Après les classes de CP et CE1, les évaluations dites « nationales » ont été étendues à la rentrée 2024 à tous les niveaux du CP à la seconde. Pour rappel, les évaluations nationales sont des évaluations conçues par la DEPP (Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance) et devaient être passées par tou·tes les élèves avant le 30 septembre. Elles se présentent majoritairement sous la forme de QCM dans un épais livret en papier à l’école primaire ou directement sur l’ordinateur dans le secondaire. Les enseignant·es doivent suivre un script pendant la passation qui impose la formulation des consignes et le temps imposé pour chaque exercice. Les enseignant·es ne sont pas censé·es les corriger : dans le primaire, les enseignant·es entrent directement les réponses des élèves dans un logiciel ; dans le secondaire, ils et elles n’ont même pas cette tâche à effectuer. Le logiciel produit par la suite des graphiques de positionnement en fonction du taux de réussite.
Initialement, elles s’inspirent de la pédagogie de la « réponse à l’intervention » canadienne. Il s’agit d’identifier des compétences prédictives de l’échec scolaire et d’agir rapidement sur une durée limitée avec les élèves ayant échoué les exercices.
Les évaluations nationales réduisent ainsi l’expertise des enseignant·es qui ne sont ni concepteur·rices de leur outil d’évaluation, ni même sollicité·es pour l’analyse de ces dernières. Il s’agit pourtant des deux facettes constituantes de la professionnalité de notre métier. Les évaluations nationales et leur machine sont un outil de la « prolétarisation » du métier d’enseignant·es. C’est par l’analyse des productions in situ, que nous pouvons saisir non seulement la mesure des performances de nos élèves mais aussi leurs actes d’apprentissage. C’est parce qu’on observe non seulement le résultat, mais aussi l’enfant au travail avec ses cheminements et réflexions qu’il est possible de penser la meilleure manière de le·la faire progresser. Par exemple, les évaluations nationales ne distinguent pas l’enfant qui inverse des sons de l’enfant qui fait des erreurs d’orthographe. Elles ne saisissent pas non plus les procédures de l’élève en résolution de problème. Elles sont incapables de cerner comment ils et elles se placent par rapport à la culture écrite. D’ailleurs, l’expression écrite ou orale est un domaine du français qui n’est pas évalué. Elle est pourtant centrale dans la pédagogie Freinet que nous pratiquons. Lors de leur mise en place en CP et en CE1, elles sont d’abord un outil pour imposer une programmation dans l’enseignement des correspondances grapho-phonologiques en CP. Ces évolutions ont par conséquent aussi une fonction de formatage des enseignant·es et des élèves.
Outil de management pédagogique, souvent ineptes et parfois brutales, le ministère ambitionne d’utiliser les évaluations comme des « outils de pilotage » au service des inspections. Il s’agit au mieux de « flécher des formations » (rognant ainsi le droit à la formation des enseignant·es), au pire d’être un prétexte à la répression pédagogique.
Elles ont par ailleurs été utilisées, notamment par le ministère Blanquer, comme un outil de communication bien pratique ; le ministère n’hésitant pas à modifier les seuils (de mots lus par minute en fonction du niveau) pour vanter les succès de sa politique scolaire. Nos élèves n’ont pas à être utilisés pour satisfaire les besoins en communication des ministres de l’éducation.
Notre refus des évaluations nationales est avant toute chose une question d’éthique professionnelle, le refus de considérer l’enfant et l’enseignant·e comme des rouages d’une machine.
Nous pensons sincèrement que nous augmenterons le niveau scolaire des enfants de France en faisant appel à l’intelligence et à la créativité des
enseignant·es et de leurs élèves et non l’inverse. L’intersyndicale de l’éducation a appelé au boycott et beaucoup d’enseignant·es du mouvement Freinet se sont engagé·es dans ce mouvement de refus.
Avant même que le temps de passation ne soit encore terminé, des collègues ont commencé à subir des pressions de la hiérarchie. Depuis, il y a eu des convocations, des passations forcées et des menaces.
Le mouvement Freinet poursuit sa critique des évaluations nationales. Nous appelons à soutenir celles et ceux qui subissent des pressions et à visibiliser la lutte contre les évaluations nationales et le choc des savoirs en général. Et, nous exigeons l’abrogation des évaluations nationales !
ICEM pédagogie Freinet
Paris, 6 octobre 2024