seul argument qui pourrait avoir du sens. Effectivement, lorsque les épreuves du brevet ou du bac durent 2h ou 4h, et que les cours ordinaires durent 1h, cela peut avoir du sens que les élèves soient confronté·es à des séances de travail plus longues, afin qu’elles et ils apprennent à gérer leur temps et à ne pas perdre leurs moyens le jour de l’examen.

Mais ceci, à condition que les équipes éducatives et pédagogiques les y accompagnent : gérer son temps, qu’est-ce que cela signifie ? Comment surmonter son stress ? Quelles stratégies peut-on mettre en place ? Quelles astuces partager ? Etc.

Et ceci n’est valable que dans les classes à examen. Pour les autres niveaux, les devoirs communs ne peuvent se justifier ainsi, sauf à considérer que l’objectif premier de toute scolarité est l’examen : préparer le brevet dès la 6ème ou la 5ème, par exemple…

Autre argument avancé : en étant corrigé·es par un·e autre professeur·e, qui ne les connaît pas, ça donnera aux élèves une idée plus juste de leur niveau, ça va les motiver.

Pourtant, les évaluations des devoirs communs tombent souvent comme un couperet : une note, une appréciation réduite au minimum (parfois aucune appréciation, aucun conseil). Les élève qui ont réussi en tirent de la satisfaction tandis que celles et ceux qui ont un résultat faible n’arrivent pas toujours à en comprendre les raisons.

Je serais vraiment curieuse de connaître la proportion d’élèves qui ressortent d’un devoir commun en étant réellement plus motivé·es à travailler, en ayant appris quelque chose qui leur permette de travailler différemment !

Car une évaluation sommative – ce que sont les devoirs communs – sonne comme un jugement définitif et sans appel, un jugement anonyme et froid. Le contraire même des évaluations que nous menons avec les élèves que nous accompagnons à l’année, que nous connaissons, que nous encourageons ou que nous mettons en garde en nous appuyant sur leurs parcours sur plusieurs mois.

En outre, l’affirmation selon laquelle « en étant corrigé·es par un·e autre professeur·e, qui ne les connaît pas, ça donnera aux élèves une idée plus juste de leur niveau » illustre par ailleurs une forme de mépris que certain·es enseignant·es ont pour leur collègues, les soupçonnant ou les accusant ouvertement d’être laxistes dans leur évaluation, d’être trop bienveillant·es, de mettre de trop bonnes notes : une moyenne de classe faible étant à l’inverse considérée comme signe de compétence professionnelle ; un taux de réussite moindre au brevet comme un gage d’exigence !

Autre argument dans la défense des devoirs communs : les élèves pourront se comparer entre elles/eux.

Voilà que l’on approche sans doute d’un peu plus près la raison d’être des devoirs communs : ils servent à alimenter la compétition entre les élèves, à nourrir les démarches de tri, de sélection, de classement. À distinguer les bon·nes élèves (parfois à dénigrer les plus faibles).

Sur le plan pédagogique, toujours les mêmes questions : quel est l’intérêt, pour tou·tes les élèves, de se comparer entre elles/eux ? En quoi est-ce que cela les motiverait davantage ? Dans quelle mesure cette compétition instaurée par les devoirs communs serait au bénéfice de leur parcours scolaire ?

Et sur le plan éthique, cet argument pose des questions de fond : quelle finalité donne-t-on à l’évaluation : accompagner, sanctionner, trier et classer ? Quelle finalité donne-t-on à la vie en communauté : la compétition individuelle, l’écrasement des un·es par les autres, la création ou l’entretien de la hiérarchie sociale, l’indifférence, la solidarité, l’entraide ? Y a-t-il, comme certain·es l’affirment, de saines compétitions ?

Autre argument dans la défense des devoirs communs : il est indispensable de se mettre au niveau du privé ou des établissements d’élite du bassin, où « ils en font tout le temps »

Dans la même veine que l’argument précédent, cette affirmation illustre bien la volonté que certain·es collègues ont de construire une école compétitive et concurrentielle, capable de faire aussi bien voire mieux que les établissements voisins.

Obsédé·es par l’image que peut renvoyer leur établissement, inquièt·es de la prétendue fuite des bon·nes élèves (malgré les places limitées dans le privé, malgré les cartes scolaires restrictives), ces collègues veulent construire une école d’élite, dont les devoirs communs, la fameuse exigence, les concours et autres compétitions seraient des produits phares pour attirer les meilleur·es, sous le prétexte que ce sont ces élèves-là qui s’en vont parce que nous ne nous en occuperions pas assez et qu’elles/ils s’ennuieraient.

Ces collègues oublient souvent que l’école doit lutter contre les inégalités, et non les accentuer (article L-111-1 du Code de l’éducation), et qu’il est normal de donner plus à celles et ceux qui en ont le moins.

Autre argument : les devoirs communs pousseraient les élèves à travailler

Il s’agit ici du mythe tant et tant débattu présentant l’évaluation comme une menace permettant de faire travailler les élèves. Objectivement, est-ce que cela a jamais fonctionné ? Les équipes ne passent-elles pas leur temps à se plaindre de l’échec des élèves à ces devoirs communs, à déplorer leur absence de révisions et de préparation à ces épreuves qui, il faut bien le dire, n’ont de sens que pour les adultes (et encore, pas tou·tes!) ? Serions-nous même satisfait·es de voir les élèves travailler sous la menace de l’évaluation ?

Cet argument rejoint inévitablement le non moins traditionnel débat sur la motivation des élèves : la motivation extrinsèque, générée par l’environnement extérieur (de l’incitation positive à la menace-sanction) ou la motivation intrinsèque (lorsque l’élève sait pourquoi elle/il travaille et étudie et y éprouve du plaisir, en tire une satisfaction propre) : de nombreux écrits existent déjà sur la motivation et sur le rôle de l’évaluation, à consulter pour nourrir la réflexion.

https://www.questionsdeclasses.org/?s=%C3%A9valuer

Il semblerait qu’ajouter des évaluations communes compétitives ne permette pas de motiver les élèves.

Contrôler, normaliser, mettre sous tension

Ainsi, les devoirs communs peinent à démontrer leurs bienfaits pédagogiques.

En revanche, ils ont de véritables conséquences sur notre quotidien et participent au délitement des finalités du service public d’éducation et à la dégradation de nos conditions de travail, ce dont les équipes ne débattent jamais lorsqu’elles abordent le sujet des devoirs communs.

Des équipes sous tension

D’aucun·es affirment que les devoirs communs sont au service du travail d’équipe. Or, la réalité est souvent autre : l’élaboration des devoirs communs est régulièrement source de tensions et de crispations dans les équipes qui y passent un temps considérable – et sans effet bénéfique pour les élèves, nous l’avons vu. Autant de temps qui pourrait être mis à profit de réflexions pédagogiques plus pertinentes, au service de l’accompagnement des élèves.

Quelles notions aborder ? Quels supports utiliser ? Comment formuler les consignes ? Quelles sont les réponses acceptables ? Combien de points si c’est incomplet ? Combien de temps pour corriger ? Quel coefficient mettre ? Les équipes passent plusieurs heures à se poser des questions essentiellement techniques, qui n’ont que de lointains rapports avec l’accompagnement pédagogique des élèves.

Plus encore, les légitimes différences entre collègues, du point de vue des méthodes, de la progression, de la relation avec les élèves, se cristallisent en désaccords voire en oppositions lors de la conception des devoirs communs alors que, d’ordinaire, les différences pédagogiques sont tout à fait anodines et acceptées de tou·tes.

Les équipes tentent alors d’adopter des stratégies d’évitement des tensions : déléguer la constitution du sujet à une seule personne, à tour de rôle ; choisir un sujet tout fait, pris dans les annales ou dans les archives de l’équipe, ce qui a pour conséquence de vider encore plus l’exercice de son prétendu sens pédagogique.

Contrôle et normalisation

Les devoirs communs ont un réel impact sur le travail des enseignant·es, sur leur manière de se percevoir plutôt comme des pédagogues, ou comme des exécutant·es.

Le risque que nous fait courir une utilisation accrue des devoirs communs est de nous soumettre au contrôle et à la normalisation de nos pratiques pédagogiques et d’amoindrir ainsi la liberté pédagogique à laquelle, pourtant, nous tenons.

Il nous faudrait ainsi aborder notions et méthodes de la même manière, au même moment, dans des progressions construites à froid et de manière mécanique, dans l’unique objectif de préparer les devoirs communs, sans tenir compte ni des élèves-individus qui constituent nos classes ni des dynamiques de groupes qui s’y opèrent.

Même si le choix paraîtra sans doute trop binaire à certain·es, quel·le professionnel·le voulons-nous être ? Celle/celui qui vient au travail, fait ce qu’on lui dit de faire, puis repart, ou celle/celui qui conçoit ses propres cours et évaluations en fonction de son expertise professionnelle, des élèves qu’elle/il doit accompagner et des échanges avec ses collègues ?

Plus encore : comment concevons-nous notre métier ? Un métier d’exécution de consignes ou un métier d’artisanat ? Un métier de mise en application ou un métier de réflexion-création ?

La menace managériale

Par ailleurs, ce dont les équipes ont peu conscience, c’est de la progressive main-mise de la hiérarchie sur nos pratiques pédagogiques d’évaluation.

Multiplier les devoirs communs, c’est en effet offrir autant d’occasions à la direction d’organiser le travail avec les élèves, voire d’exiger de tou·tes les enseignant·es de faire des devoirs communs… et de rendre des comptes sur leur travail.

« Étant donné que vos collègues de mathématiques et de français font un devoir commun en février, serait-il envisageable d’en organiser un en même temps dans votre discipline ? »

Une petite musique visant à générer un sentiment de comparaison/compétition entre les équipes, qui les oblige à en faire autant, voire plus, que les autres.

L’air de rien, s’installent des devoirs communs dans de plus en plus de matières, allant parfois jusqu’à une semaine entière d’évaluations communes !

« Vos collègues le font, pourquoi pas vous ? »

Les défenseur·euses des devoirs communs avanceront qu’ils et elles n’obligent personne à faire des devoirs communs, que rien n’est imposé et que les collègues ont toujours la possibilité de refuser, y compris dans la même discipline.

Mais, soyons honnêtes : est-il facile d’être seul·e à refuser ? N’est-ce pas laisser le/la collègue prendre le risque d’être rappelé·e à l’ordre, ostracisé·e, sanctionné·e par la hiérarchie ?

« Pouvez-vous remplir le tableau suivant avec les résultats de vos élèves ? »

Tableau qui donne lieu, quelques semaines plus tard, à des statistiques de réussite par classe, et donc par enseignant·e…

« Au contrôle commun, vos moyennes sont inférieures – ou supérieures – à celles de vos collègues. Comment l’expliquez-vous ? Vous me semblez en difficulté. Je vais demander à votre IPR (1) de vous accompagner. / Je vous propose telle ou telle formation »

C’est là que les devoirs communs, dans leur mise en pratique et dans leurs résultats, deviennent une norme à laquelle les enseignant·es sont progressivement sommé·es de se soumettre : même évaluation, même procédure, donc mêmes résultats exigibles, sans tenir compte de tous les autres facteurs entrant en jeu dans la scolarité des jeunes…

Alors quoi, refuser les devoirs communs ?

Eh bien, oui !

Pour toutes les raisons évoquées plus haut : de l’inanité pédagogique au risque de la caporalisation managériale, en passant par les atteintes à la liberté pédagogique et par la mise à mal du travail en équipe.

Et si vraiment, plusieurs professeur·es de l’équipe voient l’utilité de devoirs communs, qu’elles et ils en fassent, mais sans l’afficher, sans en faire tout un foin qui autoriserait la hiérarchie à l’exiger des autres. Après tout, l’intérêt des devoirs communs devrait être pédagogique, et non communicationnel…

Essayons de garder à l’esprit que notre liberté pédagogique, par exemple celle d’organiser des devoirs communs, ne doit pas se transformer en contrainte et en surtravail pour nos collègues et encore moins en outil de contrôle et de sanction.

Enfin, il est toujours utile de rappeler que la mission d’évaluation relève de la seule responsabilité des enseignant·es et les modalités d’évaluation ne peuvent leur être imposées (Décret n° 2014-940 du 20 août 2014 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d’enseignement du second degré et Circulaire n°2015-057 du 29 avril 2015, Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré).

Dernière minute ! Contrôles communs et groupes de niveau

Il semblerait que certain·es IPR commencent à diffuser l’idée que pour constituer les groupes de niveau en collège, les temps de regroupement devraient être consacrés à… des contrôles communs ! (On se serait bien douté que les évaluations joueraient un rôle central dans cette réforme…)

La boucle est donc bouclée, la finalité des contrôles communs bien délimitée : trier, classer, exclure de l’enseignement commun.

Nous passerions donc chaque année par 3 ou 4 périodes de contrôles communs dans le seul but de répartir les élèves dans des groupes de niveau ? Plusieurs périodes chaque année, pour chaque niveau, à chercher un sujet, choisir des compétences, formuler des consignes, corriger, et rapidement !, pour décider quel·les élèves iraient dans le groupe des bon·nes, et lesquel·les dans le groupe des mauvais·es (n’ayons pas peur de dire la réalité telle que le gouvernement la veut) ? C’est évidemment la mort annoncée de nos disciplines, du plaisir des découvertes et des créations mathématiques ou littéraires.

Le fait que des IPR de Lettres et de Mathématiques participent activement à la délétère réforme des groupes de niveau et à la mise à mort de leur discipline nous rappelle ces mots de Primo Levi : « les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter. »

Jacqueline Triguel, SUD éducation 78, Collectif Questions de classe(s)

(1) IPR : inspecteur / inspectrice pédagogique régional·e.

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