Introduction :
Des courants comme le marxisme ou le féminisme matérialiste ont accordé une centralité au travail dans l’étude des rapports sociaux. Ainsi, la féministe matérialiste Danièle Kergoat a défini les rapports sociaux comme le produit de conflits autour d’un enjeu qui à la base est centré sur le travail.
Dans cette ligné, certains auteurs comme Xavier Dunezat ont par exemple parlé de « travail militant » et de « division sexuée du travail militant » pour étudier les rapports sociaux au sein de ces organisations.
La notion de travail se trouve également mobilisée dans la littérature sur l’école aussi bien concernant le travail des enseignants que celui des élèves. C’est le cas par exemple des travaux d’Anne Barrère dans son ouvrage Travailler à l’école.
Ce qui va nous intéresser dans le texte qui suit, c’est la manière dont les inégalités sociales se reproduisent et s’amplifient dans les rapports sociaux de travail à l’école. Pour cela, nous allons toujours en nous appuyant sur Danièle Kergoat considérer qu’il existe une co-extensivité et une consubstantialité des différents rapports sociaux.
Il est possible de constater que la pédagogie différenciée peut avoir dans ce cas un sens qui loin de contribuer à lutter contre les inégalités scolaires, tend au contraire à les amplifier. Les enseignants introduisent des différences entre les élèves qui ne constituant pas dans ce cas de la discrimination positive fonctionnent au contraire comme des formes de discriminations négatives en amplifiant les inégalités sociales.
1- Le rôle du travail reproductif dans la reproduction des inégalités sociales et scolaires
Les théories féministes matérialistes ont appelé « travail reproductif » l’ensemble du travail, généralement accomplit par les femmes et donnant lieu à une exploitation dans la sphère domestique permettant de reproduire la force de travail. Ce travail reproductif avait été invisibilisé dans les théories socialistes classiques, celles de Proudhon et de Marx, au profit uniquement du travail productif.
Nous allons plus particulièrement nous intéresser tout d’abord au rôle de la division sexuée du travail domestique dans la reproduction des inégalités sociales scolaires. Le premier point que l’on peut mettre en lumière, c’est que les travaux montrent une corrélation positive dans la réussite scolaire des élèves entre d’un côté le niveau de diplôme de la mère (surtout pour les garçons) et le niveau socio-économique du père. Les études sur les héritiers en échec scolaire montrent qu’il s’agit entre autre de cas dans lesquels la mère n’a pas transmis, par exemple pour des raisons d’implication dans sa carrière professionnelle, son capital culturel à ses enfants.
La division sexuée du travail dans la réussite scolaire peut être analysée à partir de la co-extensivité des rapports sociaux. Les hommes gagnent 25 % de salaire en plus que les femmes en moyenne. Il est donc plus rentable économiquement qu’ils fassent des heures supplémentaires et plus stratégique que les mères s’occupent de la scolarité des enfants. Cela d’autant plus qu’elles ont été socialisées dès l’enfance à être dans une relation de care (sollicitude). On peut en outre noter le surinvestissement scolaire des filles et futurs mères dans leur propres scolarités alors qu’elles en tirent un bénéficie moindre sur le plan professionnel que les hommes. Cet investissement scolaire des femmes prend un sens social lorsqu’on perçoit son rôle dans la reproduction de la réussite scolaire, surtout chez les garçons de classes moyennes supérieures.
En réalité, dans le fonctionnement de la famille de classe moyenne supérieure, la mère se voit assignée le rôle social de maintenir l’hégémonie sociale des garçons de classe moyenne supérieure. Ainsi, les conjoints peuvent se consacrer à leur carrière et à maintenir leur pouvoir social sans que leur descendance masculine n’ait à pâtir de leur investissement dans l’espace public ou professionnel. Au contraire, une mère qui délaisse ses enfants pour se consacrer à sa carrière est encore souvent perçue comme une mauvaise mère alors que ce sera au contraire valorisé chez son conjoint.
On peut donc ainsi souligner que les mères jouent un rôle plus spécifique dans la réussite scolaire. Non seulement par leur niveau de diplôme, mais également par le temps qu’elles passent à faire faire les devoirs aux enfants. Elles y consacrent en moyenne le double de temps que celui qui consacre leurs époux. Cela est sans compter en outre la pédagogisation de temps de loisirs qu’effectuent le plus souvent là encore les mères.
Mais le travail reproductif ne contribue pas seulement à reproduire la classe sociale, mais également à reproduire la division sexuée de la société. En effet, les mères reçoivent de la part de la société et des familles une influence à élever leurs enfants en respectant les normes de genre. Ainsi, les filles se voient-elles plus socialisées que les garçons à investir les tâches domestiques.
On peut néanmoins remarquer que les familles des classes moyennes supérieures se caractérisent par une éducation moins genrée des enfants. Il s’agit là encore d’une stratégie qui se révèle payante dans le cadre scolaire. En effet, la réussite scolaire nécessite d’investir des travaux scolaires qui recoupent une perception genrée des matières scolaires : les mathématiques et les sciences sont perçues comme plus masculines, les lettres et les langues comme plus féminines.
II- La construction des inégalités sociales sexuées dans le travail scolaire
a- Les micro-discriminations sexuées
De nombreux travaux en sociologie de l’éducation ont montré qu’il existait une division sexuée du travail à l’école qui tendait à être renforcée inconsciemment par les enseignants.
Ainsi, les enseignants ont intériorisé les représentations sexuées attachées aux matières et peuvent avoir des comportements socialement différenciés à l’égard des filles et des garçons selon les matières. De même, les enseignants tendent à féliciter les filles pour leur comportement et les garçons pour les contenus intellectuels. Ils peuvent être plus exigeants avec les filles lorsqu’il s’agit de matières littéraires et moins lorsqu’il s’agit de mathématiques et inversement avec les garçons.
Ces représentations sexuées peuvent apparaître également dans les activités physiques et sportives ainsi les enseignants peuvent adopter des barèmes différents dans ces activités en 6e et 5e alors que sur le plan de la constitution physique les filles sont en moyenne plus développées physiquement que les garçons à cet âge là.
Il s’introduit ainsi sans que les enseignants s’en rendent compte dans leurs pratiques scolaires un ensemble de « micro-discriminations » (Dhume) qui contribuent à amplifier les différences sociales entre filles et garçons à l’école et non pas à les compenser.
b- La construction de l’inégalité et l’empowerment
Ainsi les différentiations pédagogiques inconscientes conduisent à des discriminations négatives, là où au contraire il serait nécessaire d’introduire des formes de discrimination positive permettant l’empowerment des filles.
En effet, si les filles réussissent mieux à l’école que les garçons de manière générale, elles font néanmoins des choix scolaires moins ambitieux en s’orientant moins vers la filière S à résultats égaux en mathématiques et elles choisissent des filières post-bac également moins ambitieuses. Elles sont en particulier nettement sous-représentées dans les classes préparatoires scientifiques et les écoles d’ingénieurs et dans le secteur de l’informatique.
Ce manque de confiance en elles apparaît à travers les études sur la menace du stéréotype où les filles ont une moindre confiance en elles-mêmes en mathématiques car elles ont intériorisées la représentation sociale selon laquelle elles étaient moins performante dans cette matière.
Ce manque de confiance en-elles apparaît également à l’âge adulte dans la capacité à prendre la parole en public. Elles se plaignent également plus que les garçons dès l’école primaire d’être victimes de violence dans les couloirs ou dans la cours de récréation.
II- La construction des inégalités de classes sociales dans le travail scolaire
Cette question est également bien documentée par la sociologie des inégalités de classe sociale à l’école. Mais il est nécessaire de souligner en particulier le lien entre cette question et celle du genre. En effet, on constate un écart scolaire important entre les filles de classes populaires d’origine immigrée et les garçons de classes populaires d’origine immigrée. La difficulté scolaire est plus particulièrement celle des garçons de milieu populaire et en particulier immigré.
a- Construction de la masculinité hégémonique, masculinités populaires et travail scolaire
Des travaux ont souligné l’écart qu’il pouvait y avoir entre les demandes de l’école et la construction de la masculinité hégémonique. Cette dernière notion désigne la forme traditionnelle de la masculinité dominante reposant sur la virilité. L’écart en général de réussite scolaire entre les filles et les garçons s’expliquerait par la construction de la masculinité hégémonique.
Néanmoins, il reste à expliquer le fait que cet écart s’accentue entre les filles et les garçons de milieu populaire alors qu’il est plus réduit chez les élèves filles et garçons de classe moyenne supérieure. La masculinité hégémonique constitue un invariant qui traverse l’ensemble des classes sociales. Néanmoins, il ne se décline pas de manière identique selon les celles-ci. Ainsi, le sport et la performance sportive sont un invariant de la construction de la masculinité hégémonique, mais ils se déclinent différemment selon les classes sociales : généralement, le tennis pour les garçons de classe moyenne supérieure et le football pour les élèves de classes sociales populaires.
La masculinité hégémonique comprend la valorisation de la transgression des règles. Celle-ci se manifeste différemment selon les classes sociales et de manière plus ou moins dévalorisée par l’institution scolaire. Ainsi Régine Sirota a mis en lumière qu’en primaire les transgressions liées à la prise de parole en classe sont mieux acceptées par les enseignants lorsqu’elles proviennent d’élèves des classes moyennes supérieures que lorsqu’elles proviennent d’élève de milieu populaire.
Cette culture de la transgression chez les élèves de milieux populaires a été qualifiée par Paul Willis de culture anti-école. Néanmoins cette vision tend à laisser penser qu’à l’inverse les filles réussiraient mieux à l’école que les garçons parce qu’elles seraient plus soumises aux règles comme l’a avancé Marie Duru-Bellat. Cette thèse est discutable comme le montre Séverine Depolly qui souligne au contraire les tactiques de transgression que mettent en avant des élèves filles de milieux populaires, transgression qui sont de leur côté plus discrètes que celles des garçons de la même classe sociale et qui entrent moins en conflit frontal avec l’institution scolaire.
Il est possible également de s’interroger sur la relation entre masculinité subalterne et réussite scolaire. Ainsi, on peut questionner le lien dans l’imaginaire scolaire populaire entre l’intello et l’efféminé. En effet, l’ethos physique masculin des milieux intellectuels peut apparaître comme peu viril. Par exemple, l’image populaire va opposer l’intellectuel et le sportif. Dans Pour en finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis, le personnage central de ce roman auto-biographique constitue une figure qui conjugue à la fois le fait d’être harcelé scolairement parce que jugé par les autres « efféminé » et le fait d’être un bon élève dans un milieu populaire.
Il est possible pour illustrer la question du croisement entre masculinités hégémoniques et classes sociales de prendre le cas du rapport entre technique et lecture. La technique est vue comme un domaine plus spécifiquement investie par les hommes tandis que la lecture est vue comme une activité plus socialement féminine. On constate que les élèves garçons de classe moyenne supérieure lisent plus que les élèves garçons de milieux populaires, mais à la différence des filles, il se tournent, par exemple au lycée, vers des revues scientifiques ou des ouvrages de science- fiction.
Si on poursuit cette question de l’articulation entre classe sociale et genre, une pratique discriminante consiste dans la confusion qu’effectue les enseignants dans l’évaluation entre comportements et niveaux scolaires. En effet, on sait que ce sont le plus souvent les garçons de classes populaires, en particulier immigrés, dont le comportement peut être le plus éloigné des attendus scolaires. Or les enseignants peuvent à niveau égal discriminer un élève dans les orientations scolaires sur la base de son comportement en classe.
La question du comportement scolaire pose des difficultés complexes car statistiquement ce sont les garçons qui sont l’objet de sanctions (80 % des sanctions). Le comportement plus éloigné des attentes scolaires conduit les garçons à accaparer les interactions scolaires avec l’enseignant-e aux détriments de filles plus discrètes. Ces interactions récurrentes posent la question de la construction de la figure du déviant scolaire : élève repéré dans la classe ou dans l’école comme ayant particulièrement des problèmes de comportement. Il s’agit alors de réussir à sortir des situations sociales d’étiquetage stigmatisantes qui enferme l’élève dans cette figure de déviant.
b- La construction de l’inégalité sociale dans le travail en classe
Les travaux de l’équipe ESCOL ont mis en valeur certains points par lesquels les enseignants sans nécessairement s’en rendre compte participent de la construction des inégalités sociales en classe.
Ainsi, il est possible de souligner le fait que les enseignants peuvent contribuer à entretenir des malentendus socio-cognitifs entre les élèves de classes populaires et les attendus de l’école.
Ces malentendus peuvent être liés à l’habillage de la tâche. Plus les tâches proposées sont ludiques ou s’approchent de la relation pratico-orale au monde, plus elles peuvent générer des malentendus socio-cognitifs de la part des élèves. Or l’école attend des élèves un rapport scriptural au monde. Le plus souvent seuls les élèves les plus proches socialement de la culture scolaire vont comprendre que au-delà de cette tâche en apparence ludique se trouvent des enjeux de savoirs ou encore qu’il est attendu d’eux un autre rapport au monde que dans la vie de tous les jours. Cette mise en œuvre de tâches ludiques peut pourtant avoir été conçu au début comme une manière d’aider des élèves jugés plus éloignés de la culture scolaire plus facilement dans les tâches scolaires.
L’amplification des inégalités peut également être lié au fait que l’enseignant va entendre des élèves des compétences qu’il n’a pas explicitement construit avec les élèves et dont la possession différenciée dépend alors du milieu social de l’élève. C’est le cas par exemple pour les devoirs à la maison. L’enseignant n’apprend pas explicitement aux élèves à faire faire les devoirs à la maison et c’est donc les familles qui se substituent à cet apprentissage.
Il en va de même par exemple pour l’autonomie. La capacité à travailler en autonomie est plus ou moins valorisée selon le style éducatif des familles en lien avec les types d’emplois de conception ou d’exécution occupé par les parents.
Bourdieu et Passeron avaient plaidé pour une pédagogie rationnelle qui explicite les attentes de l’école. En effet, ils avaient mis en lumière une proximité sociale entre la culture scolaire et la culture des classes moyennes supérieures, entre l’ethos attendu à l’école et celui valorisé par les classes moyennes supérieures. Ils ont donc critiqué cette indifférence aux différences qui contribue à créer des différentiations passives et des inégalités. Il s’agit au contraire pour l’enseignant de vendre la mèche en explicitant les attendus implicites de l’école tant sur le plan des comportements que sur le plan des attentes cognitives.
A côté de cette indifférence aux différences qui aboutit à des formes de différentiations passives, les enseignants opèrent également des différentiations actives. La difficulté scolaire est fortement corrélée en France au milieu social. Ainsi, les enseignants, en fonction du lieu de l’établissement (établissement de la périphérie) ou du niveau des élèves tendent à abaisser les exigences amplifiant ainsi indirectement les inégalités sociales.
III- La construction des inégalités ethno-raciales dans le travail scolaire
Cette dimension est sans doute moins travaillée par la sociologie française de l’éducation et aujourd’hui celle suscitant le plus de controverses. A cet effet, il est nécessaire dans un premier temps de revenir sur la question de la trajectoire scolaire des élèves d’origine immigrée.
a- Immigration et trajectoires scolaires en France
La place des enfants d’immigrés dans l’école française suscite un ensemble de controverses sur lesquelles il est nécessaire de revenir.
Un premier domaine de controverse porte sur les constats factuels. Le premier consiste à savoir si l’on peut dire que les élèves d’origine immigrée réussissent moins bien à l’école que ceux d’origine française. Il est possible de distinguer plusieurs positions. Tout d’abord, on peut constater qu’il n’existe pas de différence significative lorsque les enfants sont issus de parents appartenant à la classe moyenne supérieure. Autre élément, il existe des trajectoires différenciées selon l’origine de la migration. Par exemple, les élèves originaire de l’Asie du Sud-Est ont une réussite scolaire qui est supérieure par rapport à la population française de référence. Ce qui suscite davantage de controverses consiste à savoir si pour les élèves issus de milieux populaires, il existe une différence significative selon l’origine migratoire dans la réussite scolaire. Les études françaises tendent à invalider que cela soit le cas, en revanche l’étude PISA met en lumière une moins bonne réussite scolaire des élèves d’origine immigrée comparativement à d’autres pays. Ce qui expliquerait cette différence serait que le système français serait moins performant pour faire réussir les élèves d’origine immigrés que celui d’autres pays. Cette conclusion de l’étude PISA s’oppose à une controverse dans l’espace public qui laisse entendre que la place moyenne de la France dans le classement PISA serait lié aux élèves immigrés qui aurait un niveau de réussite moindre.
Une autre controverse porte donc sur les raisons des différences de réussite scolaire. Certains voient dans la classe sociale la variable la plus déterminante pour étudier la différence de niveau scolaire : les élèves d’origine immigrée viennent le plus souvent de familles de milieux populaires. Il existe une autre théorie cette fois soutenue par Mathieu Ichou : ce qui serait déterminant serait le capital culturel détenu par la famille avant la migration. Ainsi, à classe sociale égale en France, ce qui expliquerait que les élèves asiatiques réussissent mieux à l’école serait le fait que leurs parents auraient été déjà plus diplômés dans leurs pays d’origine. Il existe une troisième interprétation, elle consiste à mettre en avant l’existence de discriminations systémiques au sein du système scolaire français. C’est la thèse de Georges Felouzis qui pointe une ségrégation ethno-spatiale à l’école : certains établissements concentreraient toutes les difficultés. Cette explication reposant sur la discrimination systémique implique l’idée que certains modes de fonctionnement de l’institution scolaire et d’organisation de la société conduisent à produire des discriminations à l’égard des élèves d’origine immigrés : l’existence de LV2 qui concentrent les élèves d’origine arabe ou portugaise, les filières SEGPA ou professionnelle dans lesquels sont sur-orientés les élèves d’origine immigrée…
Il est nécessaire de discuter un quatrième type d’interprétation qui est le plus répandu dans le sens commun, à savoir l’interprétation culturaliste : la moindre réussite de certains groupes d’élèves d’origine immigrés s’expliquerait par leur culture d’origine. Par exemple, la « culture asiatique » favoriserait la réussite scolaire plus que la « culture africaine ». On peut voir dans ce type d’argumentation une logique proche de celle qui aboutissait à parler d’handicap socio-culturel pour les élèves de milieux populaires plutôt que d’éloignement social de la culture scolaire légitime. Dans le cas des « cultures d’origine », il ne faut pas oublier la question de la classe sociale d’origine des élèves dans le pays des parents et dans le pays d’accueil. En outre, il faut également se méfier d’une essentialisation de la culture qui fait abstraction du rapport différencié que les élèves peuvent entretenir à leur culture d’origine.
Mais en dehors même de la question de la classe sociale et de la culture d’origine, il est possible de tourner le regard plutôt vers les représentations et les stéréotypes que les enseignants peuvent avoir relativement à ces cultures et la manière dont ces représentations peuvent produire des discriminations. Ainsi, le fait de mettre en œuvre des ELCO (cours de langue d’origine) ou des « classes gitanes » au prétexte de prendre en compte les spécificités culturelles des élèves pour mieux les intégrer peut aboutir à des formes de discrimination. En effet, les élèves se retrouvent à faire un autre programme scolaire que les autres élèves pouvant ainsi contribuer à renforcer les inégalités sociales.
Là encore, se pose la question de la manière dont une approche multiculturaliste peut être utilisée pour pratiquer une discrimination positive et mettre en œuvre un empowerment des élèves et non pas pour renforcer des stéréotypes folklorisants et des discriminations en fonction de l’origine ethno-raciale.
b- La construction des discriminations ethno-raciales dans le travail scolaire
Il s’agit ici d’essayer de mettre en valeur comment les représentations que les enseignants se font des groupes ethno-raciaux peuvent avoir une influence sur le travail scolaire et en particulier de souligner que cette représentation peut être en lien avec celles liées aux positions de travail des parents. On peut alors assister à une ethnicisation ou une racialisation du travail.
Ainsi, certaines réflexions ont pu s’interroger sur l’effet qu’aurait la représentation des élèves asiatiques comme bons en mathématiques chez les enseignants dans les résultats qu’ils obtiennent. On peut alors parler d’une prophétie auto-réalisatrice ou d’un effet Pygmalion positif.
Sylvie Alves montre dans un article que les enseignants peuvent également justifier les orientations vers la voie professionnelle en partie en lien avec la représentation sociale qu’ils ont des élèves et de leurs familles : les élèves portugais sont de bons manuels comme leurs parents, ils veulent travailler dans le bâtiment… Ces représentations ne sont pas forcément opposées aux désirs des familles, mais elles avalisent comme un état de fait la division sociale du travail qui lui préexiste et la ségrégation du marché du travail qui font que par exemple les descendants d’immigrés portugais sont fortement concentrés dans le secteur du bâtiment pour les hommes et dans une moindre mesure dans le service à la personne pour les femmes.
Les représentations peuvent être également ethno-religieuses par rapport aux élèves ou aux parents de confession musulmane ou supposés l’être. On va alors donner un sens ethnico-religieux à des comportements alors que ceux-ci n’ont pas forcement un tel sens. Un père présenté comme de confession musulmane refuse que sa fille aille en classe de découverte. Les enseignants vont l’attribuer à une culture et une religion machiste alors que le refus peut avoir d’autres raisons comme la méconnaissance de la fonction de la classe de découverte et de l’intérêt pour les enfants d’y aller. Il serait sans doute dans ce cas plus utile d’expliciter et de justifier auprès des parents l’intérêt de cette activité scolaire.
IV- La construction des rapports sociaux validistes dans le travail scolaire
Encore moins traité en France que la précédente figure la question de la situation de handicap. Nombre de personnes en situation de handicap subissent des discriminations à l’emploi et au-delà de cela des formes d’exploitation au travail en étant sous-payées.
a- La conceptualisation du handicap
La notion de handicap correspond à une situation reconnue médicalement et ouvrant des droits au sein de l’Education nationale. Néanmoins, nombre de familles d’élèves en situation de handicap se plaignent d’être victimes de discriminations car elles éprouvent de grandes difficultés à faire scolariser leurs enfants en classe ordinaire.
Cependant, dans d’autres pays, ce ne sont pas les notions de handicap qui sont mises en avant mais celle de diversité fonctionnelle et de neuro-diversité. La diversité fonctionnelle renvoie plutôt à ce qui en France est qualifié de handicap physique et pose la question de l’accessibilité. La neuro-diversité est une notion utilisée pour qualifier toutes les personnes qui n’ont pas un fonctionnement neuro-typique : élèves intellectuellement précoces, les troubles dys, les troubles de l’attention et de l’hyperactivité, autisme de haut niveau ou syndrome d’Asperger…
Les tenants de la diversité cognitive développent là encore la thèse qu’il s’agit de différencier la pédagogie afin de s’adapter à la diversité des spécificités cognitives. Mais cette approche n’empêche pas néanmoins de s’interroger sur les formes de différentiations ou à l’inverse d’indifférentiation qui peuvent créer des discriminations négatives dans l’organisation du travail scolaire.
b- Construction des inégalités sociales validistes dans le travail scolaire
Là encore, il s’agit de s’interroger comment mettre en œuvre un objectif de lutte contre les inégalités sociales et de lutte contre les discriminations. Il est sans doute utile pour ce faire d’introduire la notion d’égalité des résultats. Si les différentiations pédagogiques peuvent se justifier c’est dans la mesure où elles ne conduisent pas à renoncer à une exigence d’égalité dans les résultats. Par résultats, il s’agit ici d’un ensemble d’objectifs commun à atteindre pour tous les élèves.
De ce fait, les pratiques de différenciations pédagogiques mises en œuvre à l’égard des élèves en situation de handicap posent un problème lorsqu’elles assument explicitement la renonciation à un tel objectif.
Elles peuvent au contraire apparaître légitime lorsqu’elles visent à mettre en œuvre des moyens plus adaptés pour parvenir aux mêmes fins.
Conclusion :
En résumé, il est possible de considérer qu’une analyse matérialiste de la construction des inégalités sociales dans le système scolaire s’appuie sur une étude des micro-discriminations scolaires mises en œuvre dans la classe dans les rapports sociaux de travail scolaire.
Il est possible également de constater que les différents rapports sociaux s’entre-croisent. Les rapports sociaux de sexe, de classe et de racisation indiquent des pôles de trajectoires différenciées : d’un côté les garçons de classes moyenne supérieure et de l’autre les garçons de classes sociales populaires d’origine immigrés provenant en particulier d’Afrique. Les filles se situent entre ces deux pôles selon leur classe sociale et leur origine migratoire.
Les enseignants tendent à opérer des micro-différentiations dans le travail scolaire en fonction de leurs représentations sociales qui aboutissent sans qu’ils en aient conscience à des inégalités sociales. Ces différentiations ne sont pas toujours actives, elles peuvent être également passives pas le biais d’une indifférence aux différences.
Il est alors possible de s’apercevoir que la question de la reproduction des rapports sociaux à l’école et la lutte contre les inégalités sociales posent un ensemble de problèmes d’ordre philosophique sur l’articulation entre objectif d’égalité et différentiation pour que ces dernières ne se transforment pas en discrimination négatives.
On peut ainsi énoncer le principe suivant en s’inspirant du principe de différence de Rawls : Une différenciation pédagogique à l’école est juste lorsqu’elle conduit à produire de la discrimination positive dans un but de réalisation d’égalité des objectifs scolaires. Ou dit autrement, la différenciation est juste lorsqu’elle contribue à réaliser une qualité de scolarisation égale pour tous.