Santé et Précarité (II)
L’expérience de la Précarité amène les enfants, les adultes et les familles qui la subissent à faire coïncider l’expérience de mauvaise santé avec le sentiment de soi. Au delà de l’accumulation des troubles, il y a surtout au cœur de la précarité une conscience et une épreuve de la fragilité de soi; une sorte d’abandon face à ce qui immanquablement se dégrade et nous dégrade.
Le précaire en quelque sorte est malade de la conscience de sa propre précarité. Et celle ci le terrasse.
Pour face à cette condition que le précaire ne parvient ni à retourner, ni à dépasser, il faudrait plus que du soin seul, plus que de l’accompagnement sanitaire; il y faudrait plus que de la prévention, plus que du conseil avisé, plus que de l’éducation médicale ou l’inculcation d’une hygiène sociale; il y faudra toute une pédagogie.
Le précaire se sent faible par lui même; il ne sert à rien de le renvoyer à sa propre autonomie ou sa propre responsabilité. Il ne sert à rien d’en appeler à sa conscience quand c’est celle ci justement qui le paralyse et qui l’éprouve.
Au Précaire, il ne faut pas plus de soi même, quand c’est soi même qui se perd. Au précaire, il faut de l’autre.
Parce que la précarité est un cercle vicieux, parce quelle est un serpent qui se mord la queue, il y faut de l’externalité, de la dissymétrie. Il faut une intervention extérieure, forte et fiable. Il faut de la rencontre, de la collision et que celle ci soi suffisamment forte pour faire dévier son chemin.
C’est de la rencontre mais celle-ci ne suffit pas; il faut aussi que cette rencontre puisse durer, qu’elle puisse se maintenir malgré les obstacles, les empêchements, et toute la somme des impossibles dont la précarité est remplie. Il faut de l’inconditionnalité à cette relation, il y faut de la dissymétrie , de la souplesse et du don. Il faut une rencontre et puis aussi une organisation pour la faire durer.
Il faut une pédagogie du soin et de la continuité pour sortir de la précarité , pour lui faire obstacle, pour lui faire accident. Il faut un complot du vivant pour renverser la pente de toutes les dégringolades; il faut toutes les complicité, et toutes les amitiés aussi. Mais, par dessus tout, il y faut encore et encore une organisation.
Nous l’avons analysé ainsi; le défaut de santé du précaire est dû à un défaut d’immunité . Ce qu’il manque au précaire c’est un système immunitaire, une organisation de défense de tout son corps et, au delà, de tout son être. Ce défaut de validité, ce défaut d’immunité ne se limite pas à l’instant, au trouble actuel. Il ne s’épuise pas dans le présent. Il est le résultat de toute une vie , de toute une accumulation de troubles mal soignés.
Aucune force n’a été transmise à l’enfant précaire et le vécu de ses problèmes de santé ne l’ont jamais rendu plus fort, comme il se devrait, mais au contraire, toujours de plus en plus faible.
Il faut une immunité pour affronter le Monde et il faut une protection, une sécurité pour se constituer une immunité. Ce que la pédagogie du soin apporte à une clinique de la précarité c’est ceci, c’est un milieu plus fort, plus sécurisé , plus stable , dans lequel on peut peu à peu devenir plus fort.
Il faut une communauté pour constituer une immunité. Et il faut que cette communauté soit suffisamment stable et forte pour aller au delà des fragilités et défaillances actuelles.
Il l en faut de la force pour lever un à un les obstacles et répondre aux troubles! C’est cette organisation là, ce groupe, cette communauté qui, pour un temps, peut et doit jouer le rôle d’un système immunitaire et de défense de l’individu précaire.
Cela suppose bien entendu de sortir la question du soin du strict périmètre médical, afin de lui donner tout sons sens général, somatique, affectif et social. Il faut de l’affectivité pour sortir de ses affections.
Sortir le soin du médical, afin de le rapprocher de soi, de se familiariser avec lui, et de l’intégrer. Petit à petit le précaire change sa vision de ses troubles de santé; il ne se réduit plus à eux. Il ne s’y soumet plus tout à fait. Il intègre dans l’équation la possibilité de sa propre force , de sa propre énergie, qu’il a d’abord reçue du groupe.
Bien entendu le trouble reste, la maladie résiste quelques fois . Mais il n’est plus besoin de se limiter à elle.
Le précaire apprend et découvre comment être affecté parce qui lui arrive, sans se perdre.
Laurent Ott,
Intermèdes Robinson – Espace de Vie Sociale/ CENTRE SOCIAL
Longjumeau- Chilly- Massy et Nord Essonne
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