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« Se méfier d’un homme qui tremble… »

On est en direct – France 2 – Samedi 5 février 2022

J’ai hésité un moment à écrire sur ce à quoi je venais d’assister , encore une fois dans mon canapé, histoire de vider ma tête. Encore une histoire de télévision. Une histoire de la société du spectacle qui s’enlise dans ses propres certitudes…

Fallait-il laisser passer les propos de Darmon, Beigbeder ou les blagues (toujours) douteuses de Ruquier ou les remarques d’une haute finesse de Salamé ? En fait, non.

Non pas pour répondre à leurs attaques groupées contre le créateur de Médiapart, mais en regardant tout cela comme une œuvre « en marche » visant à décrédibiliser celles et ceux qui déconstruisent en s’adressant à notre intelligence plutôt qu’à nos pulsions.

Car déconstruire n’est pas détruire. Eux, les pantins du système, tournent en ridicule cette intelligence du haut de leur tour d’ivoire, de leur mépris de classe, fait de copinage et nous feraient presque pleurer sur le sort d’un Balkany sur fond de musique mièvre d’une Carla Bruni qui nous parle de son « homme »… En bavant sur les médias qui dénoncent la destination des vacances de M. Blanquer, ils tentent de nous faire oublier le fond du problème. En nous infantilisant du même coup.

Celles et ceux là qui vivent grassement d’un système, qui s’en gavent jusqu’à la lie, en méprisant le bas de la pyramide et ce que chacun·e de nous tentons de protéger. Comme un Beigbeder au sourire lisse, à l’arrogance qui donne la nausée, s’interroge sur le manque de joie de la gauche actuelle (sic).

Edwy Plenel, vient donc sur un plateau du service public présenter son dernier ouvrage A gauche de l’impossible. Il est interrogé par Ruquier et Salamé. L’interview commence fort. On lui reproche presque de trop parler des Balkany. Edwy Plenel, avec ses yeux pétillants, et derrière sa célèbre moustache, explique, raisonne, tape dans l’intelligence des auditeurs. Parce qu’il la convoque en mettant du sens : sur notre moribonde Vème République, sur la nécessité impérieuse d’une presse libre au service de l’information. Il raisonne, fait de la grammaire, de l’historicité.

Sauf que là encore, il se retrouve dans un désert, face à un vide abyssal, seul au milieu de tartuffes imbéciles : en plein cœur de la médiocratie1, au cœur de la «fabrique des imposteurs 2» .

Quand d’un coup, notre Darmon national se prend pour le sage et commence sa tirade par « je me méfie des hommes qui tremblent ». Il attaque Plenel sur la forme, tel l’idiot qui montre le doigt au lieu de voir la lune. En s’adressant comme maître à penser à Edwy Plenel, en le jugeant alors qu’il vient lui-même de l’accuser de juge (sic). En quelques mots, il donnait à voir ce qu’est la pensée réduite, les arbitraires, les lieux communs et l’arrogance. Je regrettais déjà le boucher qui vendait de la weed ou ses cravates à pin up dans 37°2 le matin

En fait quoi de plus beau et de plus touchant qu’une « homme qui tremble ». Qui hésite. Qui transpire. Qui doute. Qui montre l’émotion d’un métier, d’une cause à défendre et d’idées à partager. Notre pauvre Darmon lui ne tremble pas. Comme ceux qui ont l’air d’être du côté du plus fort ne tremblent jamais. Ils savent puisqu’ils dominent encore et toujours, leur arrogance leur permet de ne jamais rougir. Audiard disait «c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Pathétique Darmon.

Mais il n’était pas seul, lui sur le plateau. Il y avait les autres qui abondaient. Les garde-chiourmes de tout un système parasité par les bienséances et les courbettes dans les couloirs et les alcôves du pouvoir. Où l’intelligence semble être sortie par les fenêtres tellement l’air y est irrespirable.

« Mon  Edwy » paraît un moment déstabilisé. Il répond, quand il le peut et va au bout de ses arguments face à des gens tellement repus de leur nombril qu’ils n’écoutent même plus.

C’est aussi cela qu’il va falloir déconstruire. La tyrannie de la forme qui prend le dessus sur le fond comme un insulte à notre intelligence collective. Elle masque et empêche d’aller au cœur de la machine. Le néo-libéralisme adore, c’est son moteur. C’est même son fond de commerce et il est assuré d’avoir trouvé les bons représentants de commerce. Il s’arrange avec la réalité en la maquillant à coup de com’ ou de botox… de la pensée.

Oui monsieur Beigbeder, vous voulez une gauche qui se « marre ». En fait rassurez vous, cette gauche rit, s’amuse mais pas de vos blagues sarcastiques et réductrices car vous ne connaissez qu’un seul monde. Nous n’avons pas besoin de vous pour rire et vivre. Monsieur Darmon vous n’aimez pas les vrais journalistes parce que ceux là vont mettre en danger l’édifice qui vous donne la croyance de votre propre importance.

Grégor, votre serviteur, pourrait s’éloigner de la télé.. Mais il est né avec. Il a pu tout gamin pleurer devant Il pleut sur Santiago ou Sacco et Vanzetti aux « Dossiers de l’écran ». Et s’interroger sur le monde et son injustice. Il a pu se délecter d’apprendre toujours plus, ailleurs sur des films sur le monde ouvrier ou la colonisation. Déconstruire les mythes c’est un peu ce qui le passionne dans la vie. Il est convaincu que les choses pourraient être bien plus simples si…. les choses étaient analysées, critiquées et refaites autrement et à plusieurs, en collectif.

Messieurs les baltringues, je ne verrai plus jamais vos films comme avant. Je vais regarder les seul·e·s qui tremblent, qui bégayent et qui ont la bouche pâteuse. Me noyer dans les yeux d’un Karski, d’un Ponthus ou d’une Emma Goldman, et bien d’autres tellement la liste est longue, car leurs émotions traversent mon écran et me tirent les larmes. J’aime ces fous là. Ils sont forcément du côté des plus faibles. De ceux qui écopent du bateau en pleine tempête vers la mer et pas l’inverse. Tou·te·s celles et ceux qui disent à Nasrédine3 qu’il va nous faire couler ou nous faire boire la tasse. Qu’ils n’écoute pas puisqu’il est convaincu d’être du côté des plus forts.

Merci Monsieur Plenel pour votre intelligence.

Grégor Lamster

1 Alain Deneault – La médiocratie – Lux Editeur – 2015

2 Roland Gori – La fabrique des imposteurs – éditions LLL – 2013

3 Nasrédine est dans un bateau. La tempête s’annonce. L’eau remplit le bateau. Le capitaine ordonne d’écoper. Il regarde Nasrédine qui écope de la mer vers le bateau. « Nasrédine mais tu es fou. Que fais tu ?. Nasrédine répond « je fais comme ma mère m’a appris… être toujours du côté des plus forts ».

2 Comments

  1. Clerc Françoise

    Ce texte me semble très “juste”.
    Je ne suis pas toujours d’accord avec Monsieur Plenel mais c’est le jeu normal du débat d’idées et de la démocratie. En revanche, je partage avec l’auteur du texte la reconnaissance envers un journaliste qui a su imaginer et faire exister un média qui tranche avec la médiocrité ambiante, la soumission aux élites auto-proclamées du CAC 40 et de la politique réunis, et mène un vrai combat pour déconstruire les doxa dominantes. En ces temps incertains, l’incertitude est bonne conseillère lorsqu’elle se fonde sur des principes solides.

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