Le 30 octobre « Les sénateurs ont adopté à 221 voix contre 82 une proposition de loi de la droite visant à “protéger” le français “des dérives de l’écriture dite inclusive”. Elle prévoit de bannir cette pratique “dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français”, comme les modes d’emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d’entreprise. Sont également visés les actes juridiques, qui seraient alors considérés comme irrecevables ou nuls si le texte venait à devenir loi. »[1] Le président a commenté cette décision avec un argument d’autorité déclarant que le « masculin fait le neutre » : “Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n’a pas besoin d’ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible”. Il ne laisse ainsi place ni à l’usage de la langue ni aux linguistes.
En 2017 le ministre de l’Education Nationale Jean-Michel Blanquer avait déjà clairement pris position contre l’utilisation de l’écriture inclusive dans un discours à l’Assemblée Nationale : « Je considère que la question de l’égalité homme-femme est une question cruciale, fondamentale à notre époque et que c’est dommage de la dévoyer vers ces sujets-là qui ne sont pas les vrais sujets du féminisme dont nous avons besoin. […] Je prends le féminisme au sérieux. Je me considère comme féministe. Nous avons beaucoup de choses à faire au titre de l’égalité homme-femme. Et justement, quand on est pour un certain combat, pour une certaine cause, on doit faire attention à ce qu’elles ne se dévoient pas dans un faux combat. » Nous saluerons au passage le mansplaining dont il faisait preuve.
Le masculin fait-il réellement le neutre ? L’écriture inclusive est-elle un faux combat ? Cet argument de masculin neutre aussi appelé masculin générique a été réfuté par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) qui recommande l’usage de l’écriture inclusive. On peut ainsi lire dans son Guide pour une communication sans stéréotypes de sexe (paru en 2015) « qu’en français, le neutre n’existe pas : un mot est soit masculin, soit féminin. » En tant que professeur.e.s des écoles nous sommes censé.e.s marteler à nos élèves dès le cycle 2 qu’en grammaire le masculin l’emporte sur le féminin et que le masculin fait le neutre. Il est évident que cette phrase répétée année après année aura une incidence sur les élèves, filles comme garçons. Dans son livre Moi aussi je voulais l’emporter, Julie Delporte explore la violence que ces règles ont sur les petites filles : « ça fait mal les règles de grammaire ».
En classe, depuis plusieurs années je m’oblige à utiliser les termes masculins et féminins lors que je m’exprime. C’est plus long, c’est parfois fastidieux mais nécessaire. Les responsabilités de la classe sont toutes au féminin et au masculin (distributeur, distributrice, ramasseur, ramasseuse, facteur, factrice, jardinier, jardinière…). Les –trice, -euse, -ée, -ière ne sont plus muettes, elles sont nommées, elles existent. Et lorsque que j’appelle le distributeur par inadvertance, alors que la responsabilité est occupée par une fille, mes élèves (filles comme garçons) me répondent « ce n’est pas un distributeur, c’est une distributrice cette semaine ». Sentiment de victoire ultime. La distributrice existe. Elle est. Elle n’est plus cachée derrière un masculin neutre. L’invisibilisation du féminin n’est pas neutre, elle est politique, elle est patriarcale. « L’élimination des mots et des formes grammaticales exprimant le féminin a permis l’élimination des réalités exprimées par ces mots et ces formes. Masculinisation de la langue, masculinisation de l’Histoire, masculinisation des pouvoirs. »[2]
L’écriture inclusive ne se résume pas au point médiant mais à l’emploi du féminin dans la langue française. Faire exister le genre féminin au-delà du neutre. Pour cela l’écriture inclusive féminise les noms de métiers et les grades. Elle privilégie les termes non genrés plutôt que le masculin comme neutre. Ainsi elle réaffirme la place du féminin dans la langue et donc dans la société. Dans un article publié sur LMSI (Les mots sont importants), Noé Le Blanc fait état de la violence du terme générique Homme : « L’emploi du terme « homme » pour désigner l’ensemble des êtres humains, comme en général l’emploi du masculin générique pour désigner des êtres humains, doit être considéré comme une agression sexiste. Rien dans la langue française n’oblige à faire ce choix, qui est donc un acte de violence symbolique, qu’il soit réfléchi ou non. Nier la violence exercée par ce choix de langage fait partie de cette violence. »[3]
Cette violence intrinsèque à la langue française est ancrée dans nos règles de grammaire c’est donc un combat primordial pour l’égalité. « Notre grammaire hiérarchise : le genre noble et supérieur est le masculin. (…) Comment penser notre puissance avec des mots qui nous assignent au silence ? Comment se défaire des stéréotypes de genre et tracer des horizons immenses ? Comment respecter encore ces accords grammaticaux sans désaccords radicaux ? Nous apprenons à lire, écrire et réfléchir avec une langue de soumission qui présente ses règles comme éternelles et naturelles. (…) Ce combat n’est pas une fantaisie féministe car les coups se portent quand le masculin l’emporte : la violence cimente le patriarcat. » Cette prose poétique de Louise (@louiseaccuse, Instagram) illustre la lutte à mener.
Camille Laurens montre le sexisme de la langue française avec l’exemple du mot on ne peut plus féminin « fille » : « A propos de filles, il y a une chose bizarre. Tu es une fille, c’est entendu. Mais tu es aussi la fille de ton père. Et la fille de ta mère. Ton sexe et ton lien de parenté ne sont pas distincts. Tu n’as et n’auras jamais que ce mot pour dire ton être et ton ascendance, ta dépendance et ton identité. La fille est l’éternelle affiliée, la fille ne sort jamais de la famille. Le Dr Galiot, au contraire, a eu un garçon et il a eu un fils. Tu n’as qu’une entrée dans le dictionnaire, lui en a deux. Le phénomène se répète avec le temps : quand tu grandis, tu deviens « une femme » et, le cas échéant « la femme de ». L’unique mot qui te désigne ne cesse jamais de souligner ton joug, il te rapporte toujours à quelqu’un – tes parents, ton époux, alors qu’un homme existe en lui-même, c’est la langue qui le dit, comme la grammaire t’expliquera plus tard, dans ta petite école de filles jouxtant celle des garçons, que « le masculin l’emporte sur le féminin ». [4] La langue française est sexiste. L’interdiction de l’utilisation de l’écriture inclusive est une décision sexiste. Le masculin neutre est une négation du féminin et participe à un système de domination.
Nous ne cèderons pas au subterfuge du masculin neutre. Anne Abeillé, professeure de linguistique à l’université Paris Diderot interrogée par le journal Libération insiste : « le masculin n’est pas un genre neutre mais un genre par défaut ». Nous ne nous contenterons pas d’un genre par défaut, d’un à peu près, d’un pseudo-neutre qui nous inclurait quelque part en cherchant bien. Nous ne serons pas par défaut. Nous serons. Après le « on se lève et on se casse » d’Adèle Haenel place au temps du « on s’assoit et on écrit » avec du point médiant, de l’accord de proximité, du masculin non neutre et du féminin affirmé et non plus sous-jacent. Brandissons nos poings (médians) pour bousculer l’ordre grammatical et ainsi l’ordre établi.
Mädli
[1] France Info, Le Sénat vote une proposition de loi visant à interdire l’écriture inclusive, 31/10/23
[2] Exploser le plafond, Reine Prat, 2021
[3] L’homme générique n’existe pas, La preuve par la langue, Noé le Blanc, 2020
[4] Fille, Camille Laurens, 2020
Illustrations :
Julie Delporte, Moi aussi je voulais l’emporter, Editions Pow Pow, 2018
Fred Sochard
Restons positif :
Le féminin Em…mouscaille le neutre, Mesdames et Messieurs les-la President-E
Cette rage française de légiférer sur la langue est ridicule. Une langue c’est d’abord un usage pour se faire comprendre et comprendre l’autre. Inclusive ou pas, féminisme ou domination du mâle blanc par la graphie, ce n’est pas le problème. L’écriture inclusive est difficile à lire et carrément impossible à prononcer. Je constate simplement qu’après une montée en puissance, elle est revenue à un niveau très modeste. Féminiser les noms de métier ? pourquoi pas ? Il y en a déjà beaucoup qui le sont. Là il me semble qu’il y a un vrai enjeu car il s’agit de reconnaître la place des femmes dans l’économie longtemps réputée masculine et par voie de conséquence dans la société. Le féminisme a peut-être d’autres luttes à mener plus décisives que l’écriture inclusive.
Est-ce que vous prononcez les cédilles, les apostrophes, les virgules ? Non bien sûr. L’argument que vous avancez ne tient pas la route, d’autant plus qu’il est basé sur une méconnaissance de l’écriture inclusive, qui ne se limite pas au point médian. Et si, la domination du mâle blanc, c’est bien là que se situe le problème, justement. Que vous le vouliez ou non, la langue participe à la construction des représentations du monde, et la langue française véhicule clairement une vision patriarcale de la société et du monde. Vous constatez que le combat pour une écriture inclusive diminue ? Clairement, beaucoup tiennent à leurs privilèges, voient dans l’écriture inclusive une menace et vendraient mère et père pour la voir disparaître. Quant à la priorité des luttes que vous évoquez, l’une n’exclut pas l’autre, loin s’en faut. La lutte pour les droits des femmes, c’est au quotidien, de manière transversale.
En vérité, enfin je crois, si on arrêtait d’appeler masculin et féminin des trucs qui n’ont rien à voir avec le genre ou le sexe, on économiserait bien des débats stériles. C’est donc la terminologie grammaticale qui mérite d’être réformée.
De plus la notion de genre grammatical, n’a d’intérêt que pour l’accord des adjectifs et des participes passés. Statistiquement les adjectifs ce sont 4 % des textes et ceux qui s’accordent au genre non neutre, pas grand chose. Donc réformons aussi un peu l’orthographe … ?