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Notes de lecture : en les aidant, empêchons-nous les élèves de travailler ?

Avec le Collectif une seule école (1), nous continuons le travail de réflexion et de construction de pistes pour une école réellement accessible à toutes et tous.

Dernièrement, j’ai lu cet article, qui donne vraiment matière à réflexion sur le travail avec les élèves en difficulté et/ou les élèves handicapé·es :

« Pratiques d’enseignement faisant obstacle à l’autorégulation d’élèves institutionnellement déclarés à besoins éducatifs particuliers : quelques conditions pour leur permettre d’être autrement capables ».

Quand trop aider pourrait empêcher les élèves de penser et de progresser par elles/eux-mêmes

Le questionnement de départ, déjà, n’est pas courant : nos postures d’aide ne constituent-elles pas des obstacles aux progrès des élèves, sur le plan de l’engagement dans la tâche et de l’apprentissage de l’autorégulation ? Ne crée-t-on pas une dépendance entre la difficulté et l’aide apportée ? Ne freine-t-on pas l’autonomie des élèves en leur fournissant une aide parfois automatique, parfois impensée ? Ne les empêche-t-on pas de prendre eux-mêmes et elles-mêmes la mesure du travail qui les attend, et de surmonter les sentiments de peur ou d’incompétence éprouvés devant les obstacles ?

Concernant l’enseignement spécialisé, domaine qui intéresse particulièrement le Cuse, la question se pose davantage encore, selon les auteurices, en raison du détachement par rapport aux programmes, de l’absence d’échéances évaluatives et certificatives et de la volonté accrue de travailler les compétences sociales comme de simplifier la tâche des élèves pour ainsi éviter, pense-t-on, le décrochage sous ses différentes formes (passivité, absentéisme, agitation, etc.).

L’article parcourt alors (de manière évidemment non exhaustive) les différentes formes d’aides que nous apportons aux élèves, avec toute leur ambivalence : construites pour enclencher et soutenir le travail des élèves, elles peuvent en effet avoir pour conséquence de nourrir leur désengagement face au travail.

« Ces pratiques d’aides, écrivent les auteurices, consistent souvent à simplifier la tâche ou à prendre en charge une partie de sa résolution : décomposer la démarche de résolution d’un problème, dicter chaque étape que l’élève doit exécuter, fournir une réponse intermédiaire sans inciter l’élève à chercher, ou encore induire la réponse amenant l’élève à “faire correctement mais pas pour la bonne raison” (Heward, 2003), effet Topaze fréquent en enseignement spécialisé. Ces interventions apparaissent au fil des situations, sans plus de structuration, au gré des appels d’élèves qui “râlent lorsque l’enseignante tente de différer son aide” ou qui déclarent, durant les entretiens, ne rien faire, attendre, quand on ne les aide pas. »

Dans les dispositifs spécifiques d’enseignement spécialisé (je pense que cela renvoie aux Segpa, aux Ulis ou aux UPE2A -2-), cela prend plus d’ampleur encore du fait de ce que les auteurices appellent le « contrat social implicite d’assistance » : en orientant les élèves vers le spécialisé, nous les enfermerions dans l’idée que, sans ces aides, elles et ils ne parviendraient pas à aller au bout du travail, à réussir leur parcours scolaire, d’où une sollicitation accrue, voire systématique, de l’aide de l’enseignant·e, à la moindre tâche perçue comme contraignante.

L’article aborde ensuite des pistes pour surmonter ces écueils.

Il y a ces gestes professionnels que l’on connaît mais que l’on peut avoir tendance à oublier, et qui permettent pourtant aux élèves de construire le sens des apprentissages et de mieux s’y engager par elles/eux-mêmes : expliciter les objectifs et les savoirs visés, faire des liens entre activités passées, présentes et à venir, installer des rituels (dans la journée, dans la semaine) permettant de stabiliser les apprentissages et d’éviter les sentiments d’incertitude face au travail.

Il y a également la manière dont on peut transformer le « contrat social implicite d’assistance » en « contrat pédagogique explicite de régulation des apprentissage […] en créant et ritualisant des conditions qui structurent la demande et l’octroi d’aides sans compromettre l’activité d’apprentissage ».

Et c’est cela qui m’intéressait particulièrement, à la fois dans le cadre du travail du Cuse et dans le cadre de mes pratiques du Plan de travail en pédagogie Freinet, où je constatais pareille sur-sollicitation de la part des élèves.

Quelles pistes, alors ?

– penser en amont les difficultés que pourraient avoir les élèves, et donc penser les aides à apporter au lieu de les improviser sur le tas et de les multiplier, sans forcément de cohérence avec les objectifs et savoirs visés ;

– ritualiser les modalités de demande et d’octroi de l’aide (par exemple, un temps dédié, mais après avoir lu les consignes et déterminé les éléments importants) ;

– instaurer différents niveaux d’aide, pour permettre une progression à atteindre conceptualisable pour l’élève (aide de l’enseignantE, d’unE camarade, d’un outil, seulE) ;

– mettre en place « un coin où l’on explique autrement », délimité dans l’espace classe et dont l’usage sera également délimité dans le temps durant la séance ;

– « Faire préciser dans toute demande d’aide, les actions faites, les aspects compris et non compris. »

– déterminer un nombre d’aides selon la tâche à effectuer, pour éviter la systématisation de la demande et favoriser l’autogestion.

Ce sont effectivement des pistes intéressantes pour repenser la manière dont nous intervenons auprès des élèves lorsqu’elles et ils sont confronté·es à un obstacle afin de leur apporter l’aide nécessaire pour à la fois surmonter l’obstacle mais aussi gagner en autonomie.

Cet article évoque donc les stratégies didactiques et pédagogiques possibles pour éviter d’enfermer les élèves dans l’horizon limité de la difficulté scolaire et donc d’un potentiel qui serait inévitablement restreint. Les professionnel·les de l’éducation savent à quel point cela peut être ardu avec certain·es élèves dont le parcours a été si chaotique et la souffrance à l’école telle que retrouver un début de confiance en leurs capacités paraît parfois une tâche insurmontable, à construire patiemment, et même sur plusieurs années.

Au-delà de la pédagogie, les empêchements construits par l’institution…

Ces considérations ayant été abordées, avec des modalités de travail à tester et à affiner, un problème demeure, que les auteurices font sciemment le choix de ne pas traiter car il relève à la fois de l’organisation institutionnelle et de choix politiques affirmés, mais paraît essentiel dès lors que l’on revendique que l’école soit accessible à toutes et à tous, de manière égalitaire et sans discrimination.

De fait, si l’on estime que nos gestes professionnels (didactiques, pédagogiques, éducatifs) risquent parfois de limiter le potentiel des élèves en les enfermant dans une posture de demande d’aide systématique, arrêtons-nous un moment sur la situation de ces jeunes ou de ces enfants ; handicapé·es ou non, qui, à 3 ans, 6 ans, 11 ans, sont placé·es dans des établissements spécialisés ne relevant pas de l’enseignement, sans autres pair·es que d’autres enfants handicapé·es également, ou celles et ceux qui, avant même l’adolescence, sont orienté·es vers un enseignement spécialisé débouchant sur moins de matières enseignées, moins de filières accessibles, moins d’années d’études, moins de métiers atteignables, dans des salles – parfois des locaux – à part, avec un calendrier annuel différent.

N’est-ce pas là, spatialement et institutionnellement acté, pédagogiquement construit, un enfermement de ces jeunes dans un horizon scolaire restreint, avec des perspectives limitées ? N’est-ce pas là un confinement à une seule vision défectologique de leurs capacités, qui met l’accent sur les troubles, les manques et les difficultés, justifiant ce qui est en réalité éthiquement contestable, à savoir la ségrégation de ces jeunes hors des parcours ordinaires, voire hors de l’école ?

Cette question heurte, assurément, et en particulier les professionnel·les qui travaillent dans l’enseignement ou dans les instituts spécialisés. Mais nous, pédagogues et militant·es revendiquant une école égalitaire et émancipatrice, nous devons nous y confronter et ne pas conserver cet angle mort dans lequel des milliers d’enfants demeurent, loin de l’école, de l’éducation et exclu·es de la société.

Jacqueline Triguel, collectifs Questions de classe(s) et Cuse, militante à SUD éducation 78.

1- Cuse : voir le texte fondateur du collectif, la Tribune du Collectif Une Seule École (Cuse)

2- Segpa : section d’enseignement général et professionnel adapté où les élèves sont orienté·es à partir de la fin du CM2 (10-11 ans!) et ceci, de manière quasi définitive car rares sont celles et ceux qui retrouvent le chemin de ce qu’on appelle l’enseignement ordinaire, ou général. Les élèves bénéficient d’un enseignement professionnel à partir de la 4e, mais n’ont pas de 2e langue vivante et voient leurs possibilités d’orientation extrêmement réduites (des CAP réservés dans certaines académies, quelques bac pro).

Ulis : unité localisée pour l’inclusion scolaire des élèves handicapée·s. Les élèves sont orienté·es en Ulis à tout âge et bénéficient d’un enseignement adapté, avec quelques inclusions en classe ordinaire. Il et elles ne suivent pas le même programme que leurs pair·es, ne passent pas les mêmes examens et ont une orientation tout aussi limitée, voire plus, que les élèves de Segpa.

Dans les UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivant·es), les élèves sont scolarisé·es pour un temps déterminé (un an) et bénéficient d’inclusions obligatoires dans plusieurs disciplines (anglais, maths, EPS, arts). Après un an, elles et ils sont scolarisé·es en classe dite ordinaire.

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