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Femmes et sport… c’est sportif ! – Casse-rôles

Nos camarades de Casse-rôles, journal féministe et libertaire vous propose un article de Laurence Biberfeld, extrait de leur nouveau numéro

(image : British Ladies Football Club, 1885)


Comment le sexisme se porte-t-il ? Dans le foot espagnol, il brûle les planches en la personne de Luis Rubiales, président de la fédération, qui a embrassé de force Jenni Hermoso lors de la victoire du club de La Roja en coupe du monde. Les joueuses étaient en pleine euphorie, Rubiales s’est donc empressé d’imposer sa beauferie non seulement à Jenni, mais aux millions de téléspectateurs qui regardaient le triomphe des Espagnoles.

Les 23 championnes du monde, ainsi que 30 autres joueuses, ont demandé sa démission, et devant son refus, elles ont immédiatement annoncé qu’elles ne joueraient plus en sélection pour l’Espagne tant que le problème ne serait pas réglé. L’affaire a pris une telle ampleur que Rubiales a été suspendu pour quatre-vingt-dix jours de son poste par la FIFA, en attendant qu’il soit statué sur son sort. Elle révèle aussi les fractures au sein de la fédération entre le bon vieux machisme à l’ancienne et la sensibilité récente aux violences faites aux femmes : les joueurs du FC Séville et du FC Cadix ont manifesté leur solidarité envers Jenni, tandis que les fédérations régionales, qui menaçaient dans un premier temps de quitter l’UEFA s’il y avait la moindre sanction envers Rubiales, ont opéré un virage en épingle à cheveu et exigent à présent sa démission. Il est question dans leur communiqué de « donner naissance à une nouvelle étape de gestion du football espagnol », rien de moins. Il faut dire que dans le cadre d’une victoire de cette ampleur, le monde entier a pu constater que l’équipe espagnole était aussi brillante que son encadrement faisait tache.

Les joueuses de la Roja avaient déjà précédemment eu maille à partir avec leur despotique sélectionneur, Jorge Vilda, et 15 d’entre elles avaient décidé de démissionner en 2022 s’il n’était pas remplacé. Trois autres, dont Jennifer Hermoso, avaient déclaré qu’elles n’étaient plus en accord avec ses méthodes. Les joueuses ont démontré une solidarité et une pugnacité à toute épreuve. On ne va pas tarder à additionner 2 et 2 et à conclure qu’elles sont beaucoup moins interchangeables que leurs dirigeants.

L’Espagne, pays de solide culture machiste, a évolué à marche forcée ces dernières années, au point de dépasser la France de plusieurs longueurs dans le traitement judiciaire des violences sexuelles comme dans la baisse du nombre de féminicides par millions d’habitants (3,1 en France en 2017, 2 en Espagne). Elle le doit à la combativité des Espagnoles, mais aussi à de retentissants scandales, dont l’affaire de « La meute », comme s’appelaient eux-mêmes, sur WatsApp, 5 prédateurs qui s’étaient filmés en train de violer une jeune fille de 18 ans en 2016, lors des fêtes de Pampelune, et avaient partagé la scène sur leur groupe. L’un était un ancien militaire, l’autre un membre de la Guardia Civil aussitôt suspendu, et les trois autres des supporters ultras du FC Séville… le même club qui manifeste aujourd’hui sa solidarité envers Jenni Hermoso.

L’affaire du baiser forcé a dernièrement viré au guignol avec la grève de la faim de la mère de Rubiales retranchée dans une église et prête à y mourir, au grand dam du curé de la paroisse, si on n’arrêtait pas de harceler son fils. Il n’y a pas de mauvais hommes, il n’y a que des hommes mal éduqués, ce sont les paradoxes persistants d’une société encore imbibée de valeurs conservatrices dans un des pays les plus progressistes d’Europe.

La bravoure des joueuses espagnoles face à leurs tristes cornacs a failli éclipser leur triomphe, qui fait de l’Espagne la deuxième nation à cumuler deux coupes du monde, féminine et masculine, après l’Allemagne. Tout le monde a salué la performance de la buteuse et capitaine Olga Carmona, 23 ans, à l’origine des deux buts déterminants de la demi-finale, puis de la finale, contre la Suède d’abord puis contre l’Angleterre, mais aussi la jeunesse et la créativité d’une équipe exceptionnellement solidaire.

Jenni Hermoso a loupé un penalty, mais l’équipe a rapidement compensé cet échec. Il s’en est fallu de peu qu’un deuxième but soit marqué par l’étonnante Salma Paralluelo, 19 ans, qui hésitait encore il y a peu entre le foot et l’athlétisme, où elle a déjà remporté deux médailles d’or.

La Footballeuse, peinture d’ángel Zárraga, 1926 (Mexique)

On le voit, les chiens aboient et les femmes passent. Mais le combat pour la conquête de l’égalité est loin d’être fini.

La Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (FIFPRO) a sorti cette année un rapport extrêmement détaillé sur les conditions d’exercice des footballeuses dans le monde. Il est accablant : seules 40 % des joueuses ayant participé à la coupe du monde se déclarent professionnelles, 29 % n’ont pas été rémunérées et 66 % d’entre elles ont dû prendre des vacances ou un congé sans solde pour participer aux qualifications. La plupart, 62 %, ont voyagé en classe économique. Plus grave, 54 % n’ont pas eu de visite médicale avant les tournois et 70 % se sont passées d’électrocardiogramme. Les femmes, c’est connu, ont un cœur de pierre. Elles se plaignent aussi de terrains d’entraînement pourris.

Mais les mauvaises conditions d’exercice de leur sport ne les découragent pas de se rebeller et de revendiquer leurs droits et le respect, comme on l’a vu pour l’Espagne. Jusqu’ici, seule l’équipe de foot des USA a arraché une convention collective qui assure aux joueuses l’égalité de rémunération avec les joueurs. Un comble, il faut le reconnaître, alors que les équipes féminines ont enlevé quatre coupes du monde et que les équipes masculines sont arrivées une fois en troisième position… en 1930.

La Suède pratique aussi l’égalité salariale. En France, en première division, il n’est pas rare que les joueuses professionnelles gagnent moins que le Smic. Il y a deux ans, les joueuses du CPB Rennes se sont entraînées avec la tenue que la Fédération française de foot leur avait envoyée : des maillots trop grands car destinés aux hommes, et ni short ni chaussettes. Elles ont donc joué bravement en culotte et pieds nus dans leurs godasses pour marquer le coup, ce qui a ému la presse locale.

Et le rugby, puisqu’on est dans les tournois mondiaux ? On a vu les Wallaroos australiennes, qui en ont gros, interpeller vertement leur fédération. Eddie Jones, le coach de l’équipe masculine, dispose de onze assistants et la fédération vient d’investir plus de 5 millions dans l’embauche de Joseph Suaalii, 20 ans, la valeur qui monte. Pour leur part, elles sont à temps partiel et leur coach est prof à mi-temps. Et elles voyagent en classe économique, au contraire des Wallabies, coach, entraîneurs qui se prélassent en classes affaires.

Si l’encadrement garde des réflexes misogynes, les joueuses, elles, s’engagent avec impétuosité dans le combat féministe et réclament leurs droits. Et elles ne les veulent pas que pour la génération suivante

Le 20 août, alors que l’équipe australienne de foot venait d’en finir avec la France lors des quarts de finale, Katrina Gorry a emmené sur le terrain sa fille de deux ans, Harper. Les sportives sont généralement jeunes, elles refusent de choisir entre maternité et carrière sportive : que les fédés s’adaptent ! Ce qu’elles font en grinçant des dents : la Fifa leur impose depuis 2021 (!) d’accorder leurs droits reproductifs aux joueuses : salaire complet pendant la grossesse et congé de quatorze semaines minimum. On a failli attendre…

Les jeunes femmes sont plusieurs à se montrer avec leurs enfants en bas âge en public et sur la pelouse : hors de question que les machos aux manettes continuent à gérer les choses comme si les femmes étaient juste des mecs sans bite, comme si eux-mêmes n’avaient pas touché un con avec leurs deux oreilles en naissant.

Le patriarcat est un entre-couilles asphyxiant

Les femmes n’en forceront pas les portes sans imposer aussi en tout lieu la présence des enfants. Les mômes existent, ils sont là, et ce n’est pas à eux de s’adapter au sport ou aux milieux professionnels, mais c’est le monde du travail qui doit composer avec les nécessités de la reproduction. Comme le dit Ali Bowes, sociologue britannique du sport féminin, « si l’on peut s’attaquer à l’inégalité entre les sexes dans le sport, on contribuera à résoudre les problèmes d’inégalité entre les sexes dans le monde en général ».

Et les joueuses en sont conscientes. Alex Morgan a interrompu un entretien avec des journalistes pour prendre un appel vidéo de sa petite fille. Irene Parades a emmené son fiston avec elle en coupe du monde. Sara Björk Gunnarsdóttir, que le club de Lyon avait grossièrement sous-payée pendant sa grossesse, est allée chercher ses droits avec les dents et n’a pas manqué de le faire savoir. Ces joueuses de très haut niveau, comme les Espagnoles qui viennent de gagner la coupe du monde, sont pourtant dans une situation infiniment plus précaire que les hommes, sous-payées par rapport à eux, et elles savent parfaitement qu’elles ne se battent pas que pour leur peau, mais pour celles de toutes les sportives, et plus largement de toutes les femmes. Des millions de gamines peuvent aujourd’hui prendre exemple sur elles.

Laurence Biberfeld

(paru dans Casse-rôles, n° 26, novembre 2023, p. 26-27)

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