La CGT Educ’Action 95 propose deux fiches/dossiers sur le thème des compétences, – Les Compétences, un dévoiement patronal ; Les Compétences, une définition syndicale, boite à outil pour résister -, ainsi que des liens sur la lecture, – Foucambert et les enjeux sociaux de la lecture ; Les conceptions de l’AFL (Association française pour la lecture) ; Freinet et la méthode naturelle : une pédagogie de la lecture/écriture.
Thématiques à venir Projet, vous avez dit projet ? et La classe coopérative.
A lire ici : https://cgteduc95.org/pedagogies/
Mes attentes ont été un peu déçues à la lecture de ce dossier pourtant consistant. Ces documents ont le mérite de donner des extraits intéressants d’auteurs de référence (Foucambert, Hirtt, Bourdieu, Vigotsky…) sur la question. La plupart datent cependant de plus d’une dizaine d’années, de l’époque où les compétences commençaient à envahir l’éducation ; en ce sens, la situation qu’ils évoquent est dépassée puisque les compétences sont maintenant complètement banalisées dans les programmes scolaires et dans les évaluations. Mais les citations qu’il donne restent toujours pertinentes, et mes réticences ne sont pas là.
Il est d’abord dans quelques approximations qui ne peuvent que nuire à la réflexion. Par exemple, la fiche numéro 3 du premier dossier a pour titre « l’approche par compétences et la transmission des savoirs » alors que les 2 textes qui suivent, de Perrenoud et Develay, traitent du « transfert des savoirs », ce qui est tout différent : difficile d’approfondir la place et le rôle donnés aux compétences à partir de telles confusions.
Il est ensuite, à mon avis, dans l’absence d’une véritable analyse politique explicite de cette notion de compétences. Certes le document annonce à juste titre « histoire d’un dévoiement capitaliste », mais n’explique pas comment et à partir de quoi s’est fait ce « dévoiement » : on voit mal par exemple comment la définition « La compétence est la capacité réelle et individuelle de mobiliser, en vue d’une action, des connaissances (théoriques et pratiques), des savoir-faire et des comportements, en fonction d’une situation de travail concrète et changeante et en fonction d’activités personnelles et sociales » est un « dévoiement », et un dévoiement de quoi : le seul indice, discret, est la présence du mot « comportement ».
Le dossier 2 « la définition syndicale » présente lui aussi des extraits intéressants de « pédagogues progressistes » mais se contente ensuite d’opposer « approche par les compétences » et « transmission des savoirs », et l’affirmation « Certains pédagogues “républicains” reprochent à l’approche par compétence son opposition à la transmission des savoirs », outre qu’elle ne permet guère de savoir où se situe la position de la Cgt, réduit l’opposition aux compétences à une « transmission des savoirs » (que pour ma part je récuse : on peut transmettre un héritage, mais on ne transmet pas des savoirs : on les fait acquérir). Est-ce d’ailleurs par hasard que le dossier se termine par des textes de Nico Hirtt, qui est plutôt conservateur sur ce plan-là ?
Ce n’est donc pas ce que dit ce dossier qui me gêne, mais ce qu’il ne dit pas : que les compétences et leur évaluation n’ont rien à faire dans le système éducatif si on veut qu’il soit porteur d’émancipation, qu’elles y ont été introduites par des orientations néolibérales au prix d’une transformation de la notion même de « compétence », ou plutôt au fil de quatre transformations essentielles :
Passage de la notion de « compétence » des travailleurs et travailleuses reconnaissable à postériori et en situation de travail (« ce plombier est très compétent ») à une « compétence » objet d’un apprentissage et d’une évaluation.
Passage dans le monde du travail des qualifications fondées sur des diplômes (acquis à travers la maîtrise de savoirs et de savoir-faire) à des qualifications fondées sur des comportements.
Passage, avec l’irruption des compétences dans l’éducation, d’une conception de la société et du monde du travail qui correspondait à la forme industrielle puis keynésienne du capitalisme (stratification en classes, taylorisation du travail, intervention de l’état) à une conception correspondant à sa forme néolibérale (individualisation des parcours et mobilité, management, transformation de l’entreprise en un « collectif » à l’esprit duquel travailleurs et travailleuses doivent adhérer, …).
Passage, dans les apprentissages scolaires, des savoir-faire, qui correspondaient à des pratiques, aux compétences qui incluent des « attitudes » et conduisent donc à modeler les comportements des élèves.
Bonsoir Alain,
Nous partageons en très grande partie ton commentaire. Et nous te remercions pour ta lecture attentive et la précision de tes remarques. (Merci aussi à François pour cet écho inattendu).
Ce ‘nous’ n’a pas la prétention d’être la position officielle de la CGT, mais celle du collectif militant du syndicat CGT de l’Education du Val d’Oise.
Ces deux documents étaient des boîtes à outils, des supports de réflexion, un recueil de sources, du matériau brut (orienté malgré tout du fait de leur sélection) pour amorcer une formation syndicale, menée voilà environ 10 ans, en effet, dans le Val d’Oise. Un document préparatoire pour les stagiaires.
Il s’agissait essentiellement de poser une généalogie de la compétence, et de montrer explicitement que son dévoiement était le produit d’une décision politique des milieux patronaux au tournant de la fin du XXe siècle, bénéficiant de nombreux relais.
Ils ne sont pas pour autant caducs, mais très certainement à compléter, du fait de la position désormais hégémonique de nos adversaires.
Du fait aussi de l’absence d’un propos reflétant le positionnement syndical, parce que ce n’était pas l’objet de ce dossier.
Pour autant nous te rassurons, il s’agissait d’amener durant la formation aux conclusions que tu formules très bien dans ta synthèse sur les transformations du sens de la notion de compétence : nous sommes bien évidemment contre sa version néolibérale, omniprésente dans les politiques éducatives des gouvernements qui se succèdent, qui n’ont, en effet, rien à voir avec l’Education à laquelle nous aspirons, pour laquelle nous militons et que nous tentons de pratiquer de fait, pour un certain nombre d’entre nous, dans le 1er degré notamment (même si la brutalité managériale gagne aussi du terrain depuis 10 ans et réduit nos marges de manoeuvre).
Notre conception du rapport aux savoirs est proches de la tienne : on les fait acquérir, certes, mais on permet aussi à l’enfant de se sentir légitime à en construire.
L’influence de Hirrt se fait bien sûr sentir : il était l’invité d’une seconde formation, menée en commun avec les camarades de SUD Educ dans le Val d’Oise.
Enfin, il y a en effet une approximation sur la question du “transfert de connaissances”/’transmission du savoir”.
Cependant, nous avons tenu à mettre ce dossier à disposition, comme matériau brut, car il a aussi la vertu de permettre à des collègues de se constituer à la fois un petit capital culturel de résistance, et l’envie d’aller plus loin.
Seule la relativité du temps militant face aux montagnes des tâches a pour le moment empêché la publication d’un propos synthétique d’opposition syndicale aux compétences patronales, et la promotion du savoir tel que nous en concevons l’apprentissage.
Si tu as un tel texte prêt, nous sommes preneurs.