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Même les fascistes font de la pédagogie

Depuis hier, grâce à la complicité d’un quotidien auquel nous empruntons la liberté de blâmer, un petit groupe – 50 signataires exactement – de « profs avec Zemmour » fait parler de lui. Selon une stratégie éculée mais toujours efficace, il a créé un site un compte twitter sur lequel il a publié une vidéo.

Le site ne contient pour l’instant qu’une page, reprise au mot près de l’article paru dans Le Figaro, avec en guise d’en-tête l’incrustation d’une vidéo Youtube dans laquelle un certain Eric Z prononce un édito à propos de l’assassinat de Samuel Paty, chacun appréciera selon sa conscience.

Le compte twitter est né le 14 octobre 21, retweete quelques zemmoureries et, surtout, relaie les vidéos des collègues qui défendent ce qui est défendu dans le texte : « autorité », « excellence », « méritocratie », « identité française ». On ne s’attardera pas sur le vertigineux manque d’imagination de ces propos, c’est un peu le produit de l’année : chronologie, uniformes, patati patata, tout le reste est à l’avenant.

Il est sans doute plus intéressant d’aller regarder cette liste de signataires, car il en sort quelques figures, on ne sera pas surpris que le soutien à Eric Zemmour soit issu des rangs de l’extrême droite, mais ça va toujours mieux en le disant.

Un certain nombre d’entre les signataires collaborent régulièrement au “forum” École et Nation, un « espace de réflexion et de proposition pour le redressement du système éducatif français » qui reprenait en une, ce matin, l‘appel du Figaro. Sur sa page Facebook, ce forum se dit explicitement lié au Rassemblement National.

Gilles Ardinat est présenté comme le coordonnateur du Forum (en fait il semble être le seul membre véritablement actif), il y a signé ou relayé plusieurs papiers, comme une revendication du “retour” aux classes de niveau au nom du bon sens, un coup de colère contre les « menaces » qui pèseraient sur la fête des mères et la fête des pères, contre le «gauchisme institutionnel», l’enseignement de l’arabe à l’école. Gilles Ardinat publie aussi sur le site M l’avenir, plateforme « collaborative » lancée cette année par Marine Le Pen pour donner la parole aux militants de terrain.

Pierre Aliotti, jeune et dynamique professeur de lettres, qui affiche son admiration pour Napoléon (« Le plus grand des Français »), participe lui aussi à  École et Nation, où il est présenté comme « professeur de lettres en collège dans le 77 » mais pas comme ex candidat pour le FN à Montpellier, ce qu’il a été pourtant.

Nicole Mina aussi est présente sur le who’s who d’ École et Nation comme « professeur à la retraite (34) ». Précisons qu’il n’y a pas de faute de frappe, elle est bien professeur au masculin, ce qui la regarde. En revanche il n’est pas dit qu’elle a été conseillère régionale d’Occitanie d’abord RN puis plus rien (non inscrite). Il n’est pas dit non plus qu’elle est particulièrement active au sein de la Ligue du midi – identitaires en Occitanie, pour laquelle elle écrit beaucoup, notamment un article en 2020 à propos de Samuel Paty, rangé dans le tag Islam, dans lequel elle lui reproche assez clairement d’avoir montré les caricatures sans rien dire de ce qu’a été son cours et le rend, de fait, responsable de sa propre mort. Une illustration archétypale de la forme rhétorique du “d’accord mais…” ou in cauda venenum.

Au-delà de l‘équipe d’ École et Nation, le réseau s’est forcément un peu étendu.

Valérie Laupies est présentée dans l’appel comme directrice d’école, c’est exact mais elle a aussi été militante au FN qu’elle a quitté pour rejoindre l’Institut Civitas, des chrétiens intégristes qui ont participé activement au mouvement de la Manif pour Tous après avoir, moins noblement, vandalisé l’œuvre Le Piss Christ, photographie d’Andres Serrano, en Avignon en 2010.

Yann de Caqueray, présenté comme chef d’établissement collège et lycée dirige en fait l’internat Notre Dame d’Orveau (49) après avoir dirigé l’Espérance Sainte Cécile (85), deux établissements sous contrat inscrits dans une mouvance très catholique (il a par exemple déclaré : « Il n’y a pas d’autre source de l’autorité que la reconnaissance de notre dépendance : c’est parce que j’ai accepté la délégation de pouvoir de Dieu et des parents que je peux exercer une autorité légitime. »).

Bastien Pothier de Badereau est entre autres auteur sur le site Esprit Surcouf, organe d’une association nommée Esprit cors@ire et qui s’intéresse beaucoup plus à des questions géopolitiques que d’éducation, mais l’article proposé par BPdB est intéressant : il s’agit d’une légitimation historique de l’action de Vladimir Poutine qui serait le continuateur de la politique impériale de Nicolas II rassemblée dans la devise : « orthodoxie, autocratie, nationalisme ».

Gérard Philippe (avec deux p évidemment, ne pas confondre), après avoir participé à l’aventure Jean-Louis Borloo dans le Nord, a été candidat FN dans le XIIe arrondissement de Paris.

On passe vite fait sur les membres du Collectif Racine (l’éducation au Front National) comme Pierre Miscevic (professeur de lettres classiques en khâgne au lycée Louis le Grand), Gilles Ardinat lui-même, etc.

Cette liste peut paraitre inquisitoriale. Elle l’est à sa façon, tant la signature de l’appel nous parait trompeuse, via le mensonge par omission. Personne ne sera surpris de voir des enseignants d’extrême droite soutenir le projet de candidature de Zemmour, on aurait juste aimé qu’ils précisent bien qu’ils sont d’extrême droite.

D’autre part ce n’est pas n’importe quelle extrême droite. Nous sommes loin d’avoir l’expertise nécessaire pour comprendre ce qui se joue en ce moment chez les fachos autour de la candidature putative de l’énervé, quel jeu jouent les militants du RN, la Présidente « dédiabolisatrice », la figure salvatrice en embuscade que tous appellent affectueusement Marion et qui est adulée dans le parti et ses satellites mais une chose est sûre : ceux qui ont signé cet appel sont des radicaux parmi les radicaux, catholiques intégristes ou identitaires acharnés, bonapartistes convaincus ou adeptes de l’autocratie fascisante, ce ne sont pas des tendres, il nous semblait important que cela fut dit clairement.

Et l’exemplarité dans tout ça ?

Par ailleurs, cet appel nous pose un autre problème : dans le climat ambiant au sein de l’éducation, où les mots à la mode sont ceux d’exemplarité, de laïcité, de devoir de réserve, ou une répression dure s’abat sur des collègues qui revendiquent une position sur ce que doit être l’école, une répression plus dure encore vis-à-vis de certaines organisations (nous pensons notamment à SUD éducation, contre lequel l’ancien recteur de l’académie de Créteil a une dent singulièrement acérée), nous nous demandons ce que sera ce lundi la réaction de l’administration centrale à une prise de position aussi radicale ?

Entendons-nous bien : le devoir de réserve, pour les enseignants, n’est qu’une chimère, leur liberté d’expression et d’engagement, en tant que citoyens, n’a pas à être mise en cause. En revanche, le personnel d’encadrement (corps d’inspection et chefs d’établissement) est tenu au devoir de loyauté et de réserve, on sait ce que parfois ça lui coûte de couleuvres. Or dans la liste des signataires, on trouve une IEN : Laurence Ben Fredj, Inspecteur(sic) et une proviseure de lycée : Isabelle Gouleret. On peut s’attarder un peu sur le parcours de cette dame.

Isabelle Gouleret a été secrétaire académique du SNPDEN-UNSA dans l’académie de Lyon, puis elle a été candidate pour le RN en 2021 dans le canton de Quissac (30). Elle est actuellement proviseure du Lycée Rimbaud à Istres. A son arrivée dans l’établissement, elle explique dans un entretien accordé à La Provence qu’elle entend diriger son lycée « comme une entreprise », avec « des objectifs qualité » et que « les enfants d’Istres ne travaillent pas assez ».  Isabelle Gouleret a installé dans son lycée une ambiance pesante, selon les représentants syndicaux de l’établissement, les enseignants avaient même débrayé en 2019, dénonçant des « intimidations, du mépris et des invectives », dénonciation appuyée par le personnel administratif de l’établissement. La phrase que l’on retient le plus volontiers est celle d’un prof d’anglais syndiqué : « Les élèves ont peur, ils vivent dans la terreur car ils sont face à une personne imprévisible. » En fait, le point d’orgue de cette ambiance a eu lieu en octobre 2020, quand Isabelle Gouleret a refusé à une jeune fille nommée Sakina l’entrée du lycée parce qu’elle portait un bandeau dans les cheveux. D’après la jeune fille (la proviseure a refusé de s’expliquer), les allusions au voile étaient explicites, par le biais d’une accusation d’atteinte au droit des femmes. Cette affaire à l’époque a été largement médiatisée.

Alors bon, cette dame, et tous ses cosignataires, ont le droit à une opinion, mais là on compte parmi elleux des fonctionnaires de la République, parfois encadrants, qui affichent leur souhait de voir présidée ladite république par un homme condamné à deux reprises, pour « Incitation à la haine raciale » puis « provocation à la haine religieuse ». Cela peut au minimum poser question.

Faire barrage au fascisme

En tout cas, le lien est fait : le climat engendré par les pratiques éducatives de l’extrême droite, on le connaît, or ces pratiques éducatives passent par des éléments précis, qu’on retrouve dans le texte de l’appel : “maîtrise des savoirs fondamentaux”, “faiblesse du niveau des élèves”, “inanité des innovations pédagogiques”, les “hussards noirs”, les “méritants”, l’ “excellence” tout y passe.

D’une certaine façon, cette tribune nous rend service : les éléments de langage dont elle est gavée ne nous sont pas inconnus, et ne sont pas réservés aux courants d’extrême droite. Ils forment même une vulgate omniprésente dans le discours sur l’éducation, y compris à l’intérieur de la machine, parmi des collègues pourtant insoupçonnables idéologiquement. Ne faudrait-il pas en profiter pour, enfin, réfléchir aux étranges exigences que nous avons parfois trop intériorisées sur l’école, en se demandant, chaque fois, quelle est l’autre face. L’excellence, c’est l’exclusion, même l’étymologie en témoigne. Faire monter les élèves méritants, soit, mais, sans même parler des ambiguïtés de ce fameux mérite, celleux qui ne sont pas méritant·es, on en fait quoi ? À ce titre, l’absence, parmi les signataires semble-t-il, en tout cas dans les vidéos à coup sûr, de professeur·es de l’enseignement professionnel est un message on ne peut plus clair. Il parait en tout cas difficile de ne pas parler de relégation.

Tout cet univers de sens dans lequel trop de gens se meuvent sans bien y réfléchir apparait ici clairement comme la clé d’activation de l’éducation rêvée par l’extrême droite. Aussi dans le climat actuel, plus que jamais, convient-il de rendre caduc ce type de discours en reprenant en main un principe simple : si l’on enseigne, on fait de la pédagogie, qu’on le veuille ou non, et la pédagogie proposée par cette tribune est d’extrême droite, comme ses signataires : elle est excluante, autocratique, dresseuse et autoritariste, tout le contraire d’une école émancipatrice pour tous.

Mathieu Billière (avec l’aide d’Alain Chevarin et du livre de Grégory Chambat : L’Ecole des réacs-publicains, merci à eux)

5 Comments

  1. Ping :Octobre – Jeunesse/Education | Revue de presse Emancipation

  2. Georges

    Bonjour,
    Citer le snpden en parallèle de Mme gouleret n’a aucun intérêt et ressemble à une forme de désinformation ciblée. Elle n’est plus adhérente depuis très longtemps et n’est plus la bienvenue au regard de ses derniers engagements personnels.

    • Mathieu Billière

      De fait, Mme Gouleret a exercé des responsabilités académiques au SNPDEN quand elle était dans l’académie de Lyon, la désinformation est du côté des signataires de la tribune quand ielles se présentent comme enseignants lambda.

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