Maya zone dans les couloirs de l’école. Maya est toute de noir vêtue. Maya ne veut rien.
Cela fait deux ans que régulièrement je croise Maya dans les couloirs de notre école, tantôt devant l’bureau d’la directrice, tantôt dans l’recoin d’la cage d’escalier, tantôt au beau milieu du préau de l’école. Maya se cache… derrière un rideau de cheveux, en boule sous son manteau, prostrée sur le sol. Maya est insolente, se bouche les oreilles, donne quelques coups de pied dans les murs.
Cette année, Maya est dans ma classe. C’est sa dernière année d’école primaire. CM2.
Les années passent et Maya grandit, avec son mal-être.
Depuis jeudi 1er septembre, Maya ne parvient à passer que l’équivalent de deux journées et demi d’école à l’intérieur de la classe. Et encore, la moitié du temps endormie sur sa table. Souvent, je ne sais même pas si elle est entrée dans l’école. Parfois, je l’aperçois au hasard d’un regard jeté par la fenêtre au beau milieu
du cours d’EPS d’une autre classe. Une fois, elle passe l’après-midi entier à colorier, dans le bureau des anim’ du périscolaire.
Les années passent et nous tentons mille choses, sans que jamais rien n’aboutisse.
L’année dernière, elle aura été la charge mentale principale de son enseignante. Maya a laissé sa trace dans cette classe ; sur une table est gravée Je veux me suicider.
Cette année, elle est déjà une charge mentale majeure pour moi. Maya m’échappe et j’ignore où elle va, où elle est.
Elle écrit un texte libre puis l’efface, consciencieusement.
Elle déclare ne rien comprendre puis s’endort, profondément.
Elle boude à la cantine puis se recroqueville, tristement.
Vendredi 2 septembre, je présente ce que sera le Quoi de neuf du lundi.
Maya lève la main ! Je peux apporter ma tortue au Quoi de neuf ? Oui, bien entendu. Si ta maman est d’accord et si tu l’apportes dans un récipient où elle a tout ce qu’il lui faut pour la journée.
Lundi 5, Maya est venue sans tortue : elle n’était pas sûre. La semaine est compliquée. Maya zone dans les couloirs de l’école. Le cahier de correspondance n’est pas signé. Le matériel n’est pas là. Les parents, fuyants, ne répondent jamais au téléphone.
Vite on fixe une équipe éducative pour la fin de la semaine suivante, pour reprendre ce qui a été préconisé l’année dernière, tenter une énième fois de mobiliser les parents. En tout cas, aucun soins préconisés en juin n’ont été mis en place durant l’été par la famille. C’est d’une injonction dont on a besoin.
Que puis-je, moi seule, pour cette enfant-là ?
Lundi 12 septembre, Maya est là ! Une boite à chaussure trouée à la main, sa tortue dedans. Lundi 12 septembre sera la première journée de l’année scolaire que Maya passera intégralement dans la classe : elle surveille du coin de l’oeil que tout aille bien pour sa tortue.
Me vient cette idée saugrenue : Et si la classe adoptait la tortue de Maya pour quelques temps ? A qui j’en parle, sur tous les modes, on me répond Il faut essayer.
Mais c’est saugrenu parce que je ne sais pas si c’est autorisé à l’école.
Mais c’est saugrenu parce que la tortue en question est une espèce protégée et n’a rien à faire là.
Mais c’est saugrenu parce que nous n’avons rien pour accueillir dignement cet animal.
J’ai 100 balles de coop et un terrarium équipé correctement ça coûte environ 100 balles.
Mais mardi 13 septembre Maya revient avec sa tortue et reste à nouveau dans la classe toute la journée.
Mardi 13 septembre, sur la pause de midi, la nouvelle IEN vient aussi se présenter à l’équipe. Alors je la sollicite, me disant que sa présence à l’équipe éducative est nécessaire si l’on veut avancer pour Maya. C’est d’une présence pour Maya dans la classe dont on a besoin. Alors je lui parle de la tortue AESH, me disant qu’elle se représentera ainsi où on en est rendu. Bravo madame, vous
avez trouvé un truc, continuez !
Madame l’IEN, où est le terrarium ?….
Alors oui, je fais entrer la vie dans ma classe et parfois cela produit quelque chose.
Mais devrais-je vraiment toujours accepter de le faire seule et sans moyens autres que trop souvent mes ressources exclusivement personnelles ?
Mercredi 14 septembre, Maya est arrivée à l’école sans sa tortue ; elle n’est pas entrée en classe…
Louise Thierry