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Que faire des Lumières ?

[**Que faire des Lumières ?*]

[*Antoine Lilti, L’héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité*]

La synthèse d’Antoine Lilti sur l”héritage des Lumières est trop riche pour en rendre compte en quelques lignes. Mais le chapitre consacré aux Lumières à l’épreuve de la critique post-coloniale vaut à lui seul la lecture de l’ouvrage.

Avant d’en venir à cette question, il faut toutefois insister sur la thèse principale de l’auteur. Pour A. Lilti, les Lumières ne sont ni une doctrine philosophique, ni une ensemble cohérent d’idées et de valeurs, pas plus qu’un programme réformateur. C’est un mouvement polyphonique et critique traversé par des tensions et des failles qui marquent l’entrée dans la modernité. Il ne s’agit pas de renoncer à l’héritage des Lumières comme voudraient nous y conduire les attaques post-coloniales les plus caricaturales, mais de l’assumer sans rien occulter de ses ambiguïtés, de ses ambivalences et de ses limites ou impasses.

Refusant la distinction entre Lumières radicales et Lumières modérées (Johnatan Israel), A. Lilti montre qu’un même auteur peut être extrêmement audacieux dans sa critique de l’impérialisme de l’Occident ou de l’esclavage pour ensuite tempérer son propos ou se faire plus hésitant.

Pluraliser les Lumières
Revenant sur l’approche post-coloniale, il situe son intérêt non pas au niveau d’une critique globale de la culture européenne, mais dans sa mise en évidence de ses contradictions, les limites de son universalisme proclamé en particulier. Ces dernières seront d’ailleurs éprouvées par les anticolonialistes au moment des indépendances dans les années 1950 et 1960, et jusque dans les échecs des nationalismes qui ont pu revendiquer cet héritage. D’où l’importance de faire subir à la pensée européenne un retour critique sur elle-même en intégrant à l’universel dont elle se réclame d’autres voix, d’autres discours et points de vue. A. Lilti écrit à ce propos : L’universalisme des Lumières aujourd’hui, ce ne peut être qu’une façon de le rendre habitable pour ceux qui souhaitent s’en réclamer. Cela implique d’assumer sa polyphonie, de ne pas faire taire ses dissonances, d’accorder aux ambivalences et aux contradictions plus d’attention qu’aux proclamations dogmatiques (p. 30).

Pour en venir aux impasses non seulement des Lumières mais aussi de la modernité, deux questions restent particulièrement brûlantes. Si la critique de soi se fait au travers du regard de l’ «autre», ce dernier n’est jamais un sujet autonome qui parle en son nom. Réduit au silence, il n’est finalement qu’un dispositif critique. L’autre problème concerne le progrès comme vision linéaire de l’histoire. Dans cette représentation, il n’y a qu’une voie possible vers la civilisation, celle empruntée par l’Occident. Or, c’est bien de cette vision de l’histoire que découle l’idéologie coloniale. Sans doute cette idée du progrès est-elle aujourd’hui en crise mais, faute d’alternative, elle reste une perception ordinaire du monde.

Parce que les Lumières sont d’abord le geste inaugural d’une société qui fait un retour critique sur elle-même, elles restent pourtant une référence émancipatrice.

Antoine Lilti, L’héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, Galimard/Seuil, (coll. Hautes Études), 2019, 403 p., 25 €.

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