Quelques pratiques d’une école à 15 classes, j’y enseignais en CM1/CM2.
Défendre l’exercice des libertés à l’école, c’est vouloir construire dans le temps et dans l’espace une éducation à la citoyenneté fondée sur des pratiques de participation et de responsabilité. Ces pratiques tâtonnées et expérimentées donneront progressivement à l’enfant la possibilité et la capacité de juger, de choisir, de décider, de proposer…
Mais le plus souvent à l’école, on observe deux sortes de pratiques :
– Une pratique limitée par la répression : l’enfant exerce son activité librement, sans préalable, mais si elle ne respecte pas les règles ou les limites, il est puni. Elles sont souvent implicites, soumises à l’incohérence des adultes et elles provoquent un sentiment d’insécurité chez l’enfant.
– Une pratique avec autorisation arbitraire : l’enfant demande à l’adulte qui accorde ou non l’autorisation (provoquant un sentiment d’injustice chez l’enfant).
L’école n’intègre guère le fait que les lois, les contraintes et les interdits ne précèdent pas les libertés, mais qu’elles en permettent l’exercice.
Pour que la démocratie vive à l’école, les enfants devraient définir ensemble les modalités de la mise en œuvre de leurs droits et leurs libertés. Ainsi, ils pourront comprendre la réciprocité entre droits et devoirs, libertés et obligations, et les limites à poser. Ce serait aussi leur permettre d’identifier et de conscientiser les libertés de l’autre dans une perspective relationnelle.
Bien sûr, cette pratique à l’école respectera les exigences de la loi : droits et libertés d’autrui, protection de la santé, moralité publique, sécurité… Mais organiser l’exercice des libertés, notamment celle de la circulation dans l’école, tout en respectant le cadre juridique, n’est guère évident. En effet, les enseignants doivent assurer la surveillance des élèves pendant les heures de classe et les autres activités qu’ils encadrent.
Pour illustrer ce qui est possible ou impossible lorsqu’on est seul dans l’école à décider de l’exercer, voici quelques situations prises dans mon école.
· Dans la cour
Les intempéries
Suite à une demande des délégués de classe, les enfants souhaitent pouvoir lire, jouer au calme, ne pas sortir lorsqu’il pleut ou fait très froid. Les adultes répondent négativement sans avoir essayé de trouver une solution, car il faudrait organiser une surveillance supplémentaire pour répondre au souci de sécurité et il n’en est pas question.
Constat : lorsqu’il pleut, les 250 élèves du cycle 3 se bousculent sous le préau. Les risques de collision entre eux ou avec les poteaux ne sont pas à démontrer, même s’ils ont l’interdiction de courir. Et pour tous les enfants, obligation d’être sous le préau, même s’ils sont bien couverts ou s’il pleut finement, pour des motifs de… santé !
Les élèves de ma classe, en Conseil, ont alors adopté une règle : lorsque le temps est mauvais et que je ne suis pas de service, les enfants qui le souhaitent restent avec moi dans la classe, nous sortons alors les jeux de société, certains lisent ou dessinent. Les modalités (nombre, alternance…) ont été pensées et adoptées en réunion. Nous avons limité ce droit aux jours de forte pluie ou de grand froid, pour respecter les autres classes.
Les jeux
En récréation, avec certains jeux (cartes, images, billes…), des conflits, des disputes surgissent, des vols sont commis… Certains enseignants confisquent alors les jeux, d’autres non. Attitude répressive sans explication préalable pour les uns, attitude au coup par coup chez les autres. Les enfants ne comprennent pas. Les repères, les référents adultes, deviennent incohérents et instables.
On peut imaginer, avec ces deux seuls exemples, la réflexion collective qui aurait pu être menée :
Avec le premier, pour exercer la liberté de choisir le lieu ou l’activité de la récréation, auraient été élaborées des règles, des limites, des conditions pour que le droit à la sécurité de chacun soit respecté.
Avec le second, des règles des différents jeux auraient pu être élaborées par les enfants dans les classes, avec des sanctions si besoin, communes et reconnues par tous.
La sécurité de l’enfant n’est souvent perçue que dans la crainte d’un constat d’accident, d’une plainte de parents, d’une mauvaise image de l’école. Pour ce faire, on va interdire les jeux où les enfants entrent en conflit, on croit ainsi repousser la violence de l’école. Mais l’insécurité due aux règles implicites, à l’incohérence des propos et des comportements d’adultes, prépare furtivement la violence redoutée…
· Dans les couloirs
Il y a dans toutes les écoles des enfants qui circulent seuls, pour aller aux toilettes, pour transmettre les papiers de classe en classe, pour rejoindre un cours de langue ou lors d’un décloisonnement… Cette liberté s’exerce sans démarche de construction de règles, d’étude des conditions, elle est soumise à l’appréciation de chaque adulte, voire réduite à l’implicite. Cette liberté, s’il se produit un accident, sera remise en cause sans que se fasse la prise de conscience de l’importance du travail sur le règlement intérieur de l’école.
La liberté de circulation est possible dans des écoles où tous les acteurs sont convaincus, avec les équipes Freinet par exemple. Là, des règlements intérieurs sont élaborés avec la participation des enfants et des parents, et inscrits dans un projet d’école visant l’autonomie et la responsabilisation.
Un règlement intérieur permet non seulement aux adultes de répondre aux conflits et aux transgressions, mais les enfants ayant participé à sa rédaction le reconnaissent comme un garant de leurs libertés, comme une référence sûre qui les protège de l’arbitraire.
Ce qui n’est pas le cas dans l’école. La mise en œuvre de la libre circulation se fait donc essentiellement dans notre classe, à la bibliothèque une fois par semaine avec des parents et pour les toilettes.
· En classe
La libre circulation est indispensable dans la classe et n’est pas soumise à la demande d’autorisation. Mais elle est soumise à des devoirs, des conditions, des restrictions… Ces contraintes sont établies pour respecter les droits de chacun : travailler sans être dérangé, respecter le matériel disponible, aider un camarade ou être aidé… Les règles évoluent selon les capacités des enfants et les transgressions. Le Conseil est le lieu de parole où les observations, les constats sont présentés et où les décisions sont prises.
· À la bibliothèque
Pendant une heure, tous les lundis matin, un parent est en bibliothèque, un escalier sépare la classe de la bibliothèque. Les enfants montent seuls ou en petits groupes pour choisir un livre, ils peuvent redescendre juste après ou rester à lire. Les conditions établies avec les enfants servent à respecter le lieu spécifique, la lecture de l’autre et la sécurité de chacun. En attendant qu’un enfant ait les capacités de circuler seul ou en petit groupe, il se déplacera avec le parent.
· Aux toilettes
La circulation pour les toilettes est soumise à des conditions spécifiques mises en place lors des premiers conseils de l’année : privilégier les temps de travail personnel et éviter (autant que possible !) les temps collectifs, me prévenir, la porte de la classe reste ouverte… un seul enfant sort à la fois. En cas de transgression, une demande d’autorisation sera obligatoire.
Ce sont des petits exemples, mais qui font ressortir l’importance de la participation des enfants dans leurs lieux de vie pour leur permettre l’exercice de libertés en toute sécurité, même dans une école ordinaire.
Cette expérience est intéressante car elle prend le problème de l’éducation dans le bon sens : avant de poser des sanctions définir des libertés. Reste une question : quelle est l’étendue de cette expérience ? Une classe ? plusieurs classes ? l’école entière ? L’auteur semble tantôt parler au nom d’un collectif, tantôt en son nom propre.
Le pivot de cette éducation est évidemment le Conseil où les enfants peuvent dire leurs représentations de la vie collective, purger les troubles inévitables et émettre des règles. Qui suppose une formation spécifique du professeur qui met en œuvre cette pratique.
Juste une remarque : ce qui est énoncé ici concerne l’apprentissage de la vie en société. Mais on pourrait étendre cette problématique à l’apprentissage cognitif. On sait depuis longtemps que l’enfant n’apprend pas seul et que l’intervention d’un adulte mentor ou transmetteur de connaissances n’est pas suffisante. L’apprentissage entre pairs est indispensable, formateur et susceptible de faciliter l’appropriation des savoirs quand les enfants n’ont pas les acquis culturels que l’école présuppose et dont la non maîtrise pénalise les enfants des classes populaires. Les apprentissages cognitifs sont aussi des apprentissage sociaux. Mais ils ne reposent pas sur des principes démocratiques. Ils reposent sur d’autres principes qui sont ceux qui régissent les savoirs et supposent une activité mentale spécifique : résolution de conflits cognitifs, apprentissage de la réflexivité, élaboration de règles de validation… Il serait intéressant de se pencher sur cet aspect crucial de la vie de la classe.