Le site Agence Medias Palestine nous a autorisé à reproduire cet article très important. Il a été rédigé cet été, avant les événements qui se déroulent actuellement en Palestine.
Par Maren Mantovani, le 23 août 2023
La guerre contre l’éducation contribue à la guerre d’Israël contre l’enfance palestinienne. La combattre passe nécessairement par une pédagogie palestinienne de la libération et de la solidarité déployée à international à travers le mouvement BDS.
Ce qui suit est la deuxième partie d’un article résumant une nouvelle étude de Stop the Wall sur les politiques israéliennes qui ciblent les enfants palestiniens et leur enfance elle-même. La première partie de l’article peut être lue ici.
Quelques jours seulement avant la rentrée scolaire en Palestine et après un an de combat, l’armée israélienne a détruit l’école d’Ein Samiya, dans le centre de la Cisjordanie. Ce n’est qu’une des 44 écoles palestiniennes sous menace immédiate de démolition. Les démolitions d’écoles ne sont qu’une des nombreuses façons dont Israël cible les enfants palestiniens.
Comme indiqué dans la première partie de notre article, à l’instar d’autres sociétés coloniales, chaque génération de lutte palestinienne, voit l’apartheid israélien se concentrer davantage dans sa quête d’une oppression durable, sur l’élimination des enfants palestiniens et de l’espoir qu’ils et elles incarnent.
Le journaliste Yossi Klein, dans un éditorial pour Haaretz lors des bombardements sur Gaza du mois de mai, en fait implicitement le constat :
« Depuis 18 semaines, les israéliens et israéliennes se battent les un.e.s contre les autres, incapables de trouver quoi que ce soit susceptible de nous rapprocher. Il aura fallu le massacre des enfants dans la bande de Gaza, pour démontrer que nous sommes finalement frères.»
« Des tireurs d’élite israéliens leur ont tiré dessus intentionnellement, sachant parfaitement qu’il s’agissait d’enfants »
Les dernières attaques contre Gaza, qui ont anéanti des familles entières, sont un cruel rappel du nombre disproportionné d’enfants palestiniens qui meurent pendant les offensives israéliennes : les enfants représentaient 21 % des victimes palestiniennes assassinées. Lors du massacre de Gaza en 2008, 24 % étaient des enfants, et lors de l’attaque de mai 2021, 27 %.
La commission d’enquête des Nations Unies qui a mené une investigation sur les actions israéliennes lors de la Grande Marche du Retour de 2018-2019 a trouvé «de bonnes raisons de croire que des tireurs d’élite israéliens ont tiré dessus intentionnellement, sachant parfaitement qu’il s’agissait d’enfants ».
L’impunité garantie aux soldats israéliens qui tuent des enfants palestiniens –comme les quatre qui jouaient sur la plage de Gaza en 2014 et comme les cinq enfants attaqués dans un cimetière en 2022 — ou celle accordée à ceux qui ont ciblé une école de l’UNWRA avec du phosphore blanc, montre que ces pratiques sont acceptables pour la doctrine militaire israélienne.
Les attaques contre les enfants font également partie des attaques paramilitaires des colons. Un exemple particulièrement choquant reste l’enlèvement du jeune palestinien de 16 ans, Muhammad Abu Khdeir. Le 2 juillet 2014, trois colons l’ont kidnappé, l’ont sauvagement battu, l’ont forcé à boire de l’essence pour ensuite le brûler vif. Près d’un an plus tard, un groupe de colons a attaqué le village palestinien de Duma et a incendié une maison. Ils ont tué un père, une mère et leur bébé de dix-huit mois, Ali Dawabsheh, en laissant un enfant de quatre ans sévèrement brûlé.
Systématique et prémédité
Chaque année, entre 500 et 700 enfants palestiniens (âgés de 12 à 17 ans) sont emprisonnés. Depuis 2000, les autorités militaires israéliennes ont interrogé, poursuivi et emprisonné plus de 13 000 enfants. Souvent, ni les mandats d’arrêt, ni les motifs de leurs arrestations ne sont fournis. Outre la détention d’enfants vivants, à la date d’août 2022, Israël avait refusé de rendre 102 corps de palestiniens morts dans les prisons israéliennes, dont ceux de dix enfants.
À Jérusalem, la politique israélienne inclut la pratique de l’assignation à résidence, faisant de la mère de l’enfant la « gardienne de prison » de son fils. Cela fait du parent un agent de l’État, étendant le colonialisme israélien jusqu’au cœur de la famille palestinienne.
Une analyse approfondie de la répression israélienne des manifestations anti-mur entre 2004 et 2009 montre que la moitié des 16 palestiniens tués lors des manifestations étaient des enfants, souvent par des tirs de snipers ou par des balles tirées à courte portée.
La répression de la Grande Marche du Retour présente des faits similaires. Selon l’OMS, au 31 août 2019, 20 % des amputations que les médecins ont dû pratiquer pour soigner les blessures liées aux manifestations concernaient des enfants. Sur les 217 victimes palestiniennes tuées lors des manifestations, 48 étaient des enfants (22 %), et sur les quelque 19 000 victimes palestiniennes blessées, 4 966 étaient des enfants (26 %).
La guerre d’Israël contre l’éducation
Le déni du droit à l’éducation est un élément essentiel de l’attaque israélienne contre les enfants palestiniens.
Des dizaines de milliers de bédouins palestiniens du Naqab, hommes et femmes, vivent dans des villages non reconnus et n’ont à leur disposition aucun établissement d’enseignement. Si les enfants palestiniens d’Israël peuvent parfois aller à l’école, le budget qui y est alloué est 78 à 88 % inférieur à celui alloué aux étudiants juifs israéliens.
Deux mois après qu’Israël a occupé la Cisjordanie et Gaza en 1967, le gouvernement a interdit 78 des 121 manuels scolaires disponibles. À Jérusalem-Est, le manque de fonds et d’espace est aggravé par l’imposition d’un programme scolaire qui fait l’impasse sur l’existence même de la Palestine et de son peuple.
Durant la Première Intifada, l’armée israélienne a fermé 1194 écoles de Cisjordanie pendant 17 mois en 1988 et 1989. Israël a affirmé que « toute tentative visant à fournir une éducation aux élèves et étudiants était illégale et, en tant que telle, serait considérée comme un motif de licenciement immédiat ». Les personnes jugées « coupables » d’avoir organisé des cours risquaient jusqu’à dix ans de détention.
Au cours des deux dernières décennies, Israël s’est concentré sur la destruction des écoles.
Lors de l’offensive contre Gaza en 2012, Israël a détruit 97 établissements d’enseignement. 298 écoles ont été détruites et/ou endommagées lors des offensives militaires en 2014 et 2021. En mai 2021, les bombardements de Gaza ont touché plus de 290 jardins d’enfants, écoles et établissements d’enseignement supérieur.
Actuellement, 51 écoles palestiniennes sont menacées de démolition. L’école arabe d’Al-Ka’abneh, dans la vallée du Jourdain, qui accueille des centaines d’élèves, fut l’objet de plus de 20 ordres de démolition depuis les années 1990.
L’importance de la destruction des écoles dans le nettoyage ethnique, c’est-à-dire l’élimination de la population palestinienne de ses terres, se fait particulièrement visible à Masafer Yatta. Les huit communautés des collines du sud d’Hébron doivent être démolies et plus de 1 300 de leurs habitants expulsés dans le cadre de ce qui constitue le plus grand nettoyage ethnique qu’ait connu Israël depuis 1968. Sept écoles ont reçu des ordres de démolition parce qu’ils savent, comme l’explique le directeur de l’école de Khirbet Jinba, que « si on peut mettre une école en danger, toute la communauté se trouve en péril».
L’une des premières écoles démolies fut l’école al-Sfai. Les étudiants d’al-Sfai ont affronté les forces israéliennes et les bulldozers pendant des heures, refusant de quitter les lieux.
Une pédagogie palestinienne de la libération
Les effets traumatiques sur la population palestinienne sont inévitables. 91 % des enfants de Gaza souffriraient d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) — ou plutôt de ce que l’on pourrait appeler un « état traumatique transgénérationnel persistant » qui a débuté en 1948.
Cependant et en dépit de tout, le peuple palestinien a développé de multiples formes de résilience face aux tentatives » sociocidaires » caractéristiques de l’apartheid israélien et du colonialisme de peuplement qui cherchent à créer une génération docile prête à tolérer l’oppression. Un père palestinien a expliqué : « Je dois apprendre à mes enfants à ne pas avoir peur des soldats, de leurs armes ou de leurs tirs. Sinon, leur vie serait perpétuellement traumatique. Nous essayons de nous moquer d’eux, de regarder les faiblesses des soldats et d’observer leur propre peur.»
En conséquence, les enfants palestiniens ont appris à défier les soldats israéliens chez eux, sur le chemin de l’école, dans les rues et dans les champs. Certains deviennent célèbres, comme Faris Odeh, 15 ans, photographié par un photojournaliste alors qu’il jetait des pierres sur un tank. Ou encore Ahed Tamimi , emprisonnée pour avoir giflé un soldat.
Les enfants palestiniens ne devraient pas être confrontés à l’occupation israélienne et à l’apartheid ; ils n’ont pas vocation à devenir des héros. Ils et elles ont beau être victimes, ils font aussi partie de la résistance et de la lutte du peuple palestinien.
Que faisons-nous à l’international ?
Parler des attaques israéliennes contre les enfants palestiniens est délicat. Personne ne veut exploiter les émotions faciles suscitées par la souffrance des enfants ni infantiliser le peuple palestinien. La solidarité internationale ne doit pas élever les enfants au rang d’icônes ni les réduire à des chiffres. Ignorer ce qui se passe, cependant, signifie effacer une partie importante de l’expérience palestinienne.
Nous devons comprendre et présenter soigneusement le cadre de l’apartheid israélien et la logique qui sous-tend les attaques systématiques contre les enfants palestiniens qui abiment leur enfance même.
Les syndicats irlandais ont lancé une initiative de jumelage d’écoles avec des écoles palestiniennes menacées de démolition afin de sensibiliser aux attaques contre l’enfance palestinienne, de se montrer solidaires, et de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils demandent des comptes au régime apartheid d’Israël.
La campagne No Way to Treat a Child (« on ne traite pas les enfants ainsi ») recueille le soutien d’un projet de loi au Congrès américain (HR 3103 de mai 2023) qui interdirait le financement par les contribuables américains — de la détention militaire israélienne et des mauvais traitements infligés aux enfants palestiniens, des démolitions de maisons palestiniennes, et de la poursuite de l’annexion de la Cisjordanie.
Comme pour tout autre aspect de la politique israélienne, la question du « tenir responsable » doit être centrale pour garantir que nous ne cédions pas à une pitié humiliante pour la victime mais apportons notre soutien sans faille à la lutte pour la justice. L’indispensable BDS est là pour cela.
Maren Mantovani est la coordinatrice pour les relations internationales de la campagne Stop the Wall et membre du Secrétariat international du Comité national BDS Palestine (BNC).
Source : Mondoweiss
Traduction BM pour l’Agence média Palestine