Quand les enfants étaient enfants
Quand les enfants étaient enfants, le monde les appelait à l’aventure; la moindre porte, la moindre fracture les dissimulait au regard des adultes. Présents un instant ils disparaissaient mille fois et vivaient des vies magiques. Leur silence valait leurs paroles et leurs ombres leur appartenaient.
Quand les enfants étaient enfants , ils étaient les uns pour les autres; ils s’attiraient comme des aimants et savaient se battre comme des fauves. Leurs sentiments correspondaient entre eux et ils savaient s’appartenir ou faire troupe ou faire meute. C’était un monde où ils n’étaient pas seuls.
Quand les enfants étaient enfants, la vie ne leur était pas interdite. Ils n’étaient exilés ni de la rue, ni du chantier, ni du terrain vague. Ils étaient les vrais habitants de nos cités. Ils étaient le peuple des interstices.
Quand les adultes étaient des adultes, ils avaient une vie à eux, une vie grande et des espoirs aussi. Ils avaient un avenir. C’étaient des adultes d’avant.
Quand les adultes étaient des adultes, ils ne volaient pas la vie de leurs enfants, ils ne les dévoraient pas de leurs regard; ils ne les espionnaient pas avec leurs gadgets. Ils ne les mettaient pas au centre de leur prison.
Quand les enfants seront enfants, ils balaieront devant leur porte; ils chasseront les sourires hypocrites; ils déserteront les maisons sans nom. Ils parleront une autre langue pour ne plus contrefaire la vérité. Même nos mots, ils n’en voudront plus. Quand les enfants seront enfants…
“Lorsque l’enfant était enfant, ce fut le temps des questions suivantes:
Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?
Quand commence le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est pas qu’un rêve ?”
(…) Sur chaque montagne, il avait le désir d’une montagne encore plus haute,
Et dans chaque ville, le désir d’une ville plus grande encore,
Et il en est toujours ains”.
Peter Handke , Les ailes du désir.
KroniKs des Robinsons 636 du 21 Octobre et Graines d’Orties