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« Démocratisation des études : lutte contre les inégalités ou mythe de la volonté et des capacités des élèves ? »

Une découverte intéressante que cet article de Geneviève Mottet, Démocratisation des études et empowerment | Cairn.info publié dans la revue en ligne Spirale n°66, Empowerment, pouvoir d’agir en éducation. À la croisée entre théorie(s), discours et pratique(s) | Cairn.info de 2020. (Edit : certains liens sont barrés mais sont actifs en réalité, problème technique étrange, désolée…)

Pour sa recherche, l’autrice a questionné plusieurs dizaines d’enseignantEs suisses du premier degré à partir des interrogations suivantes : que pensez-vous de la démocratisation des études ? Est-elle un acquis ? Est-ce une politique du département aujourd’hui ? Dans quelle proportion, pensez-vous que vos élèves poursuivront de longues études ? Pourquoi ? Pensez-vous que tous devraient poursuivre de longues études ? Pourriez-vous me parler d’un-e élève en situation complexe ?

L’article résonne avec les pratiques françaises (orientation, propos sur les élèves et les familles, difficultés à tenir compte du caractère politique de nos actions pédagogiques et éducatives, sentiment d’être démuniEs et désemparéEs devant le manque de moyens pour accompagner toustes les élèves, etc.), notamment au collège.

L’analyse des réponses met en effet en lumière la manière dont, pour justifier le parcours scolaire de certainEs élèves, nous pouvons évacuer les facteurs sociaux pour mettre en avant les responsabilités individuelles des élèves et les responsabilités familiales, un piège dans lequel nous pouvons aussi tomber aussi parce que ces explications rassurent et permettent sans doute d'”adoucir les désillusions résultant des constats sociologiques montrant la persistance des inégalités sociales“, écrit Geneviève Mottet, d’adoucir le sentiment de ne pas pouvoir faire plus pour les élèves. Parfois même, nous en venons à naturaliser la difficulté/capacité intellectuelle et scolaire. Comme une question de « dons » que les élèves auraient ou n’auraient pas, dons qu’il s’agirait de développer en orientant rapidement les élèves, au lieu de chercher prioritairement à construire de nouvelles compétences. De fait, cette tendance peut nous conduire à remettre en question la poursuite d’études pour toutes et tous, voire l’école pour toutes et pour tous, et à souhaiter des étapes d’orientation placées plus tôt dans la scolarité, avec le développement de l’apprentissage en entreprise, même à un âge précoce.

La difficulté scolaire peut ainsi être totalement dépolitisée et réduite à une question de volonté – avec toute la charge culpabilisante qui l’accompagne – ou au mythe de l’inégalité des intelligences, avec tout l’imaginaire nauséabond qui l’a toujours accompagné pour justifier les inégalités/hiérarchies ethno-raciales, validistes, ou encore sexistes.

« Dans ces deux premiers registres, note Geneviève Mottet, celui des capacités, comme celui de la volonté, on observe comme Beckers (1994) que les enseignants attribuent en grande partie les difficultés à des causes externes à l’école ; soit à l’enfant et à la famille, et que ni le système scolaire et encore moins les pratiques des enseignants ne sont considérés par ces derniers comme pouvant être en lien avec les difficultés des élèves.[…] Nous pouvons dire que pour les enseignants “les individus sont bien sûr égaux, mais ils sont en quelque sorte différents avant d’être égaux”, ce qui les amène à légitimer la diversité des orientations et des carrières scolaires et à “déléguer” le pouvoir aux élèves, relativement à leur propre carrière et à leurs besoins perçus en termes de bien-être et d’épanouissement. L’orientation est pensée comme résultant d’une initiative personnelle, des envies ou des capacités (dons) alors même que les enquêtes montrent les effets des agents scolaires sur l’aspiration éducative des jeunes ainsi que leurs trajectoires de formation, que ce soit au niveau des interactions quotidiennes ou des décisions d’orientation (Cayouette-Remblière, 2014 ; Delay, 2018 ; Gomensoro & Bolzman, 2016). L’usage des notions de bien-être et d’épanouissement personnel participe sans doute à ce processus de responsabilisation vis-à-vis des publics à risque de désaffiliation scolaire et sociale, tout en mettant à distance les inégalités majeures qui impactent les trajectoires. L’empowerment semble ainsi être un mandat que les enseignants et l’institution attribuent aux élèves en tant qu’action individuelle, et n’est pas une stratégie collective de lutte contre les inégalités. »

En conclusion, face à ces constats peu engageants, mais qui ne disent qu’une partie de la réalité des pratiques dans les établissements, l’autrice esquisse des pistes pour la formation des personnels de l’éducation afin que soient mieux pris en compte les facteurs sociaux et politiques des inégalités scolaires et afin de développer un pouvoir d’agir sur le monde, un pouvoir de transformation sociale qui n’entérine pas les inégalités mais cherche à les réduire. Des idées qui peuvent nous inspirer au quotidien, dans notre travail et nos réflexions d’équipe!

L’article intégral est à lire ici : « Démocratisation des études et empowerment – Les carrières scolaires des élèves « à risque » au prisme de trois registres », par Geneviève Mottet.

Jacqueline Triguel, Questions de classe(s), SUD éducation 78.

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