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On a besoin des chef·fes ???

La crise sanitaire que nous vivons depuis 1 an a remis en lumière la place des personnels de direction dans les établissements scolaires. L’institution a souligné leur charge de travail et vanté leurs facultés d’adaptation et, de la part de certains personnels, de fortes attentes se sont exprimées et s’expriment encore afin que les équipes de direction donnent des consignes claires, prennent des décisions fermes et soutiennent les personnels.

Où sont les chef·fes ?

Dans les faits, que s’est-il passé ?

Les chef·fes d’établissement ont été pris·es par l’urgence et la confusion occasionnées par le virus et accentuées par la communication invraisemblable du ministre Blanquer. Mais… cela était valable pour l’ensemble de la communauté éducative.

Pourtant, les personnels qui se sont mobilisés et ont dénoncé les négligences de l’institution, par des journées de grève, par l’exercice de leur droit de retrait, en s’engageant publiquement pour revendiquer des conditions d’enseignement et d’études dignes et sécurisées, ce ne sont pas les équipes de direction, mais bien les enseignant·es, les AESH, les personnels de vie scolaire, les infirmières et PsyEN, etc.

Les mêmes qui, sur leur temps personnel, ont repris les consignes ministérielles pour organiser des protocoles viables et adaptés aux réalités du terrain. Les mêmes qui ont assuré la continuité pédagogique avec leurs propres moyens, se sont autoformé·es, ont tenté de maintenir, tant bien que mal, un lien entre les différents membres de l’équipe, et de se soutenir mutuellement.

Dans tout ce chaos, nous n’avons pu compter que sur nous-mêmes et sur nos collègues les plus proches pour ne pas perdre pied et pour poursuivre nos missions pédagogiques. De la direction, peu de secours. Un mot de soutien général et impersonnel, de temps à autre, une communication superficielle, qui ne transmettait que les consignes officielles. Des mots, mais peu de faits. Peu d’actions pour maintenir du collectif dans les équipes fragmentées par le confinement. Bien au contraire, combien de chef·fes ont choisi de travailler avec une poignée des profs ? Ni élu·es, ni représentant·es, juste des collègues choisi·es par la direction parce que… ? Doué·es de grandes qualités professionnelles ? Jamais contestataires ? Souples ? Dans tous les cas, un travail en groupe volontairement restreint, mais ensuite imposé à tou·tes sous prétexte que des collègues avaient participé à la prise de décision.

On pourrait mettre cette distance et ces négligences sur le compte de la crise sanitaire, qui prend les individus en étau et les empêche d’agir pleinement ou les fait agir dans l’urgence, sans recul critique. Il est vrai.

Mais la situation est-elle si différente de ce qui se passe habituellement dans les établissements scolaires ?

Vers qui nous tournons-nous, d’ordinaire, lorsque nous avons l’impulsion d’un projet ou l’envie d’échanger sur notre quotidien ? Lorsque nous avons une difficulté dans une classe, ou des problèmes de communication avec une famille ? Lorsque nous avons des doutes sur notre manière de travailler avec les élèves, parfois même sur le sens de notre métier ? Lorsque nous avons besoin d’évacuer le surplus de tension ou de partager la joie d’une séance étonnamment réussie ?

La majeure partie du temps, nous nous tournons vers nos collègues, dans l’établissement, ou hors l’établissement. Rarement vers les personnels de direction.

Que (nous) font les chef·fes ?

À quels moments sommes-nous donc en contact avec les chef·fes d’établissement ? Et pour quoi faire, finalement ?

Du modèle ultra autoritaire à celui qui est aux abonnés absents, en passant par le modèle à la cool, voici quelques instants choisis et qui relèvent de l’expérience vécue.

Les chef·fes, nous les rencontrons à notre arrivée dans l’établissement, pour une présentation de l’équipe plus ou moins objective (combien de chef·fes se servent de ce moment pour recommander certains personnels, pour leurs qualités professionnelles, ou pour détourner des collègues trop vindicatifs·ives, divisant ainsi d’emblée les équipes ?).

Nous les côtoyons aussi dans les différentes réunions et instances. Il y a les conseils d’administration ou pédagogiques, où il s’agit davantage d’écouter une parole d’autorité qui ne fait que transmettre les consignes venues de plus haut, sans contester, sans remettre en question, sans les adapter à la complexité des réalités locales, comme si une feuille de route – de missions ! – était posée sur la table, dont il fallait cocher docilement les cases. Une parole qui met par là des freins administratifs et institutionnels aux besoins énoncés par les personnels et qui, rarement, propose des projets adaptés aux préoccupations quotidiennes des équipes.

Il y a aussi les conseils de classe, où les chef·fes, souvent, brillent par leur méconnaissance des rouages pédagogiques et du fonctionnement d’une classe, n’apportant le cas échéant que des réponses une nouvelle fois administratives et institutionnelles – lubie de devoirs faits ou du tout numérique, par exemple –, tellement décalées par rapport aux difficultés des élèves et des familles.

Nous voyons également les chef·fes d’établissement dans les moments de convivialité parfaitement managériaux et superficiels, où il s’agit d’être en représentation, de faire mine d’aller voir chacun·e, tout en évitant les plus contestataires. Si ces moments constituent souvent une respiration dans un quotidien parfois tendu, il faut bien l’avouer, ils ne créent aucune émulation collective, aucun sentiment d’appartenance à une communauté éducative, car nous nous retrouvons par équipe, parfois même par catégorie de personnels, sans que rien ne nous porte collectivement hormis un rendez-vous au même endroit et en même temps.

Mais surtout, ces chef·fes d’établissement, nous les voyons en face à face ou en très petit groupe choisi, dans le secret d’un couloir ou d’un bureau où nous sommes convoqué·es : il y a les propositions de missions particulières, qui visent à valoriser les personnels tout en leur donnant du travail supplémentaire (rémunéré ou non d’ailleurs, les chef·fes comptant sur le dévouement reconnaissant ou l’obéissance craintive des collègues).

Mais il y a surtout les remontrances, les reproches, les demandes de justification, voire les menaces concernant une famille qui s’est plaint ; concernant des paroles trop contestataires ; des mails que vous avez envoyés à vos collègues ; des journées de grève ; des absences médicales trop nombreuses ; un manque de tape-à-l’œil dans vos projets pédagogiques ; #pasdevague si vous avez subi des violences sexistes ou sexuelles dans le cadre de votre travail ; des réflexions pédagogiques que vous avez lancées avec vos collègues sans informer la direction. Avec, à la clé, pour les moins dociles d’entre nous, des rapports, des blâmes, des convocations à l’inspection académique, des mises à pieds, des déplacements d’office, particulièrement fréquents sous l’ère Blanquer.

Il y a enfin le fameux rendez-vous de carrière qui peut surgir sans que jamais le/la chef·fe n’ait pris la peine de discuter avec l’enseignant·e les mois, voire les années antérieures. Un entretien où il s’agit de se justifier sur des procès d’intention, ou sur des angles morts pour une direction souvent cantonnée au couloir administratif.

Les proviseur·es ont également brillé au moment de la réforme des lycées et du bac, alors que les personnels et les jeunes se mobilisaient pour dénoncer le caractère inégalitaire et injuste de ces mesures. Qu’ont alors fait certains personnels de direction ? Appeler la police pour forcer les élèves à entrer dans l’établissement scolaire ou pour surveiller les examens – arme de service en évidence – ; faire pression sur les jeunes et leur famille en refusant que soient organisées des épreuves de rattrapage et en brandissant le 0/20 ; noter à la place des enseignant·es qui refusaient de communiquer leurs notes, etc. Sans compter leur rôle dans les dossiers montés de toutes pièces contre nos collègues mobilisé·es.

Assurément, le modèle Blanquer, premier des chef·fes, se reproduit à merveille !

On a besoin d’un chef, un vrai !

Dans tout cela, comment est-il possible d’entendre encore des phrases telles que « on a besoin d’un vrai chef, quelqu’un qui sache prendre des décisions, trancher entre nous » (ton désabusé) ; « avec lui au moins, tu sais qu’il ne faut pas rendre les documents en retard, sinon tu passes un sale quart d’heure » (ton admiratif), « quand t’étais convoqué à son bureau, t’étais pas fière » (ton nostalgique) ?

Que semblent donc demander les collègues à un·e chef·fe ? Faire peur, impressionner, taper du poing sur la table, remettre à leur place les élèves, les familles, mais aussi les personnels. Cadrer, donner des lignes directrices pour que nous puissions savoir où aller, à quoi obéir ; trancher entre les propositions de projets présentés par les profs qui n’auront qu’à se soumettre à ses décisions ; surveiller – élèves comme adultes – ; sanctionner.

Surveiller et punir, belle illustration d’un conditionnement social – et scolaire ! – auquel peu de nous échappent. (D’aucun·es – y compris des organisations syndicales – parleront de management, de pilotage d’équipes et de projets : seuls les mots changent...)

Mais un·e chef·fe, c’est aussi pratique pour avoir une personne à accuser, sur qui mettre la responsabilité des dysfonctionnements de l’établissement, sur qui se défausser lorsqu’il faudrait débattre, se remettre en question, confronter nos idées, puis décider, collectivement, en équipe et entre pair·es.

Dans tous les cas, que l’on cherche l’autorité ou un bouc-émissaire, il s’agit toujours de nous en remettre à ce·tte chef·fe, de lui céder une partie de notre pouvoir de décider et d’agir dans l’établissement.

Pourquoi donc ?

Pour ne nous concentrer que sur nos projets et sur ce qui se passe dans nos classes ?

Pour éviter des débats – parfois houleux il est vrai – entre collègues ?

Pour ne pas avoir à penser l’école dans sa globalité ?

Par méconnaissance, pense-t-on, des rouages de l’institution ?

Parce qu’on se refuse à se faire les interlocuteurs·rices de l’institution, des parents, des collectivités, etc. ?

Parce que choisir et décider implique trop de responsabilités ?

Pour conserver un semblant de tranquillité ?

Et pourtant, rarement nous sommes satisfait·es de la gestion de notre établissement, de la manière dont sont prises les décisions, des orientations que la direction lui donne.

Rarement aussi, nous nous y opposons et tentons de tordre la réalité dans un autre sens, alors que les faits nous ont prouvé, lors de cette crise sanitaire par exemple, que nous avions collectivement les capacités et le pouvoir d’élaborer des démarches plus sensées et humaines, plus viables pédagogiquement.

Un engagement politique pour plus de démocratie dans les établissements

Alors quoi ? Ira-t-on jusqu’à dire que nous n’avons pas besoin des chef·fes ? Oui, assurément !

Si l’organisation actuelle de l’Éducation nationale leur donne un rôle central, certain·es allant même jusqu’à les qualifier de premièr·es pédagogues de l’établissement, dans les faits, une gestion collégiale des écoles, collèges et lycées permettrait aisément de s’en passer, tout en redonnant du sens aux décisions, tout en partageant la responsabilité et la joie d’agir, concrètement, pour qu’évoluent l’école et la société, en faveur de la jeunesse. Échanger, débattre, choisir, décider collectivement, élèves, personnels et famille, tout cela nourrirait un engagement authentique et confiant de chacun·e, donnerait du sens et de la cohérence à l’ensemble de nos actions éducatives et pédagogiques (1).

Mais qu’on ne se méprenne pas : militer pour qu’il n’y ait plus de chef·fes n’a rien de personnel. Lorsque l’on fait partie d’un syndicat anti-hiérarchique, il y a en effet souvent des malentendus avec les collègues ou la direction, qui personnalisent très vite les tensions, les réduisant de manière simpliste à un conflit interpersonnel relevant de la responsabilité de l’un·e et de l’autre.

Or cela dépasse de loin les intérêts individuels : il s’agit à chaque fois d’un positionnement politique cohérent avec l’école et la société que nous voulons. De celles qui soumettent et oppriment les êtres en les mettant au pas de l’institution, ou de celles qui mettent le collectif et la coopération en leur cœur, en rendant à chacun·e son pouvoir de réflexion et d’action ?

Il est nécessaire de comprendre que tant que l’on personnalisera, tant que l’on individualisera la lutte contre l’organisation hiérarchique des établissements, on légitimera les sanctions prises à l’encontre des personnels qui œuvrent pour plus d’humanité et de démocratie dans les établissements.

Pour autant, cela nous rend-il incapables de travailler avec des chef·fes ?

La gestion actuelle des établissements scolaires nous oblige à travailler un minimum avec les personnels de direction, mais toujours avec une vigilance accrue, de notre part, à toute pratique autoritaire, qu’elle se traduise par l’opacité des décisions, par des brimades ou par l’incitation à la courtisanerie.

Parfois cela se fait sans heurt, mais le plus souvent, ostracisme et méthodes d’intimidation surgissent bien vite, car l’institution et les personnels qui la servent sans remettre en question son fonctionnement écrasant ne sont pas prêt·es à transiger sur leur volonté d’asseoir leur pouvoir par la maîtrise des corps et des esprits.

Caliméro

(1) Que l’on regarde, par exemple, du côté des établissements autogérés qui existent déjà et qui montrent que cette aspiration n’a rien d’utopique.

2 Comments

  1. FredCapra

    On peut aussi regarder du côté du 1er degré, où, de fait, et malgré la loi Rilhac en cours d’examen parlementaire (avec cette fameuse idée de délégation d’autorité aux directeurs/trices d’école), on bosse plus ou moins en autogestion (sans les moyens nécessaires pour, évidemment), et malgré les nombreux obstacles hiérarchiques. Ca se passe pas trop mal, de ce point de vue-là.
    J’aime à imaginer, avec de la formation à l’autogestion, avec ce qu’il faut de ressources supplémentaires (des collègues, de l’argent, de la formation, etc…), ce qu’on pourrait faire en s’inspirant des bahuts autogérés.

  2. félix félidé

    Merci pour cet article qui formalise ce que beaucoup n’osent pas encore penser, et encore moins dire à voix haute. Discussion savoureuse avec un collègue il y a quelque temps: “on en a pas besoin! que fait-il de réellement utile?” “- euh tu crois?””-mais bien sûr!””- mais ” “-mais quoi? ” “-mais c’est …” “- oui? ” “- …le chef quand-même!”. Les cerveaux, même les plus brillants, sont formatés à cette idée absurde qu’il doit y avoir une autorité. De fait, je me suis posé la question: depuis quelques années, la seule fois où j’ai réellement eu besoin du chef, je vais dans son bureau, la secrétaire me dit qu’il est en vadrouille dans un magasin pour choisir des meubles. Le reste du temps, c’est communication vide, réunions absurdes pour asseoir son prétendu rôle, et réunions perfides pour faire semblant de nous associer à des décisions déjà prises. Des plaintes sempiternelles sur la lourdeur de la fonction (?) (certainement pas sur la lourdeur du traitement), des louvoiements pour botter en touche, et des tâches laissées de plus en plus aux enseignants (qui se souvient que les appréciations générales étaient auparavant leur attribution?). L’autogestion, nous y sommes réellement de fait dans mon bahut, et depuis longtemps. Stop à la maladie managériale vide de sens qui lorsqu’elle fait se manifeste (chez nous rarement heureusement) empoisonne la vie “sur le terrain”. Stop aux bullshits jobs grassement payés! Une dernière anecdote: le chef adjoint est en formation. Il est à peu près aussi efficace que mon chat en hypoglycémie. Trouver une salle est pour lui terriblement compliqué. Changer un edt tient de l’effort surhumain. Plus personne ne passe par lui pour faire quoi que ce soit. Il se plaint amèrement sur mes épaules qui n’ont rien demandé: “vous savez ce qui est le plus dur?” “- non monsieur” “- la paye. En formation, je suis toujours payé comme un prof!”. Oui, ça doit être terriblement difficile, en effet. Je compatis contraint et forcé.

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