La charte de la laïcité présentée à la Ferté-sous-Jouarre le 09 septembre par Vincent Peillon énonce dans son article 2 : « Il n’y a pas de religion d’Etat ». Pourtant, cet énoncé est plus ambigu qu’il n’y paraît.Il n’y a pas officiellement en France de religion d’Etat au sens où l’anglicanisme par exemple est une religion d’Etat. La loi de 1905 a proclamé la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Pourtant Vincent Peillon nous le rappelle lui-même dans son ouvrage Une religion pour la république, la laïcité a été constituée comme une religion républicaine.
La laïcité garde en effet deux caractéristiques de la religion. La première c’est que la religion serait ce qui « relie ». La laïcité aurait pour fonction de garantir des valeurs communes aux citoyens de la République, de garantir l’unité nationale. Ce point est rappelé dans l’article 7 de la Charte : « une culture commune et partagée ». La laïcité constitue une condition de possibilité d’édification et de maintien du projet politique d’Etat nation.
La seconde caractéristique religieuse de la laïcité, c’est qu’elle fonde une unité spirituelle. Il ne s’agit pas comme dans le marxisme de constituer une communauté sur la base de l’abolition des classes sociales économiques qui divisent la société. Il s’agit de constituer une communauté sur la base d’une idéologie commune. Cela signifie que les valeurs républicaines doivent unir tous les citoyens indépendamment de leur religion, de leur sexe ou de leur origine ethnique, mais aussi sociale. Il ne s’agit pas de prôner la lutte des classes, bien au contraire….
Ce projet d’unité spirituelle sur la base de valeurs communes, c’est la définition qu’Ernest Renan donne de la nation dans sa conférence de 1882, « Qu’est-ce qu’une nation ? »: « Une nation est une âme, un principe spirituel ». La refondation de l’école a cet objectif implicite pour Vincent Peillon. Il s’agit avec la charte de la laïcité de réaffirmer la religion républicaine de manière à refonder le pacte républicain et l’unité nationale en crise.
On peut néanmoins être sceptique sur deux points. Le premier c’est l’illusion que constitue la constitution d’une communauté sur la base de valeurs : comme si cela permettait de combattre la division réelle de la société en classes sociales inégales qui ne cesse de s’accroître avec la concentration des richesses. Le second c’est que les penseurs anarchistes, comme le fait remarquer d’ailleurs Vincent Peillon dans son ouvrage sur la laïcité, avaient dénoncé cette constitution d’une nouvelle religion républicaine. En particulier, ce qui pouvait apparaître comme dangereux dans un tel projet c’est que la construction d’une communauté nationale a eu pour corollaire avant 1914 l’édification d’une logique belliciste en Europe et la justification de la colonisation.
Aujourd’hui, il est possible de constater que la réaffirmation des valeurs de la laïcité a pour corollaire un discours d’intervention militaire international et de lutte contre un potentiel ennemi intérieur terroriste islamiste. Cette action trouve ses justifications dans la défense des grandes valeurs de la modernité, mais il faut également se demander si elle n’aboutit pas à une logique de militarisation sécuritaire et liberticide de la société.
Irène Pereira