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Enfants-bolides, collectif explosif : faire redescendre la tension

Il arrive en retard et fait tomber stylos et cahiers des camarades en allant s’installer, tantôt avec un air espiègle, tantôt avec agressivité.

Elle entre dans la classe en bousculant les autres, en donnant des tapes derrière la tête de quelques élèves.

Chacune de ses interventions réfute la parole des autres, ou les règles de la classe.

Il ne trouve sa place dans aucune des activités proposées. Certaines fois il essaie, mais chiffonne sa feuille après quelques minutes. Le plus souvent, il ne travaille pas et cherche à se distraire et à provoquer les autres.

Elle refuse toute forme d’échanges, que ce soit en grand groupe ou en entretien individuel : souvent, c’est par l’agressivité verbale (elle coupe la parole, conteste chaque mot utilisé, parle de plus en plus fort), parfois elle adopte un silence hostile et regardant chacun·e avec défi.

Il emprunte les affaires de ses camarades, les casse, les rend en mauvais état, ne comprend pas en quoi ce n’est pas acceptable.

Elle se moque des autres, n’a pas d’empathie lorsque ses camarades montrent leur tristesse ou leur colère

Tout peut générer un conflit soudain avec cris, protestations, rires incontrôlés, jets d’objets, sortie de cours.

Elles et ils font peur à leurs camarades, parfois même aux professeur·es, qui ne savent plus comment les aborder.

(Re)Connaître les enfants-bolides…

Ces enfants-bolides, comme on les désigne dans la pédagogie institutionnelle (1), chacun·e d’entre nous peut les (re)connaître, pour les avoir déjà croisé·es dans les classes avec lesquelles nous avons travaillé.

« Les élèves qui ne rentrent pas dans la symbolisation, celles et ceux qui n’ont pas pu dans leur histoire personnelle mettre en pratique les lois fondatrices du vivre ensemble vont devenir des “enfants bolides”. Ces enfants-bolides errent dans le groupe et foncent dans toutes les directions à toute allure sans pouvoir s’arrêter, sans pouvoir tenir compte des autres. Ils sont jetés au milieu des autres, mais ils ne sont pas avec les autres », écrit Andrés Monteret (2). Avec ces jeunes, rien ne semble avoir d’effet ou de prise : ni la bienveillance ni le rappel ferme des règles de vie. Toute limitation est source de contestation de leur part, toute autorité est source d’opposition et de destruction. Le dialogue même semble impossible.

La pédagogie institutionnelle le rappelle : c’est l’histoire personnelle de l’élève – une histoire personnelle faite d’événements difficiles comme d’inconscients qui nous échappent – qui peut empêcher cette entrée dans le vivre ensemble de la classe.

Mais parfois, c’est aussi la somme du parcours scolaire, notamment au collège et au lycée, qui fait s’empiler les obstacles et s’accroître la défiance vis-à-vis de l’institution : punitions, sanctions, remontrances incessantes, exclusions sous toutes ses formes, rejet hors de l’école, déceptions innombrables, etc. Les enfant-bolides sont inscrit·es à l’école, mais peuvent avoir cette impression d’être sans cesse poussé·es hors de l’école.

Dès lors, le travail commun et collectif ne peut être que difficile à (re)construire.

Au risque de la désintégration du collectif et de la relation pédagogique

De plus, le contexte dans lequel nous travaillons peut nous empêcher de reconnaître ces enfants-bolides et donc de les accompagner au mieux dans leur parcours scolaire. Les conditions de travail, qui se dégradent d’année en année, avec des classes surchargées et de moins en moins de temps d’échanges collectifs, nous empêchent de penser et de construire des milieux plus favorables aux apprentissages de tou·tes. Elles nous donnent l’impression de subir notre travail ou notre parcours scolaire.

Ces empêchements à penser, qui sont empêchements à travailler et à étudier peuvent mettre toute la communauté scolaire en souffrance. Souffrance d’aller à l’école pour en être rejeté·e, souffrance de ne pas pouvoir accompagner dignement tou·tes les jeunes, souffrance de devoir punir et sanctionner, souffrance dans la tension quotidienne que génèrent de telles conditions de travail, qui ne relèvent en aucun cas de la responsabilité des élèves.

Et c’est cela que nous avons tendance à oublier ou que l’institution – dans sa manière de nous abandonner ou de stigmatiser certain·es jeunes – nous pousse à oublier : les élèves ne sont pas responsables. Ils et elles réagissent à un milieu qui ne leur est pas favorable et qui, souvent, ne parvient pas à prendre en compte leur individualité et la sinuosité de leur parcours.

Dès lors, la souffrance et la violence s’installent.

L’escalade de violence réciproque : refus de travailler, opposition hostile, contestations incessantes, violences verbales et/ou physiques, envers les autres élèves et/ou envers les adultes ; escalades dans la contrainte des élèves : « serrage de vis » ; remontrances permanentes ; stigmatisation de certain·es dans le groupe classe ; paroles et pratiques d’humiliations ; isolement ; exclusions ; rancœurs.

L’escalade de souffrances, allant jusqu’au désengagement professionnel ou au burn out d’un côté, ou à la phobie scolaire ou à l’absentéisme de l’autre.

De cette escalade qui nous enferme dangereusement, il peut être difficile de sortir si nous n’arrivons pas à prendre du recul, si un regard extérieur ou des temps d’échanges collectifs ne nous aident pas à avoir ce recul.

Quelles pistes professionnelles ?

Dans cette spirale qui peut vite devenir paralysante, nous pouvons essayer de nous rappeler que nous ne sommes ni les seul·es ni les premièr·es à vivre ces situations. Nos collègues sont concerné·es et peuvent être des appuis si nous arrivons à créer la possibilité de l’échange. Par ailleurs, bien d’autres pédagogues avant nous ont vécu et pensé ces situations. Elles et ils constituent ainsi autant de ressources pour avancer, à petits pas, avec les élèves.

La pédagogie Freinet permet par exemple de recréer un collectif de travail et de coopération solidaire, tout en individualisant les approches, ouvrant également la voie de l’expression et au travail libres de chaque élève.

Les pédagogies critiques et radicales orientent notre regard et nos pratiques sur les oppressions qui se jouent dans et hors l’école et qui influent, inévitablement, sur les apprentissages et sur les relations interpersonnelles.

La pédagogie institutionnelle, enfin, souligne que, dans un contexte éducatif, toute relation duelle (adulte/élève) est vouée à l’échec et que c’est la médiation (par le collectif, par la culture, par les institutions) qui peut nous aider à rétablir ou à construire un équilibre dans le groupe, en faveur des apprentissages.

Ces pédagogies nous rappellent qu’un·e enfant, même lorsque nous avons envie de ne le/la voir que comme élève, reste un·e enfant que nous devons regarder, écouter, considérer dans son entièreté, afin de l’accompagner au mieux.

Lorsque les relations se tendent, que nous nous sentons désemparé·es et dépassé·es, ces pédagogies peuvent esquisser des pistes nous conduisant vers le « (r)établissement de réseaux, de circuits, dans lesquels chacun puisse être conduit à trouver et à prendre place. Il s’agit là, fondamentalement, de l’articulation d’institutions, de dispositifs de médiation, dont le sens n’est autre que de soutenir et de favoriser les échanges, de nouer et/ou de renouer, selon les termes de François Tosquelles, le “contrat social” » (3).

Alors assurément, le chemin ne sera pas facile : il y aura bien des résistances de la part des élèves-bolides et du collectif classe. Il y aura aussi un combat à mener contre nous-mêmes, contre nos réflexes de protection, d’autoritarisme quand des comportements nous heurtent, nous remettent en question, nous violentent. C’est là que l’échange avec nos pair·es est indispensable pour sans cesse nous rappeler que ce n’est pas de nous dont il est question, pas plus qu’il n’est question d’une relation d’individu à individu, même quand l’élève veut nous forcer à entrer dans ce genre de relation conflictuelle.

Quand les relations se tendent en classe, il nous faut chercher, avec les élèves, nos collègues et les récits d’expériences pédagogiques, quelles médiations installer pour sortir du face-à-face et recréer un climat propice à l’accueil digne de chacun·e et aux apprentissages de tou·tes les élèves.

Ainsi commence le début d’une nouvelle chronique « paroles d’élèves, pratiques de profs », avec des récits de pratiques à venir.

Mais déjà, la lecture des articles suivants peut nous soutenir dans nos réflexions et dans nos pratiques futures :

Paroles de filles (extrait de la brochure pédagogique de SUD éducation)

La médiation par l’Histoire, par les histoires Chronique de Louise Thierry – N°4 Ecrire des histoires pour connaitre notre Histoire ou Chronique de Louise Thierry n°3 – La fiction historique

Quand la vie et la littérature entrent en résonance

Par le débat (philosophique) L’imprévu #5 – 8 Mars / Paroles d’élèves, par Claire Corbac

L’art et les violences sexuelles : une tentative d’usage critique des nouveaux programmes en lycée (lettresvives.org)

Chroniques du genre en cours préparatoire #5 : Le consentement, conseil d’élèves et éducation à la sexualité (questionsdeclasses.org)

Chronique de Louise Thierry – Tortue géniale ? (questionsdeclasses.org)

Une place dans la classe ?

J.T. (des initiales, parce que les ados ont parfois la curiosité de chercher leurs prof sur internet et je ne voudrais pas qu’iels se sentent stigmatisé·es en tombant sur cet article).

(1) Pour une définition de la pédagogie institutionnelle par un de ses pédagogues :

http://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Definition_PI.html

(2) Andrés Monteret, Les Chemins du collectif, collection Libertalia n’Autre école, p.63.

(3) « La violence à l’école et le psychologue » Francis Imbert et Michèle Taouil, in Migrants formation, n°103, 1995, p.7.

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