inventer l’école, penser la co-création, Marie Preston, tombolo Presses et CAC Bretigny, 2023, 304p, 25€
quand les artistes s’intéressent à l’école
Marie Preston a fabriqué, avec les éditions d’arts Tombolo Presses et le CAC (Centre d’Art Contemporain) Bretigny, un très beau livre retraçant l’histoire des écoles dites « ouvertes », expérimentales et publiques, comme celle de Vitruve (Paris, 20ème), de la Villeneuve (Grenoble) ou de Villeneuve-d’Ascq. Inventer l’école, penser la co-création – qui a été édité avec plusieurs couvertures différentes – a une dimension esthétique assumé : constitué de feuillets de différentes couleurs, il est composé de textes (interviews, témoignages, analyses), d’archives (journaux d’écoles, affiches…), de photographies et de dessins imprimés en monochromie. Edité une première fois en 2021, il est réédité en 2023.
Marie Preston est en effet une artiste qui s’intéresse à l’idée de co-création. Sa démarche est en effet expliqué dans les deux derniers textes de l’ouvrage où elle interroge le « tournant pédagogique » de l’art contemporain (à ne pas comprendre uniquement dans le sens de didactique) et son intérêt pour l’autogestion :
« Faire l’hypothèse que la co-création vie la cogestoin voire l’autogestion conduit à assumer concrètement un des objectifs des pédagogiques émancipatrices dont ces pratiques se revendiquent : le partage du pouvoir et du savoir et la remise en cause de la division du travail pré-assigné, dans une perspective de transformation sociale »
L’ouvrage fait échos à Politiser l’enfance (éd. Burn Août, 2023) qui, lui aussi est un objet esthétique en tant que tel, et donne une place importante aux artistes pour réfléchir à l’enfance et à la pédagogie (d’ailleurs, on y trouve une contribution de Marie Preston). Si la dimension artistique de la problématique peut ne pas intéresser les éducateurs·rices, il semble salutaire à la fois que d’autres acteurs·rices s’intéressent aux questions d’enfance et de pédagogie et offre aux pédagogues des ouvrages esthétiques mettant en valeurs des pratiques pédagogiques alternatives, ayant peu voire pas de visibilité.
à ville nouvelle, architecture nouvelle et pédagogie nouvelle
« Dans les années 1960-70, l’échec scolaire est un questionnement dans une société où l’école répond jusqu’alors parfaitement à ses missions, explique André Virengue dans un texte. Quelle organisation scolaire permettrait le mieux de lutter contre cet échec ». L’époque est en effet confronté à la nécessité d’adapter l’école à de nouvelles attentes en termes de démocratisation scolaire. On construit beaucoup d’écoles, notamment dans les villes nouvelles et « à ville nouvelle, architecture nouvelle, pédagogie nouvelle ».
Au sein des institutions, des pédagogues, notamment proche du GFEN (comme Robert Gloton qui est inspecteur, Roger Gal puis Jean Foucambert à l’Inrp), impulsent la création d’école « expérimentale », dérogeant à l’obligation de respecter les programmes et à l’évaluation individuelle des enseignant·es par les inspections. Se forment des équipes pédagogiques, souvent hétérogènes, mais engagé ensemble dans un travail d’équipe tout à la fois créatif et réflexif : « des expériences qui tiennent autant de la création collective que de la transmission » écrit Jean Foucambert.
Dans ces écoles, souvent dites ouvertes en raison de leur lien avec leur environnement mais aussi parfois en raison de leur architecture, s’inventent des pédagogies originales où « l’enseignant se met en position d’inventer constamment à partir de ce qui se passe » précise François Deck discutant avec Raymond et Rolande Millot (des écoles de la Villeneuve). L’émancipation en ligne de mire, c’est expérience pédagogique ne s’enferme pas « dans les techniques » (comme certains pédagogues Freinet selon eux). « Ce n’était pas la technique qui nous intéressait ».
création collective et autogestion pédagogique
Marie Preston s’intéresse ensuite à des symboles de ces expériences. La table de la salle des maîtres et maîtresses de l’école Vitruve, surnommé l’arbre à palabre, incarne l’organisation autogestionnaire de ces écoles où les décisions sont prises ensemble et les responsabilités sont tournantes. L’autogestion remet en question les places établies puisque c’est un idéal de participation de toutes les personnes présentes dans l’école (enfants, enseignant·es, parents, agents d’entretien, animateurs·rices) qui est visé. Cette autogestion pédagogique est d’autant plus forte que la pédagogie « de projet » pratiquée dans ces écoles remet en question les frontières entre le scolaire et le péri-scolaire. Une année, à l’école Vitruve, les enfants montent un restaurant pour les gens du quartier : iels gèrent les menus, les courses, la préparation, le ménage et la comptabilité. Il s’agit selon Jean Foucambert d’un « travail productif » au sens où il est « une activité grandeur réelle conduite à l’intérieur du corps social par un groupe dont la production est attendue en tant que répondant à un besoin et non comme une occasion d’apprendre ».
Dans ces « activités de production », la gestion matériel de l’école contribue fortement à l’autogestion pédagogique de ces écoles ouvertes. Le journal de l’école des Charmes (à la Villeneuve, Grenoble) Des enfants s’en mêlent, est aussi un exemple d’activités de productions. Il a rôle quant à la réflexion et l’intervention politique des enfants dans leur école et leur quartier. « Le journal est un moyen recouvrant plusieurs fins : pédagogiques, littéraires, informationnelles, démocratiques. Il vise également une réelle transformation sociale : application des droits de l’enfant, mise en œuvre de la coéducation en impliquant les parents, ou aussi très simplement réparation d’équipements publics ».
Ces écoles ont été des lieux d’expérimentations et d’inventions collectives : on y pratique les « cycles » avant l’heure, et s’y développent des BCD. A l’école de Villeneuve d’Ascq, il n’y a plus de salles par classe, mais des « maisons-matières » dédiés à des apprentissages spécifiques où les enfants circulent librement.
une mémoire pour aujourd’hui
Inventer l’école, penser la co-création permet de transmettre la mémoire de ces expériences pédagogiques. Elles peuvent aujourd’hui être inspirante à plusieurs titres : tout d’abord sur l’inspiration autogestionnaire, la constitution de “collectif de travail” et la contestation des hiérarchies qu’elle induit, qui comme l’écrit Jacqueline Triguel dans son dernier livre (Caporaliser, exploiter, maltraiter), semble être la meilleure réponse à la violence managériale. D’autre part, les pédagogues du livre parlent d’émancipation sans user d’un vocable naturaliste ou spontanéiste, encore aujourd’hui trop présent dans les « pédagogies alternatives ». Par ailleurs, si la pédagogie présentée se veut volontiers une pédagogie « de la production », elle n’enferme pas les élèves dans la tâche mais au contraire, insiste sur l’importance de la réflexivité et de la théorisation, pour les adultes comme pour les enfants. Dans l’école Prévert de Villeneuve d’Acsq, c’est d’ailleurs le rôle des temps obligatoire d’« enseignement » et du tutorat qui visent la « mise en forme » et la « théorisation » des savoirs.
La lecture du livre de Marie Preston nous fait mesurer l’ampleur de la régression pédagogique que nous fait vivre le gouvernement. Ces expériences doivent certainement aussi être critiquées, toutefois à l’heure de la lutte contre le « choc des savoirs », leur mémoire nous donne de la force.