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De l’autre côté du périphérique (2) : témoignages

En complément au texte De l’autre côté du périphérique, deux témoignages d’enseignantes…

Le ras-le-bol d’une professeur des écoles de Bobigny

Quand les droits de nos élèves seront-ils respectés ? À Bobigny, c’est une lutte de tous les instants.

Nos réseaux d’aide (RASED) sont démantelés. Les personnels du RASED qui restent doivent concentrer leurs faibles moyens sur les CP et les CE1. Il paraît que les RASED ne « serviraient à rien » selon des comptables chevronnés dont les enfants n’en ont jamais eu besoin.
Permettre à un enfant de ne pas perdre pied dès le début de sa scolarité a-t-il un coût ?

Nos élèves en difficulté ne sont, très souvent, pas suivis, alors même que la prévention gratuite et sociale est effondrée : plus de place chez l’orthophoniste, même en privé, pas de rendez-vous chez l’ophtalmologiste, pas d’argent pour payer des lunettes, difficile d’aller chez le dentiste sans mutuelle pour faire soigner les caries… Ici, un seul des trois postes de médecin scolaire est pourvu ; l’infirmier scolaire doit se partager entre un collège et une dizaine d’écoles. Les visites médicales obligatoires en CP et CM2 ne sont plus assurées…

Le handicap de certains élèves, qui serait reconnu dans une autre académie, ne l’est souvent pas chez nous. Il est en effet difficile de monter les dossiers sans l’aide d’une assistante sociale scolaire, qui, ici, n’existe pas en école élémentaire, alors que la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), surchargée, accumule des mois de retard dans le traitement des dossiers. Quand bien même le handicap est reconnu, c’est encore un parcours du combattant pour obtenir une AVS (aide de vie scolaire), bien que ce poste précaire soit réservé à des « personnes en difficulté », sans aucune formation pour aider réellement l’enfant !

Alors qu’il est établi que c’est dès la maternelle qu’il faut soutenir et apporter une véritable aide aux élèves en difficulté et à leur famille, il y a aujourd’hui à Bobigny des enfants de plus de 4 ans non scolarisés faute de places dans les maternelles ! L’école maternelle, indispensable pour apprendre à devenir un élève, devient un luxe qui n’est plus accessible à tous.
Que ces élèves se rassurent : l’école primaire, le collège et le lycée – obligatoires – les accueilleront. Non pas qu’il y ait plus de places, simplement les classes et les bâtiments seront surchargés, à la limite des règles de sécurité. Chaque mois, de nouveaux logements sont livrés à Bobigny, sans que l’infrastructure scolaire ne suive. Cela fait bien longtemps que l’effectif du lycée Louise Michel dépasse de plus de 50% l’effectif pour lequel il a été construit, et l’on continue d’y ouvrir de nouvelles classes.

Les suppressions de postes, le manque de personnel et de matériel sont d’autant plus cruels ici, où sont affectées les populations qui en ont le plus besoin, et qui attendent toujours de l’école qu’elle joue son rôle d’ascenseur social.
Ici, il n’y a plus de remplaçants, même lorsque les enseignants sont absents plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ici, lorsqu’un remplaçant arrive, tout le monde sait bien qu’il ne connaît en général ni le programme, ni l’enseignement, ni même le niveau auquel il aura à enseigner, car la plupart des remplaçants qui sont encore là sont sans aucune formation.

Ici, les postes d’assistants pédagogiques et d’assistants d’éducation disparaissent année après année, comme les autres avantages des ZEP. Ils permettaient pourtant d’aider personnellement les élèves, d’aider les enseignants à travailler en groupe, de maintenir une atmosphère sereine dans les établissements – parfois à leurs risques et péril quand ils empêchaient des intrusions violentes dans les établissements.
Ici, le rapport entre le nombre d’heures d’enseignement et le nombre d’élèves ne cesse de diminuer. En classe de seconde, les heures d’accompagnement personnalisé se font en classe entière ; un enseignant a ainsi moins de deux minutes hebdomadaires à consacrer à chaque élève, à un moment charnière de sa scolarité.
Ici, la mairie refuse l’ouverture d’une classe pour les élèves de deux ans, même dans la zone « ZEP + », en expliquant qu’elle n’a pas les moyens de payer une ATSEM alors que ces personnels sont payés en fonction publique catégorie C…
Ici, à l’heure de la « pédagogie du numérique », les écoles sont dépourvues d’ordinateur. Ou alors il y en a deux au fond de la classe. Ou alors c’est une salle avec 12 ordinateurs, mais qui s’occupe du demi-groupe pendant ce temps-là ?
Ici, il nous faut plus de 10 ans pour renouveler les manuels scolaires des écoles, alors que les programmes changent désormais tous les 4 ou 5 ans. Le budget alloué par la municipalité est en effet de 25 euros par élève, alors que chaque manuel en vaut 15 — à quoi il faut ajouter des livres de bibliothèque, des documentaires, des dictionnaires, des outils de grammaire, etc. Tout repose sur le bon vouloir des mairies ; or justement, la mairie de Bobigny ne veut plus financer les projets des écoles. Comme le budget des écoles est une décision municipale, je vous laisse deviner ce qui arrive : ville riche, école bien fournie en matériel pédagogique ; ville moins riche, c’est « débrouillez-vous avec ce que vous trouvez » ! Si encore les avantages des ZEP ne s’étaient pas volatilisés…

C’est dans ces conditions déplorables que nous devons apprendre à des élèves parfois en grande difficulté, parfois non-francophones, à lire, écrire, compter, être citoyen, et bien plus encore… Au gré des grands plans annoncés par les gouvernements, mais sans moyens adéquats, les missions s’élargissent : faire passer le B2i, passer à la pédagogie du numérique (sans ordinateurs ?) ; apprendre les gestes de premiers secours (sans matériel, sans médecine scolaire ?) ; faire passer le brevet de sécurité routière (toujours sans matériel, sans aide : pourquoi la police ne vient-elle plus dans certaines écoles ?) ; faire passer le premier niveau de langue (sans formation des enseignants) etc.

Où est l’égalité ?
Quelle énergie supplémentaire allons-nous encore devoir dépenser pour essayer de vous faire entendre notre désarroi ? Sisyphe lui-même n’eut pas à se manifester devant l’Olympe pour faire connaître son sort.

Nous en venons à nous demander si les technocrates ferment les yeux sur ce désastre, sans prendre conscience des dangers sociaux bien réels que ce gâchis humain génère ; ou s’ils ne savent vraiment pas, et qu’ils ont besoin de lanceurs d’alerte pour leur faire découvrir la situation.
Comptent-ils sur le fait, que dans nos villes de Seine-Saint-Denis, les familles ne réagiront pas, car elles n’ont plus la force de réagir, submergées par leurs problèmes personnels de logement, de chômage, préoccupées par leurs jeunes adultes qui dérivent sans but ou vivants par procuration rivés à leur console, par leurs adolescents provocateurs, par leurs enfants en difficulté d’apprentissage et par leurs problèmes de santé ?

Christine Girard, professeur des écoles à l’école Paul Eluard de Bobigny

***

Le ras-le-bol d’une enseignante en collège à Bobigny

Dans mon collège, nous constatons depuis une dizaine d’années, une hausse constante des effectifs sans qu’aucun moyen horaire et humain supplémentaire ne nous ait été alloué. Nos inspecteurs nous demandent de faire mieux, autrement, avec plus d’élèves (+30% depuis 2008), moins d’heures de cours (-3% par rapport à 2008) et moins d’enseignants (- 4 titulaires en 7 ans). Nous aimerions beaucoup y parvenir, mais, n’ayant pas de baguette magique, nous nous trouvons démunis face à la complexité de la tâche à accomplir.

Nous sommes aux horaires plancher dans toutes les disciplines, c’est-à-dire que nos élèves bénéficient à peine du minimum légal : en Histoire-Géographie, par exemple, nos élèves n’ont, en classe de 3ème, que 3 heures et demie de cours par semaine pour acquérir l’ensemble des connaissances et des capacités prévues par les programmes nationaux pour préparer le DNB et le passage en seconde. A Paris, dans certains établissements, les élèves bénéficient de 5 heures hebdomadaires pour atteindre les mêmes objectifs. Cherchez l’erreur ! Désormais, on nous demande en outre de préparer nos élèves à l’épreuve d’Histoire des Arts, sans qu’aucune heure de cours supplémentaire nous ait été allouée. A nous de nous débrouiller avec les moyens du bord ! On a, peu à peu, supprimé tous les dispositifs d’aide et de soutien. L’année prochaine, des heures de travail en demi-groupes en français et en mathématiques vont disparaître parce qu’elles ne sont plus budgétisées. On va également supprimer la moitié des heures de vie de classe, alors qu’elles sont nécessaires pour préparer l’orientation des élèves, pour les aider à s’organiser dans leur travail et pour remédier aux difficultés du « vivre ensemble »…

Sur le plan qualitatif, la dérive accélérée que connaît chez nous le mode de recrutement des enseignants nous laisse songeurs. Cette année, près du tiers des enseignants du collège sont des personnels précaires non-formés ou des stagiaires en cours de formation. Certains ont été affectés à l’année pour combler des postes non pourvus, d’autres sont arrivés en cours d’année pour remplacer des collègues en congé maternité ou en arrêt maladie. Aux professeurs titulaires, les inspecteurs font subir une forte pression en multipliant les injonctions : il faut à la fois se tenir informé de l’évolution scientifique de nos disciplines, problématiser nos cours, travailler par compétences, varier les approches, individualiser le suivi des élèves, utiliser les technologies de l’information et de la communication, aider les élèves décrocheurs, préparer l’orientation des élèves, boucler les programmes… Et, dans la salle d’à côté, il y a M. ou Mme X, recruté à Pôle emploi pour enseigner l’anglais, le français ou les mathématiques, sans aucune préparation et sans aucun accompagnement. Ces personnes ne sont pas en cause : elles font de leur mieux, mais l’institution scolaire les place dans une position intenable en les jetant dans le grand bain sans leur apprendre à nager. Certains, parmi eux, tiennent bon cependant, avec beaucoup de courage et de mérite, mais d’autres craquent après quelques jours ou quelques semaines d’activité, si bien que nos élèves assistent à une valse de remplaçants quand ils ne sont pas purement et simplement privés de cours, comme ce fut le cas chez nous, cette année, pour les germanistes.

Par ailleurs, le nombre des élèves augmente fortement, alors que le nombre des surveillants reste stable : en 2008, il y avait 2 surveillants pour 80 élèves, l’an prochain, nous passerons à 2 surveillants pour 100 élèves. Faute d’un nombre suffisant de personnel de surveillance dans les couloirs et dans la cour, les violences se multiplient et se banalisent, parfois en toute impunité. Le niveau d’insolence est très élevé, on se bouscule dans les escaliers et certains élèves, en particulier les « petits 6èmes », confessent venir au collège la peur au ventre.

A cela s’ajoutent des conditions d’hygiène déplorables : depuis la rentrée 2014, des experts du Conseil Général ont décrété qu’étant donnée la superficie de l’établissement, il fallait réduire le nombre des agents chargés de l’entretien du collège. Leur nombre est ainsi passé de 11 à 7, augmentant logiquement la charge et la pénibilité de leur travail. Cela conduit à des arrêts maladie fréquents et non remplacés. Résultat : nos salles de cours sont très souvent, cette année, d’une saleté repoussante.

À ce stade, nous sommes forcés de le reconnaître, nous ne sommes plus en mesure de remplir notre mission éducative et de garantir à nos élèves un cadre rassurant et structurant, leur permettant d’étudier sereinement et de faire l’expérience d’un « vivre ensemble » apaisé. Notre collège n’est pas une exception : tous les établissements scolaires publics des environs sont en souffrance. Aussi comprenons-nous parfaitement l’anxiété des classes moyennes : beaucoup de parents cherchent à inscrire leurs enfants dans des écoles privées quand ils ne songent pas, tout bonnement, à déménager.

En salle des profs aussi, c’est le « sauve qui peut » : à part quelques piliers qui sont là depuis une vingtaine d’années et qui peuvent témoigner de la dégradation accélérée des conditions dans lesquelles nous travaillons, le turn-over s’accélère. La plupart des collègues sont en mode « survie ». Il y a ceux qui ont été affectés dans l’académie de Créteil contre leur gré et qui aimerait bien pouvoir, un jour, regagner la Bretagne, Midi-Pyrénées ou les Pays-de-Loire… Depuis des années, nous tenons bon en capitalisant des points dans l’espoir d’obtenir, un jour, un établissement où les conditions d’exercice nous permettront de faire enfin du bon travail. Pour certains, c’est une question de vie ou de mort ! Or, cette année, le barème des mutations a été modifié sans qu’on nous ait demandé notre avis : nous avons appris que les points APV (le bonus qu’on attribue aux enseignants qui passent plusieurs années en REP) vont disparaître d’ici trois ans. On s’est senti poignardé dans le dos ! Moralité, ceux qui sont là depuis plus de 5 ans et qui n’étaient pas vraiment pressés de quitter Bobigny se disent : il faut partir tout de suite, après, ce sera trop tard ! Quant-aux plus jeunes, ils comprennent qu’il leur sera encore plus difficile de partir dans la région où ils aspirent à vivre. Le piège se referme…

On veut stabiliser les équipes pédagogiques dans les établissements difficiles. Mais au lieu de le faire par la motivation, on le fait pas la contrainte. Le ministère communique beaucoup sur le fait que les enseignants en ZEP touchent une prime. La belle affaire ! Avec 100 euros de plus par mois, on ne compense même pas le coût du logement en Île-de-France. Notre pouvoir d’achat serait bien plus élevé si nous vivions en Alsace ou dans le Limousin !

Si on veut vraiment nous donner envie de rester, il faudrait que notre hiérarchie, et la nation avec elle, nous témoigne d’une réelle considération. Nous sommes rassasiés de mépris et d’hypocrisie. Lorsque nous demandons des heures de travail en demi-groupe, des heures de concertation payées pour pouvoir travailler en équipe, du temps pour monter des projets, des classes à 18 élèves maxi, ce ne sont pas des enfantillages ! Nous n’écrivons pas une lettre au Père Noël ! Nous implorons simplement les décideurs de nous donner enfin les moyens de faire du bon travail. Ce serait plus gratifiant et nous serions moins tentés de partir en courant pour sauver notre peau. Si l’Etat français reconnaissait que notre mission dans les banlieues est vraiment une priorité nationale, pourquoi ne pas aligner le statut des enseignants de ZEP sur celui des professeurs en classe prépa ? Avec 12h de cours hebdomadaires payées 18, on se sentirait vraiment reconnu, et il y a fort à parier que cela susciterait des vocations !

Si tout cela n’est pas possible parce que l’État français est au bord de la faillite ou, tout simplement, par manque de réelle volonté politique, alors, qu’on ait au moins la décence de cesser de se gargariser de beaux-discours sur l’égalité des chances. Vus de Bobigny, les hommages émus à Jules Ferry qu’on prononce, au sommet de l’État, la main sur le cœur et la larme à l’œil, ont quelque chose de déplacé et de malhonnête. Un silence pudique serait de bon ton. Un peu de décence, s’il vous plaît !

Catherine Longevialle
professeur au collège Pierre Sémard de Bobigny

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