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Le calendrier de l’Avent du PISA

Daniel Bart (université de Lille)

Jugeant à la mi-novembre 2023 « plutôt inquiétants » les résultats obtenus aux récentes évaluations de 4ème en français et mathématiques, le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, a affirmé que des « mesures fortes » seraient annoncées début décembre en vue de la rentrée prochaine. Au-delà du contenu de ces « mesures fortes » au collège, qui devraient semble t’il concerner sans surprise des « groupes » de « besoins » ou de « niveaux », tout porte à croire que le choix de les annoncer début décembre ne doit rien au hasard : c’est en effet à ce moment-là, et plus exactement le 5 décembre, que seront divulgués les résultats d’une autre évaluation, d’envergure mondiale celle-là, à savoir l’édition 2022 du Programme international de suivi des acquis des élèves de 15 ans (PISA).

Lancé en 2000 par l’OCDE, ce célèbre programme d’évaluation rend en effet publics ses résultats lors de grandes conférences de presse organisées à la fin de l’année qui suit celle de passation des épreuves. Le rythme triennal de réalisation du PISA aurait cependant supposé une édition en 2021 débouchant sur des résultats publiés en décembre 2022, calendrier que la pandémie de Covid-19 a empêché.

Le contexte sanitaire et ses effets sur les systèmes et acteurs scolaires donnent ainsi à l’édition 2022 du PISA une particularité au plan de sa temporalité, non seulement en ce qui concerne son déroulement bousculé par la pandémie, mais surtout pour ce qui concerne la scolarité des élèves évalués (au printemps 2022) qui aura également connu de longues périodes de bouleversement. Mais plus largement, pour une évaluation qui veut comparer la variation des « performances » des systèmes scolaires tous les trois ans, ces questions de date et de temporalité de référence constituent un enjeu central. Une large part de la communication du Programme insiste d’ailleurs sur ce point. Depuis son lancement, le PISA met ainsi systématiquement en avant l’intérêt de sa périodicité notamment pour les décideurs publics (cf. ici, p. 7 ou 13) et ses éditions successives se sont progressivement inscrites dans l’agenda politique et médiatique mondial. L’OCDE a dans cette perspective lancé depuis quelques semaines un compte à rebours sur sa « web tv » qui retransmettra en direct la conférence de presse consacrée aux prochains résultats début décembre 2023. Dans le même temps, le Programme communique aussi déjà sur son édition 2025 (et son tarif pour les États intéressés).

Pourtant, au-delà de ces annonces et ce volontarisme, l’organisation effective de l’agenda du PISA et de ses implications semble plus flottante ou incertaine, en particulier dans un contexte marqué par la pandémie. Dans la droite ligne des bizarreries ou curiosités de cette évaluation que nous explorons depuis plusieurs années avec Bertrand Daunay, c’est en tout cas une impression quelque peu désordonnée que donnent les indications et informations du PISA sur le calendrier de mise en œuvre de cette édition 2022 et les effets de la crise sanitaire sur le Programme.

Si l’on cherche des informations sur la page web que le Ministère de l’éducation nationale consacre au PISA 2022 (dont les services de la DEPP ont la charge en France), seuls quelques mots (dans l’introduction) signalent ainsi le changement d’agenda du Programme en conséquence du Covid-19. Ce changement, tout comme l’épidémie, ne sont par contre pas évoqués dans une courte vidéo de présentation, s’ouvrant sur le slogan bleu blanc rouge « Tous derrière l’équipe de France PISA ! » (Devise sportive que l’on retrouve sur le « kit de communication » que le Ministère a mis également à disposition des établissements tirés au sort pour le PISA 2022)…

Il semble plus encore vain de se reporter au site que l’OCDE consacre au PISA en français (deuxième langue officielle de cette organisation avec l’anglais) qui n’apparait pas mis à jour au moment d’écrire ces lignes : les dernières actualités publiées datent de l’automne 2020, qui plus est sans allusion à la pandémie, tandis que les résultats du PISA qui sont mis en avant concernent l’édition 2018. Cette édition du PISA est pourtant justement à priori la seule à ce jour dont le premier uniquement des six volumes de résultats publiés en anglais est traduit en français. Cette traduction incomplète manifeste peut-être une difficulté rencontrée sur ce plan durant la crise sanitaire par le PISA dans la mesure où les trois derniers volumes anglophones, publiés en 2020, évoquent le Covid-19. Mais malheureusement il est difficile de trouver des informations précises à ce propos également.

De fait, la version anglophone du site web du PISA semble cependant mieux actualisée puisque sa page d’accueil affiche, au moment de la rédaction de ce texte, l’événement médiatique du 5 décembre 2023 consacré aux résultats de l’édition 2022. Cette annonce ne dit cependant rien du changement de calendrier de l’évaluation alors même qu’un peu plus bas sur la même page est annoncée la parution d’une note récente du Programme qui précise que les deux premiers volumes de résultats de l’édition 2022 questionneront particulièrement les relations entre la pandémie et les résultats des élèves dans les différents systèmes scolaires… On trouve bien toutefois en bas de page de ce site web, une mention ancienne signalant que les difficultés sanitaires ont conduit à décaler l’agenda du PISA (communiqué qui semble avoir été repris en français en juillet 2020 sur quelques sites de presse, par exemple ici ou ).

Ce site anglophone du PISA affiche cependant également un lien vers une présentation spécifique de l’édition 2022 et de son cadre conceptuel d’évaluation (en mathématiques) disponible cette fois en plusieurs langues. C’est notamment le cas en français, et apparemment, plus précisément encore, en français canadien selon le drapeau et la mention « FRA (CAN) » se trouvant en haut de la page web concernée. Mais un avertissement indique cependant d’emblée que la lectrice ou le lecteur francophone ne peut s’attendre à un tel degré d’exactitude dans l’ensemble de la page web : la mention « Veuillez prendre note que la version française de ce contenu n’a pas été révisée » apparait ainsi curieusement au début du texte. Et de fait, rien dans cette présentation en ligne ne signale que cette édition 2022 résulte du report du PISA 2021 pas plus que n’est évoquée la pandémie de Covid-19… alors même que la présentation des contenus évalués en mathématiques par le PISA souligne leur importance pour comprendre notamment « les dangers des épidémies de grippe » !

Et cliquer sur un lien supplémentaire que propose cette présentation en français, vers ce qui est qualifié d’« ébauche » du cadre pour les mathématiques du PISA 2022, ajoute encore à cette impression de flou. Cliquer sur le lien conduit en effet à une version (anglophone) de cette ébauche datant de… 2018 et qui évidemment ne peut rien dire du contexte épidémique de 2020-2021 et du décalage de l’édition 2021.

Pourtant, loin de cette ébauche de cadre conceptuel du PISA 2022 datant de 2018, sa version définitive (mais en anglais seulement à l’heure actuelle) a été rendue publique par le Programme lui-même le 31 aout 2023 ! Et ce document là signale bien le report d’une année de l’évaluation pour des raisons sanitaires et consacre même plusieurs pages à la présentation d’un questionnaire développé spécifiquement pour recueillir des données sur les conséquences de l’épidémie et notamment de la fermeture des Écoles.

Mais puisque rien ne semble simple, le rapport technique définitif de cette même édition du PISA 2022 est lui daté de… 2020. Il ne mentionne donc pas à priori le report du PISA 2021, pas plus que la crise sanitaire ou l’épidémie de Covid-19. Il faut dire qu’en tête de la page web où ce rapport technique du PISA 2022 est disponible –entre autres documents-, on peut lire au moment d’écrire ces lignes : « Please note that while all the titles of the supporting documents say PISA 2022, some of their contents still refer to PISA 2021 »… Et effectivement parmi les différents liens listés, dont les intitulés indiquent qu’ils renvoient vers des textes méthodologiques relatifs au PISA 2022, on débouche sur des écrits pouvant dater de 2018 ou 2019 et se référant explicitement, dans leur forme actuelle, au PISA 2021.

Bref, en matière de gestion des événements et de contrôle de l’agenda, les écrits du PISA ne renvoient pas vraiment l’évidence que veulent manifester ses annonces et communiqués de presse. Et cela interroge un Programme piloté par une organisation réunissant les premières puissances économiques mondiales, qui met précisément en avant son calendrier comme nous l’avons vu et qui n’hésite pas à se présenter comme l’« initiative internationale » d’évaluation des élèves « la plus exhaustive et la plus rigoureuse qui ait été entreprise à ce jour » (ici, à la p. 14). Mais cela interroge surtout les visées d’un Programme qui, tout en donnant peu d’explication sur ses propres limites, notamment temporelles, ne manque pas de se pencher sur les difficultés des systèmes et acteurs scolaires et de les exhorter à faire mieux. Tout à sa logique de palmarès, le PISA annonce ainsi que ses prochains résultats permettront notamment d’identifier « quels systèmes éducatifs ont montré de la résilience », non seulement en maintenant le niveau des apprentissages pendant la crise sanitaire mais aussi en le favorisant. C’est peut-être ce qui s’appelle pour le Programme « tracer une voie permettant à tout un chacun d’aborder le futur avec confiance », pour reprendre les mots du projet post pandémique de l’OCDE… à moins qu’il ne s’agisse là-encore pour le PISA d’affirmer sa propre maitrise du temps et des contingences ?

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