Stéphanie de Vanssay, qui vient de lancer le site Dérives scolaires, informations sur les spiritualités et pseudosciences qui infiltrent l’École, a accepté de répondre aux questions de Q2C…
Peux-tu nous dire ce qui t’a conduit à lancer le site Dérives scolaires il y a quelques semaines de cela ? Quel est son objectif ?
Depuis quelques années maintenant je m’intéresse aux dérives sectaires, j’ai commencé par découvrir les écoles Steiner et leur “pédagogie” ésotérique et puis, de fil en aiguille, je me suis mise à tirer plein de fils, à voir ce que je ne voyais pas avant (une sorte d’éveil diraient les adeptes du new-age 😉) : les différents mouvements sectaires, le new-age, la psychologie positive, le développement personnel et les pseudo-sciences. Tout cela est relié bien plus qu’on le croit dans des logiques communes et… rentre dans les écoles sans qu’on en ait forcément conscience.
J’essaie d’informer et d’alerter, notamment sur Twitter, mais cela reste fugace et à un moment j’ai ressenti le besoin de poser clairement les choses pour être plus efficace. Je suis de plus en plus sollicitée par des collègues enseignants, des parents aussi, qui ont besoin d’informations et de repères qu’ils ne trouvent pas forcément auprès de l’Éducation nationale.
L’objectif du site n’est pas de dire ce qui a ou non sa place à l’École mais de pointer des pratiques qui me semble, a minima, requérir une grande vigilance.
Qu’est-ce que tu entends par « dérives scolaires » ? Peux-tu nous donner des exemples ?
J’ai défini ce que j’appelle “dérives scolaires” dans l’article de présentation du site.
Il s’agit de dérives qui peuvent être d’ordre spirituel, donc en contradiction avec le principe de laïcité et/ou pseudoscientifiques, donc en contradiction avec le consensus scientifique ou simplement ne pas relever de l’École.
Je n’ai pas trouvé pertinent de me limiter aux “dérives sectaires” car elles sont difficiles à caractériser et qu’on est face à un continuum où le risque sectaire est un problème parmi d’autres. Ce qui me semble essentiel c’est d’éviter de transmettre aux élèves des croyances, qu’elles soient religieuses, spirituelles ou pseudo-scientifiques, qui les entravent dans leur liberté de conscience. Je pense aussi aux enseignants qui, de bonne foi et dans le but d’aider leurs élèves, se lancent dans des pratiques, via des formations parfois douteuses, qui peuvent les entraîner dans des impasses professionnelles et personnelles, jusqu’à l’emprise parfois.
Tu proposes sur ton site un certain nombre de fiches (l’ennéagramme, le chindaï, les 8 Shields ou les 8 boucliers, la méditation de pleine conscience, etc.). À quoi, à qui, peuvent-elles être utiles ? Comment sont-elles construites ? Sur quelles sources s’appuient-elles ?
Chaque fiche concerne une pratique, présente dans des établissements scolaires, sur laquelle j’ai été alertée et que j’ai pris le temps de creuser. Elles sont essentiellement à destination des enseignants et des cadres de l’Éducation nationale mais elles peuvent aussi être utiles pour tout éducateur, y compris les parents.
Elles sont synthétiques pour pouvoir être lues rapidement. Elles comportent un descriptif de la pratique, les promesses de bienfaits dans le cadre scolaire, l’origine et les points de vigilance. Ensuite, selon ce qui est disponible, j’ajoute des avis qui me semblent pertinents et des témoignages. Pour finir je propose des alternatives dans la partie “Et si on faisait plutôt…” et des ressources pour aller plus loin.
Pour les sources je m’appuie sur Wikipedia pour le descriptif et l’origine et/ou sur les sites promouvant la technique en question, que j’utilise également pour les promesses. Pour les avis et témoignages, je m’appuie essentiellement sur la Miviludes qui est la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires et sur les associations de défense des victimes de dérives sectaires.
Je mets toujours un lien vers mes sources, quand il s’agit d’un site douteux je mets un lien vers l’archive web pour ne pas générer du trafic et montrer la page telle que je l’ai vue au moment de la rédaction de la fiche.
J’ai été assez surpris de voir figurer parmi ces fiches la Communication non-violente. J’ai l’impression que la critique repose surtout sur la non-formation des personnes qui proposent d’initier à cette pratique. Est-ce que tu pourrais développer les limites de cette méthode de communication ?
Je t’invite à relire la fiche, la question d’une éventuelle mauvaise formation n’est pas abordée, ce problème est valable pour toutes les pratiques, même celles qui ne sont pas des dérives potentielles.
Ce qui est intéressant quand on s’informe sur les dérives c’est qu’on est “évidemment d’accord” jusqu’à ce que l’on tombe sur une pratique qu’on aime bien et qui nous tient à cœur. C’est là qu’on voit ce que cela fait aux autres et si on est capable de gérer la dissonance cognitive et affective que cela crée. Ce n’est pas facile et le vivre nous permet d’être plus délicat vis-à-vis des autres.
Pour en revenir à la CNV, j’avais remarqué qu’elle faisait partie du package des propositions douteuses venant des tenants des dérives mais je me disais que c’était “juste de la récupération”, et puis j’ai écouté le podcast sur le sujet de Méta de Choc et décidé d’en faire la fiche.
En résumé, comme indiqué sur la fiche, les points de vigilance sont :
- Le discours sur et autour de la CNV renvoie régulièrement à des dimensions spirituelles ou religieuses
- La CNV peut-être utilisée et/ou ressentie comme étant un procédé manipulatoire qui empêche l’autre d’exprimer légitimement sa colère ou son désaccord
Après il faut lire l’ensemble et suivre les liens “pour aller plus loin” pour bien saisir les tenants et les aboutissants.
C’est pour le moment la fiche la plus consultée du site, je pense que beaucoup de lecteurs se demandent ce qu’elle fait là mais pour moi, aucun doute, elle y a sa place.
On dit souvent qu’une religion, c’est une secte qui a réussi parce qu’elle a acquis une reconnaissance institutionnelle… N’y a-t-il pas aussi un danger à se référer à une ou des autorités institutionnelles (donc aussi politiques) pour valider telle ou telle pratique ? Que reste-t-il comme marges de manœuvre pour des pédagogies qui se situeraient en dehors, voire en opposition au modèle dominant qui n’est pas non plus exempt de violences, de conditionnements, d’oppressions ? Comment éviter une normalisation des pratiques ? Quels seraient alors les critères, les points de vigilance ?
Le site “Dérives scolaires” ne valide aucune pratique, les “si on faisait plutôt…” ne sont que des suggestions de ma part que l’on peut compléter ou remettre en question.
Pour appeler à la vigilance, je peux m’appuyer notamment sur des institutions, qui peuvent être faillibles, mais qui concernant les dérives sectaires et/ou pseudo-scientifiques, ont une certaine expertise. Le contenu du site est une minuscule goutte d’eau de critique et de vigilance dans un océan d’informations hyper favorables aux pratiques problématiques, après je ne prétends pas détenir la vérité et j’ai forcément mes biais.
Le propos du site ce ne sont pas les pédagogies alternatives, qui sont selon moi dignes d’intérêt, ce sont des pratiques qui n’ont rien de pédagogique justement. On est plutôt dans le magique !
Bref, je suis pour la diversité des approches et l’expérimentation mais pas n’importe comment et au nom de n’importe quoi.
As-tu déjà d’autres projets pour ce site ?
Le compléter et l’enrichir en fonction des demandes et des besoins, les fiches en attente sont déjà nombreuses : le yoga, la sophrologie, la méthode Félicitée© et la cohérence cardiaque©. J’envisage d’autres articles de fond comme ceux sur la “spiritualité laïque” et la “psychologie positive” et aussi d’autres plus concrets comme celui destiné aux parents mais pour les enseignants confrontés à des projets problématiques portés par leur établissement par exemple. On assiste actuellement à une explosion de projets “bien-être” ou “bonheur à l’école” qui peuvent comporter de vraies dérives auxquels il est difficile de trouver des arguments pour dire non.
Est-il possible de participer et de contribuer à ce site ? Comment ?
Oui bien sûr, via les commentaires déjà, sur les réseaux sociaux aussi et par mail à contact@derives-scolaires.fr, tout est indiqué sur le site.
Toute suggestion, critique ou proposition d’article est bienvenue, n’hésitez pas.