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Montessori et le régime de Mussolini (extrait)

Le collectif Questions de classe(s) a lancé sa nouvelle collection de livres.

Voici le 2ème extrait du numéro De Montessori aux neurosciences – Offensives contre l’école du commun (nouvelle édition revue et corrigée) Grégory Chambat & Alain Chevarin

Le premier extrait à lire ici : “Maria Montessori, entre business pédagogique et mysticisme anthropologique”

Montessori et le régime de Mussolini

Le fascisme italien, dirigé par un ancien instituteur, place l’éducation au centre de ses préoccupations et les liens entre Mussolini et Montessori sont étroits. Dès 1924, elle est reçue en audience par le Duce. Il s’agit bien de faire de la méthode Montessori la référence du nouveau régime.

Dès 1924, elle rencontre Mussolini et lui demande d’encourager la diffusion de sa méthode. Élevée au rang de membre d’honneur de l’Organisation féminine fasciste, elle obtient en 1926 la carte du Parti fasciste tandis que le Duce devient président d’honneur d’Opera Montessori, la Société des amis de la méthode Montessori. Voici ce qu’écrivait Maria Montessori à propos du leader fasciste :

« Cet homme plein de curiosité, cet esprit extrêmement ouvert sur tout et qui veut tout connaître, posa un jour les yeux sur ma méthode. Il lui suffit de savoir que ma méthode jouissait de plus de crédit à l’étranger qu’en Italie, il promit son aide enthousiaste pour que soient instituées partout des écoles.1 »

À l’occasion du congrès de La Nouvelle Éducation2 qui se tient à Paris en 1931, Célestin Freinet s’insurge contre la dimension élitiste de la méthode Montessori et ses connivences avec le régime de Mussolini. Celui qui sera, quelques mois plus tard, poussé à la démission par l’extrême droite française3, déplore alors que

« La Nouvelle Éducation s’oriente franchement vers l’éducation des enfants bourgeois et la préparation pédagogique des mères bourgeoises qui ont quelque rejeton à choyer : conseils excellents pour ceux qui peuvent les suivre, réunions de mères, organisation d’écoles nouvelles richement payantes, livres au prix inabordable, etc. Tout cela ne manque pas d’intérêt, mais l’éternelle question nous harcèle ! Et les petits pauvres de nos écoles ?… Qu’ils se dé… brouillent n’est-ce pas ?

Et voici le bouquet : La Nouvelle Éducation organise chaque année un congrès. À la vérité, les instituteurs y sont de moins en moins nombreux, les professeurs, publics et privés, en constituant bientôt exclusivement la clientèle. Or, cette année, La Nouvelle Éducation fête à Paris son dixième anniversaire, et elle a obtenu, pour cette solennité, la venue de la Montessori qui parlera au Congrès. Une réception officielle suivra, et nous n’avons pas été surpris de lire sur le programme de La Nouvelle Éducation [que] “Le dîner du 2 avril aura lieu à la Maison des Centraux. S. Exc. l’Ambassadeur d’Italie et de nombreuses personnalités seront des nôtres. Le prix du dîner est fixé à 40 francs (smoking ou jaquette de rigueur)”. Voilà une heureuse décision qui aidera à se détacher de l’association tous les éducateurs qui ont une âme prolétarienne et ne désirent aucunement revêtir la ridicule livrée bourgeoise.4 »

Les déclarations de la pédagogue sont sans ambiguïté : elle met bien sa méthode au service du régime : « Un peuple préparé de la sorte rendra sa Patrie supérieure et dominante. […] Ma méthode est donc digne de collaborer avec le fascisme : elle permet de rassembler de grandes énergies spirituelles ; c’est une véritable hygiène psychique qui, appliquée à notre race, peut valoriser sa force magnifique et, j’en suis certaine, dépasser alors celle des autres races.5 »

Dans une lettre, Maria Montessori établit d’ailleurs un parallèle entre les principes fascistes et sa méthode pédagogique qui produit des « personnages forts », fournit le « spectacle impressionnant de la discipline parfaite ». Elle y précise que « les “forces exceptionnelles” de notre race, encore mieux que celles d’autres races, pourraient y ajouter une valeur supplémentaire6 ».

Dans une conférence prononcée en 1934 – pourtant l’année de leur rupture –, elle déclare encore :

« J’ai eu vent de vos doutes quant à la possibilité d’accorder les principes de ma méthode avec les directives du régime fasciste. […] Avec ma méthode, qui donne confiance, enthousiasme, amour du travail, passion de la connaissance, discipline parfaite, le peuple préparé saura construire une patrie plus grande, dominatrice.

Je suis sûre d’exprimer le souhait et l’inspiration de tous ceux qui partagent avec moi la foi en la personne du Duce d’Italie.7 »

Ce n’est qu’en 1934, douze ans après l’accession au pouvoir du dictateur fasciste, que Maria Montessori rompt avec le régime. Depuis longtemps déjà le personnel de ses écoles portait l’uniforme fasciste mais, lorsque le régime veut également l’imposer aux élèves, Maria Montessori s’y oppose et quitte l’Italie où ses œuvres sont brûlées et ses écoles fermées.

Il ne s’agit certes pas ici de qualifier tous les adeptes de la pédagogue italienne d’adorateur·trices du fascisme italien ! Mais, l’occultation de cette décennie sur les sites (ou les livres) évoquant la pédagogue interroge. Au mieux, on y relève des approximations de dates (« En 1934, lors de l’avènement du fascisme en Italie [sic], Maria Montessori décide de s’exiler, n’approuvant pas l’atmosphère totalitaire régnant en Italie.8 ») Au pire, s’esquisse même le portrait d’une militante antifasciste ! « Aux États-Unis puis en Europe, écrit André Roberfroid, président de l’Association Montessori internationale, les oppositions se sont organisées pour freiner le développement d’une démarche qui mettait en cause ce qui était perçu comme des fondements sociaux très importants et avec des implications en termes politiques qui étaient vues comme dangereuses. Surtout en période d’expansion du fascisme en Europe. Mussolini a très vite [c’est nous qui soulignons] interdit cela.9 »

Pour Charlotte Poussin, qui ne consacre qu’une page à ce sujet dans son « Que sais-je ? », la pédagogue italienne « n’approuve pas du tout le totalitarisme et l’exprime à sa façon. Elle est apolitique et pacifiste avant tout.10 »

Quant à Montessori, elle déclarera par la suite : « Pour moi, il y a toujours la liberté. Je fais ce que j’aime. Je ne veux pas qu’on fasse de moi une furie antifasciste. Les politiciens ne m’intéressent pas.11 » Une illustration, parmi d’autres, de cette « dépolitisation » de l’éducation…

C’est sur ces aspects plus politiques que se joue la prise de conscience de Célestin Freinet , revenu de ses enthousiasmes initiaux, mais qui se limitait, en 1928 encore, à quelques critiques du matériel Montessori, « basé sur la psychologie ancienne qui cherchait à développer les facultés au moyen d’un matériel fixe ».

En 1930, dans un article co-signé avec Klaas Storm, un jeune Hollandais qui l’aide à la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL), l’instituteur de Vence, entend éclairer « La vraie figure de la Montessori12 » et expliquer la « prévention, dans les milieux prolétariens, contre l’œuvre de Mme Montessori ».

Il en souligne l’élitisme – « Le fait que le matériel nécessaire à l’application de la méthode est, par son prix élevé même, réservé à quelques écoles privilégiées » – mais surtout, il commente la publication en Angleterre du livre de Montessori, L’Enfant dans l’Église, « essai d’éducation religieuse des enfants et de formation du caractère » qui, précise-t-il, « s’ouvre sur une belle photographie avec dédicace et autographe de S. S. Le Pape ». Freinet y dénonce cette fois clairement « le danger qu’il y a aujourd’hui à suivre Mme Montessori et ses admirateurs. Quel que soit l’apport pédagogique de sa méthode, l’éducatrice italienne, intégrée au fascisme, asservie à l’Église ne peut pas servir l’éducation du peuple. »

Mais, malgré cela, dans les années 1930, Freinet ne remet toujours pas en cause la méthode Montessori, il regrette même qu’une convergence entre les deux méthodes soit rendue impossible du fait, dit-il de « l’intransigeance et l’autoritarisme de la Dottoressa13 », précisant que « ce sont là des considérations dont nous devrons toujours tenir compte quand nous essaierons de tirer du montessorisme ce qui peut être utile à l’École prolétarienne. »

Et alors que ce qui frappe à la lecture des œuvres théoriques de Maria Montessori, c’est la religiosité qui baigne l’ensemble, et sur laquelle le très conservateur Pape Pie X, on l’a vu, ne s’est pas trompé, Freinet semble même penser que l’aspect religieux relève d’une évolution tardive de la doctrine montessorienne « Mme M. qui recommandait de laisser vivre librement les enfants, […] elle qui semblait n’assigner d’autre but à l’éducation que l’épanouissement des jeunes enfants, déclare maintenant [c’est nous qui soulignons] avoir un autre but supra naturel. »

1 Source : documentaire Révolution école 1918-1939, quand l’utopie faisait école, Grudzinska Joanna et Todorov Léa, Les Films du poisson, Arte France, 2016.

2 Fondée en 1921 par Roger Cousinet La Nouvelle Éducation est une société pédagogique qui édite un bulletin du même nom. Cette association « a pour objet de réunir tous les éducateurs décidés à favoriser en France l’activité personnelle des enfants, soit à l’école, soit dans la famille. Son but est d’aider ces éducateurs, de faire connaître et de répéter leurs expériences. »

3 De Cock Laurence, Une journée fasciste, Célestin et Élise Freinet, pédagogues et militants, Agone, 2022.

4 L’École émancipée, avril 1931.

5 Cité par Gilsoul Martine, Maria Montessori, une vie au service de l’enfance, p. 201

6 www.montessori.nl (traduction du néerlandais via www.reverso.net)

7 Conférence prononcée par Maria Montessori le 21 avril 1934 à Rome et citée dans le documentaire Révolution école 1918-1939, quand l’utopie faisait école.

8 Une formule que l’on retrouve reprise quasiment telle quelle sur plusieurs sites, comme celui de l’école Montessori Lyon ou celui de La Caravelle Montessori School. Quant à l’encyclopédie Larousse en ligne elle comporte cette double erreur de date et d’analyse : « Le fascisme n’étant pas favorable à l’Éducation nouvelle, Maria Montessori s’exila volontairement d’Italie en 1936. » http://www.larousse.fr/archives/grande-encyclopedie/page/9168

9 « Bilan et perspectives sur la pédagogie Montessori avec André Roberfroid, président de l’AMI » pour le site Femininbio.

10 Poussin Charlotte, La Pédagogie Montessori, Que sais-je ? Puf, 2017, p. 28.

11 Cité dans le documentaire Révolution école 1918-1939, quand l’utopie faisait école.

12 Freinet Célestin et Storm Klaas, « La vraie figure de la Montessori », L’École émancipée, n° 7, 9 novembre 1930.

13 Freinet Célestin, « Le cours de Nice », L’Éducateur prolétarien, ­novembre 1934.

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