Tribune du GFEN, septembre-novembre 2023
Pour une véritable formation professionnelle des enseignants
Le vaste mouvement de libéralisation des services publics initié dans les années 1990, gangrène notre système éducatif. Comme tous les services publics (transports, santé…), l’école se voit soumise à la “loi du marché”. Outre la perte de confiance dans l’école publique, son démantèlement entraîne le développement d’écoles privées alternatives, refuge pour les enfants de classes sociales privilégiées ainsi que toujours plus « d’école à la maison ».
Passées à coup d’ordonnances ou d’amendements, ces réformes forment système et visent à transformer l’école pour adapter élèves et enseignants aux besoins d’une société basée sur l’individualisme et la concurrence. Tout se déroule sans concertation avec les acteurs et les actrices impliqué⋅es, et sans concertation avec l’ensemble des chercheurs et associations éducatives, mais en faisant appel à de soi-disant “expert⋅es” chargé⋅s de concevoir et penser à la place des citoyen⋅nes et des professionnel⋅les. Les décisions prises ainsi s’opposent à l’intérêt général : personnels en nombre insuffisant, établissements pouvant recruter en fonction des projets, des spécificités affichées…
Progressivement les droits chèrement acquis par les professionnels de l’éducation sont remis en cause. Monsieur le Ministre, l’école publique que nous défendons mérite que ses enseignant⋅es soient traité⋅es avec le respect qui leur est dû et bénéficient d’une formation digne de ce nom. Mais nous ne voulons pas de n’importe quelle formation professionnelle, ni dans n’importe quelles conditions ! Nous ne sommes d’accord ni sur les modalités (présentiel/à distance, durées et temps de formation) ni sur les finalités que les ministres successifs nous imposent.
Nous, GFEN, mouvement pédagogique d’Education Nouvelle, affirmons que notre école a besoin d’une formation qui permette l’analyse des pratiques ordinaires et leur abandon quand elles se révèlent socialement discriminantes. Elle a besoin d’une formation qui analyse les pratiques dogmatiques pour mieux les éviter, des formations qui permettent l’émergence de pratiques émancipatrices qui rassemblent et s’appuient sur l’intelligence collective. Elle a besoin d’une formation qui assure l’interface entre les pratiques et les recherches dans différents domaines. Elle a besoin d’une formation qui permette rencontres et débats entre les enseignants. Elle a besoin d’une formation qui s’appuie sur l’hétérogénéité et la considère comme une richesse et non comme un obstacle, qui permette et redonne envie d’apprendre.
L’école étant le creuset de la société future, il nous faut réfléchir et élaborer des pratiques qui permettent de faire face au quadruple problème planétaire actuel : le changement climatique, le problème économique et social, l’effondrement de la biodiversité et la montée des fascismes et des intégrismes. Il faut donc former des citoyens capables de problématiser, de chercher, d’inventer des solutions, de prendre démocratiquement des décisions. Autant de choses qui ne vont pas de soi, qui s’apprennent par le vécu, tous ensemble et non sur des logiciels ou en assimilant un discours préfabriqué. Il est grand temps de développer la formation à des pratiques de coopération et d’entraide, et non de pérenniser des pratiques de compétition de rivalité ou de développement personnel, tout en prônant une égalité de façade.
L’école est un bien commun qu’il faut préserver de toute emprise de marchandisation dans le respect de la laïcité. Seule une éducation avec des pratiques non dogmatiques, favorisant l’émancipation individuelle et collective et l’élaboration d’un esprit critique peut garantir l’apprentissage de la démocratie. Faute de quoi, on peut craindre le pire.
Il y a nécessité de maintenir une formation continue sur temps de travail, ce qui est à la fois un droit du travailleur et un devoir de l’État.
Complètement d’accord avec ce texte.
Mais… il faudrait faire des propositions alternatives. Il y a urgence. Depuis le rapport de Peretti et l’élan qu’il a impulsé, les MAFPEN puis les IUFM ont été la cible constante de critiques parfois justes, mais le plus souvent sans aucun fondement autre qu’idéologique. La formation des enseignants n’a cessé de se dégrader sous la pression notamment du corps d’inspection et dans l’indifférence générale des universitaires dont très peu se sont mobilisés pour défendre une formation professionnelle digne de ce nom. Les propositions de Gabriel Attal sont tout simplement sidérantes et constituent une régression majeure. Une critique générale ne suffit pas. Il faut entrer dans le dur. Vous avez raison : la formation des enseignants doit viser à mettre en place une école non concurrentielle, où la coopération entre enfants et la nécessaire connaissance par les adultes des processus sociaux et cognitifs engagés par l’éducation sont le fondement des pratiques, une école tournée vers un monde respectueux de la vie sous toutes ses formes.
Mais les pratiques dignes de ce projet ne sauraient se développer dans des établissements organisés pour développer une pédagogie strictement transmissive, pour sélectionner les rejetons de la classe dominante et favoriser une compétition pipée, dans une organisation du travail enseignant et du travail d’apprentissage rigide et mal adaptée aux besoins des élèves. Une pédagogie progressiste ne peut s’inscrire dans un environnement réactionnaire. Il faut aussi un soutien réel aux recherches pratiques sur le terrain, faute de quoi les acquis de la formation se perdent rapidement. A terme, le succès de la formation est conditionné par l’ensemble du fonctionnement des écoles et des établissements.
Françoise Clerc,
professeur émérite en sciences de l’éducation, ancienne formatrice MAFPEN, IUFM.