On n’est peut-être pas encore en Corée du nord mais en tout cas, ça tourne au pathologique : plusieurs députés LR viennent de déposer une proposition de loi visant à instaurer une « journée du drapeau » dans les établissements scolaires.
On n’est peut-être pas encore en Corée du nord mais en tout cas, ça tourne au pathologique : plusieurs députés LR, parmi lesquels Bénisti, Chatel, Ciotti, Gosselin, Luca, Tabarot, Wauquiez – rien que du beau monde – viennent de déposer une proposition de loi visant à instaurer une « journée du drapeau » dans les établissements scolaires.
Pour les parlementaires, il s’agirait « à partir d’une réflexion sur notre emblème national comme symbole fort d’unité et de conquête de nos libertés, [de] développer la transmission des valeurs fondamentales de la République française aux élèves d’aujourd’hui, citoyens de demain. »
En réalité, cette initiative n’est pas nouvelle, prenant place dans une longue série d’injonctions patriotiques dont l’école est la cible depuis plusieurs années. De façon très significative, la proposition reprend, dans ses attendus, la rhétorique et la thématique qu’on pouvait trouver par exemple, en 2009 dans un rapport remis par le Haut conseil à l’intégration – de triste mémoire – à Eric Besson, ministre de non moins triste mémoire « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale », une extravagante titulature qui valait à elle seule tout un programme. Le rapport, déplorait « le manque de visibilité (…) d’intériorisation (…) d’imprégnation (…) d’ostentation » des symboles nationaux auxquels il suffirait de donner une nouvelle jeunesse pour que, magiquement, tous les problèmes de la société se trouvent résolus. Or, depuis sept ans, c’est précisément cette vision magique de la vie en société qui s’est imposée à l’école, portée par des considérations identitaires qui ont phagocyté le débat public et matérialisées aujourd’hui par toute une série de mesures dont l’empilement vire à l’obsession.
Injonctions patriotiques à répétition
Depuis le vote de la dernière loi d’orientation (2013), les politiques font en effet preuve d’une imagination sans limites pour éveiller et entretenir chez les élèves un imaginaire national. A peine une mesure est-elle prise qu’une autre est annoncée, censée combler les vides laissés par la précédente. En 2013, Peillon parlait de « régénérer » la jeunesse par un enseignement « moral et laïque » qui ferait une large part aux symboles nationaux, avec un drapeau tricolore que chaque établissement se voyait dorénavant dans l’obligation d’arborer, pendant qu’à l’école élémentaire l’importance de la Marseillaise était réaffirmée. Mais c’est la « mobilisation » obligée autour des valeurs de la république, décrétée dans la panique des attentats de janvier qui est à l’origine du virage patriotique – et revendiqué comme tel par la ministre de l’EN – dont ne sait à l’heure actuelle où il s’arrêtera : des nouveaux programmes d’histoire recentrés sur le fait national, le détournement des commémorations historiques dans une perspective patriotique, une éducation morale et civique (EMC) balisée par un très improbable « parcours citoyen », une confusion permanente et sans scrupules entre citoyenneté et nationalité. Le drapeau national a beau flotter au fronton des écoles, la Marseillaise retentir dans les salles de classe, les enfants faire leur pèlerinage obligatoire au monument aux morts, réciter la chronologie des rois de France, ce n’est manifestement pas suffisant aux yeux de certains parlementaires qui multiplient les interventions sur le sujet.
C’était ainsi le cas du président du Sénat qui, en avril dernier, dans un rapport commandité au lendemain des attentats de janvier ne voyait de sauvetage pour une république menacée par la barbarie (comprenez par l’immigration) que dans une « restauration de la cohésion nationale », dans un enseignement de l’histoire à l’école qui « doit permettre à chaque élève de se réapproprier le roman national qui repose sur l’idée que la communauté nationale est le fruit d’une construction volontaire, d’un progrès constant, d’un destin propre à la nation française. » Lyrique, Larcher développait alors : « (…) les grandes dates, les grands personnages, les grands événements, les grandes idées doivent ponctuer cet enseignement et chaque élève doit pouvoir y trouver une source d’intelligence et de réflexion, d’identification et de fierté », pas moins.
Quelques semaines plus tard, cette même assemblée accouchait dans la douleur d’un impensable rapport dont l’objectif affiché – « faire revenir la république à l’école » – entraînait son auteur, le sénateur Grosperrin, dans les mêmes divagations que son président sur « le sentiment d’appartenance nationale » insistant sur « la réaffirmation de l’exposition obligatoire et effective des emblèmes de la république dans tous les établissements… Le recentrage du programme de l’histoire de France et de sa chronologie autour du récit national… », des mesures censées participer d’une « sacralisation de l’école. »
Intarissables sur le sujet, une vingtaine de sénateurs proposaient en novembre d’ « instaurer [dans les établissements scolaires] un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française. » Tout est dans l’intitulé. Au même moment, Pécresse, candidate aux élections régionales en Ile-de-France, réclamait le déploiement des drapeaux au fronton des lycées, ignorant sans doute qu’ils y sont déjà. Enfin, en janvier, le relai était repris par les députés avec leur proposition d’une journée du drapeau, « symbole d’unité et de conquête de nos libertés », dernière mais sans doute pas ultime disposition dans une croisade dont, à défaut de voir la fin, on perçoit fort bien les motivations.
“Quand les drapeaux sont déployés, toute l’intelligence est dans la trompette”
Unité et libertés ? C’est bien là l’arnaque. Car cette sommation à répétition autour de la place des symboles nationaux à l’école, loin d’être anecdotique, apparaît en réalité comme un moyen détourné d’esquiver les vraies questions en leur apportant de fausses solutions : en premier, la déliquescence, stupéfiante de rapidité, de l’état de droit et des libertés publiques, malmenées par ceux dont la mission est pourtant de les garantir, une menace que le déploiement d’un drapeau s’ingénie à camoufler ; mais également, alors que la question migratoire fait voler en éclat les certitudes nationales et les frontières censées les protéger, le rabâchage lancinant autour du thème d’une identité irrationnelle, chimérique, sur l’origine des individus plutôt que sur leur devenir, vise en réalité à exclure des possibles toute forme de vie en commun qui ne serait pas nationale. Il est d’ailleurs très révélateur que le « pavoisement » ordonné au lendemain des attentats de novembre par le président de la république ait été suivi, quelques jours plus tard, d’une véritable mise en coupe réglée de la société civile décidée par le même président, la fonction première du drapeau national, parce qu’il abolit la raison critique, étant de légitimer n’importe quelle autorité politique, même en pleine dérive. Ce que Stefan Zweig traduisait très justement : « quand les drapeaux sont déployés, toute l’intelligence est dans la trompette. »
Bernard Girard