Inclus dans la Nouvelle Questions féministes n°43, « Féminisme aux risques du sport », cet article de Bastien Pouy Bidard pose la question des expériences des femmes trans avec le sport, et plus particulièrement à l’école, dans une discipline où, constate l’auteur, les normes sexuées sont toujours très présentes, que ce soit dans la présentation des activités sportives, dans les attentes des enseignantEs et dans leur manière de motiver les élèves.
Quelles activités choisir ? Quelles sont les normes en vigueur ? Faut-il s’y soumettre pour être acceptée en tant que femme ? Comment en sortir ? Et les vestiaires, où aller, que demander aux enseignantEs ?
Un article qui creuse ces questions, sans trancher, avec la lucidité que dans leur parcours de transition, les jeunes peuvent être entravéEs par un milieu scolaire encore trop imprégné de stéréotypes de genres.
Article à lire en ligne : Bastien Pouy Bidard
https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2024-1-page-26?lang=fr
Introduction
« À l’aube des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 demeure en suspens l’un des nouveaux « défis de l’Olympisme » (Augustin et Gillon, 2021 : 173) : celui de trancher sur les modalités de participation des femmes trans aux différentes épreuves de cette manifestation sportive. Largement « accusées de former une concurrence déloyale » (Habib, 2021 : 13), l’intégration des sportives trans au sein des catégories féminines divise. Des sportives cis n’hésitent pas à prendre la parole, à l’instar de Martina Navratilova qui, dans le quotidien The Times en 2019, dénonce « les règles concernant les athlètes trans » qui, selon elle, « récompensent les tricheurs et punissent les innocentes ». Des sportives trans contre-argumentent : en 2023, la jeune sprinteuse et femme trans, Halba Diouf, déclare sur son compte Instagram qu’« exclure les femmes trans nuit à TOUTES les femmes ».
La transidentité semble être « à l’origine d’un clivage important [dans] les mobilisations féministes » (Beaubatie, 2020 : 141). Certaines positions, héritières de la pensée de Janice Raymond et inspirées par son ouvrage The transsexual empire : the making of the She-Male (1979), tendent à considérer que les femmes trans ne sont pas des femmes. En réponse à cette exclusion se développe, dès la fin des années 1990, un mouvement transféministe. Son aspiration initiale est de construire un féminisme « par et pour les femmes transgenres » (Koyama, 2003 : 245) néanmoins « inclusif et intersectionnel » (Alessandrin, 2018 : 122). Les transféministes « considèrent que leur libération est intrinsèquement liée à la libération de toutes les femmes » (Koyama, 2003 : 245). Il s’agit de combattre en bloc L’Ennemi principal (Delphy, 1997, 2001), ce dernier « étant non pas les hommes en tant qu’individus […], mais le patriarcat en tant que système structurel » (Beaubatie, 2020 : 143). Pour les transféministes, « le sujet n’est pas tant les trajectoires trans […], mais l’environnement qui les isole » (Thomas, 2015 : 56). À l’instar de certain·es féministes, elles et ils tendent également à déconstruire le « système de croyances, dont le principe d’une détermination biologique est le pivot » (Hurtig, Kail et Rouch, [1991] 2002 : 13). En somme, cette finalité transféministe conduit la chercheuse Maude-Yeuse Thomas (2015) à théoriser l’émergence d’un « postféminisme » (p. 55) reconnaissant des identités intersectionnelles (Crenshaw, 2005).
En 2023, force est de constater une véritable évolution des transféminismes, portée par une jeunesse particulièrement active (Pullen Sansfaçon et al., 2020). Dans les établissements scolaires surgit une « révolution transféministe » (Pouy-Bidard, 2023 : 131) de surcroît particulièrement dynamique dans le contexte des activités physiques, sportives et artistiques (APSA) pratiquées en éducation physique et sportive (EPS). Communément reconnue comme une discipline annonciatrice dans le champ des études de genre en éducation, l’EPS semblerait être un fer de lance pour penser l’inclusion scolaire des jeunes trans. Contrainte dès 1981 à rompre avec la tradition sportive, la discipline renonce à des finalités, supports d’enseignement et contenus différenciés entre les sexes (Carpentier, 2009) : elle s’adapte. Par homomorphisme scolaire (Arnaud, 1989), l’EPS se transforme : elle ne se confond plus avec le sport et s’éloigne du « champ culturel masculin [en l’occurrence, sportif et compétitif] » (Vigneron, 2006 : 114). La promotion d’« une “sportivité” féminine [et] masculine » (Davisse et Louveau, 1998 : 57) s’affaiblit. Quarante ans plus tard, l’EPS demeure néanmoins une actrice à part entière dans « l’apprentissage du genre » (Ottogalli-Mazzacavallo et Liotard, 2012 : 93). Dans cette discipline, l’intériorisation en actes des normes de genre persiste. Pour autant, 2021 semble ouvrir le chapitre d’une nouvelle EPS, dans laquelle la linéarité sexe-genre est bousculée. La circulaire « pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire » (Ministère de l’éducation nationale, 2021 : 10) contraint de manière inédite à (re)penser la discipline. Les élèves trans semblent en outre en être les protagonistes : elles et ils contestent explicitement le système de genre bicatégoriel qui essentialise les identités « femme » et « homme ». Louise, une jeune fille trans rencontrée dans le cadre de l’enquête sur laquelle s’appuie cet article, semble témoigner de cette résistance dans les APSA : s’agit-il pour autant d’une contestation transféministe ? Je propose d’investiguer cette question de recherche en posant une hypothèse en ce sens : présupposer l’existence d’une subversion des normes de genre dans la discipline, mettant en exergue la convergence des postulats féministes et transféministes ».
Plan de l’article :
- Transféminismes, école, EPS
- Investiguer les expériences d’une jeune femme trans en EPS
- Positionnements transféministes et conduites cisgenres en EPS
Article à lire en ligne : Bastien Pouy Bidard
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La revue : Nouvelle Questions féministes n°43, « Féminisme aux risques du sport »
Présentation du numéro
En cette année de Jeux Olympiques, va y avoir du sport ! Mais ce que ne dit pas la chanson, c’est qu’en matière de sport, l’égalité – pourtant posée en principe central de l’éthique du fair play – semble s’arrêter aux portes de l’ordre du genre. Quelles sont les conséquences de la compétition sportive sur les relations humaines, ou sur les corps ? Les pratiques physiques et sportives sont-elles incompatibles avec les principes féministes de partage, de soutien, de défense des droits des personnes vulnérables ?
C’est avec la volonté d’apporter des pistes de réflexion sur ces questions que ce Grand angle de la revue Nouvelles Questions Féministes prend à bras le corps les liens entre genre, féminismes et pratiques sportives.
https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2024-1?lang=fr