Cette phrase ne peut qu’inspirer un enseignant en pédagogie Freinet.
Ce que j’ai vécu pendant trente ans à l’école élémentaire, que ce soit avec les plus jeunes (CP-CE1-CE2) ou les plus âgés (CM1-CM2) ; mon regard sur l’enfant dans sa globalité et son milieu ; mes visées pédagogiques de construction d’un citoyen et d’une citoyenne en capacité de comprendre le monde et d’agir sur lui m’ont permis de « briser » les murs de ma classe.
C’est en pensant aux classes que j’ai eues et aux enfants que j’ai connus que j’ai écrit ce texte.
Pour moi, deux grandes évidences.
I – Chaque jour, l’enfant, quand il entre à l’école a dans ses bagages tout son environnement : géographique, historique, social, familial, culturel… Les porte-manteaux ne suffisent pas pour que l’enfant pénètre en classe la tête et les mains vides !
Dans une classe ordinaire, l’enfant est trop souvent invisible sous son costume d’élève. Il doit être capable d’absorber les savoirs programmés par l’enseignant :
– Sans que soit pris en compte ce qu’il a vécu avant. Tous n’arrivent pas avec les mêmes temps de sommeil, les mêmes petits-déjeuners, les mêmes parcours de garderie… ils n’auront donc pas tous les mêmes disponibilités d’attention et les mêmes endurances au travail.
– Sans que soit pris en compte ce qu’il vivra après : garderie, temps de repos, jeux libres, loisirs culturels, écrans, bas d’immeuble… le pire et le meilleur.
L’École s’inquiète lorsqu’il est en échec, on propose alors à sa famille des temps de soutien, d’aide aux devoirs, des séances d’orthophoniste.
Une École qui ignore ce qui se passe autour d’elle et qui ne pense pas l’éducation globalement. Quel gâchis !
Et certains s’étonnent encore que l’École entretienne, voire développe les effets des inégalités sociales : les inégalités scolaires.
II – En pédagogie Freinet, apprendre le monde ne se confine pas entre des murs, entre les pages d’un manuel scolaire, d’une pile de photocopies… L’étonnement, les questionnements sur le monde se nourrissent des découvertes et des rencontres avec le monde extérieur.
Célestin Freinet l’avait bien compris : « Pour cette étude du milieu local nous irons puiser dans la vie véritable de l’enfant, à l’origine de ses sensations, de ses expériences et de ses découvertes, les éléments essentiels, les éléments de base – les seuls solides et définitifs – de sa formation, de son instruction, et de son éducation. Par réaction contre les manuels scolaires qui, rédigés et édités à Paris, prétendaient nous indiquer, à nous instituteurs des divers coins de France, et à toutes les heures du jour, les points du programme sur lesquels nous devions attirer l’attention de nos élèves, ou même les centres d’intérêt que nous allions offrir à leur curiosité, nous avons montré que notre enseignement devait normalement prendre ses racines dans le milieu où nous vivons, par le travail effectif répondant à nos besoins fonctionnels ; que nos enfants doivent connaître la géographie de leur pays avant d’étudier sur la carte les lignes bleues qu’on leur dit être des fleuves, et les masses bistres qui sont les montagnes ; que l’histoire de France ne commence pas par les Gaulois, pas plus que par Louis XIV, mais par l’étude affective des traces que le passé proche ou lointain a laissées autour de nous ; qu’avant de s’attaquer savamment aux sciences abstraites de nos livres, il nous faut expérimenter à même les possibilités et les exigences de notre milieu ; qu’avant de résoudre les problèmes standards de nos manuels, il faut avoir enquêté, supputé, calculé sur tout ce qui, autour de nous, nécessite mesures et comptes ; que le français lui-même ne s’apprend pas par des exercices froidement méthodiques, mais d’abord par la rédaction et la lecture que motive notre commune vie journalière. » [1]
Pourquoi sortir de la classe ?
– Pour découvrir des activités humaines, des métiers, des modes de vie et des ressources naturelles.
– Pour construire un patrimoine commun de proximité qui se nourrit des recherches, des productions et des créations, réalisées par les enfants dans tous les domaines.
« Voilà ce qu’est pour nous l’étude du milieu local : non pas un dangereux recroquevillement scolastique sur les choses qui nous sont familières aux dépens de tout l’inconnu dont l’enfant veut et doit, pour grandir et monter, se saisir avec témérité. Nous pourrions dire que, par l’activité fonctionnelle et l’expression libre, nous enfonçons sans cesse nos pieds dans la solide réalité du milieu, nous creusons prudemment les fondations qui soutiendront à jamais les constructions ultérieures. Mais par notre documentation, par le cinéma et la radio puissamment motivés et orientés par nos échanges interscolaires, nos yeux et notre esprit débordent constamment ce milieu restreint et s’élèvent hardiment vers les conquêtes qui enrichissent en permanence les élémentaires enseignements du milieu. » [2]
– Pour offrir à l’enfant des situations de confrontation avec ses représentations sur son environnement proche.
– Pour devenir l’explorateur de son milieu et être capable d’observer, d’analyser, de comparer, de protéger… Il se découvre chercheur aussi bien en géographie, en histoire ou en arts.
– Pour mobiliser ses savoirs, ses connaissances, ses savoir-faire et savoir-être dans des situations non scolaires au service de ses recherches et de ses découvertes du monde.
– Pour offrir à tous les enfants, et particulièrement à ceux qui en sont le plus éloignés, l’accès aux éléments de culture qu’ils n’auraient pas rencontrés et que d’autres reçoivent dans le cadre familial ou associatif.
L’enseignant en pédagogie Freinet favorise le questionnement des élèves et l’émergence des projets de sortie
Avec la correspondance scolaire, pour expliquer son milieu aux destinataires, ne faut-il pas d’abord aller l’explorer ? Ainsi, les enfants sont à leur tour plus sensibles et plus attentifs à celui de leurs correspondants et par extension à d’autres lieux, d’autres modes de vie plus lointains. Cet échange de lettres, de documents peut alimenter également des projets de séjour, de classe transplantée pour rencontrer les correspondants.
Pendant huit ans, j’ai enseigné en CM1-CM2, la classe se renouvellait chaque année par les CM1 (les CM2 entraient en sixième, les CM1 devenaient les CM2…). Nous correspondions avec une classe bretonne et nous préparions une rencontre tous les mois de juin. Chaque année, nous sommes donc partis en classe transplantée en Bretagne, mais en changeant chaque année de centre (les anciens de la classe étaient déjà partis l’année précédente). Le nouveau groupe (anciens et nouveaux) préparait le séjour (12 jours) avec moi et la municipalité : le lieu (bord de mer, de rivière, campagne…), les activités à privilégier (pêche à pied, poney, visites, voile…) et bien sûr la rencontre avec nos correspondants (une chez eux et au centre).
Avec les temps de parole institutionnalisés comme l’entretien du matin, les présentations (textes, livres, objets) qui donnent l’occasion de se questionner, d’en savoir plus et de proposer une enquête ou une visite.
Une année, dans une classe de CP/CE1 (comme pour les CM1/CM2, les enfants restaient deux ans dans la classe), un projet est né suite à l’entretien du matin. Un enfant avait apporté un petit fromage de chèvre qu’avait fabriqué sa grand-mère qui vivait à la campagne.
Des questions fusèrent sur la fabrication ! Une main se lève : « Et si on en fabriquait dans la classe ! » L’enthousiasme est général, mais comment faire ? Est-ce qu’il y a des fermes dans l’Essonne à visiter et qui fabriquent du fromage ? Nous avons demandé à notre directeur de nous aider pour en trouver une. Ensuite, nous avons réservé le car municipal et nous avons visité la ferme, posé nos questions, pris des photos. Nous avons rapporté du lait de la ferme, du ferment… et une partie de la classe s’est transformée en fromagerie. Chacun a pesé son fromage égoutté, puis a fabriqué une étiquette, l’a enveloppé et emporté chez lui pour le déguster en famille. Une réussite !
Avec le journal scolaire (papier ou blog) qui peut motiver les recherches, les programmations de visite. Il permet également de faire sortir les écrits et les différents travaux de la classe.
Avec les sollicitations extérieures (courriers, courriels, blogs, manifestations locales) qui invitent à questionner sur ce qui se passe ailleurs.
La classe peut sortir pour découvrir le monde, mais également elle peut s’ouvrir à lui et l’inviter en ouvrant sa porte :
– Aux parents (ou grands-parents) : ils sont invités dans la classe pour présenter leur métier, partager une passion (par un exposé) ou une connaissance (les ateliers d’échanges de savoirs). Ce travail coopératif permet de les associer à la vie de la classe, pas seulement comme accompagnateurs des sorties, mais également comme passeurs de culture.
Tant qu’il y a eu classe le samedi matin (présence des parents), j’ai organisé que ce soit en cycle 2 ou cycle 3 des ateliers d’échanges de savoirs.
Les enfants comme les parents qui proposaient des ateliers, les organisaient totalement, matériel, nombre de participants, inscription jusqu’à l’évaluation finale (un brevet). Pour les aider, je mettais à leur disposition une fiche de préparation rangée dans un classeur à disposition de tous. À la fin de chaque atelier, il y avait un bilan pour exprimer « ce qui va », « ce qui ne va pas » et les ajustements qu’on voudrait faire.
Chaque année arrivait infailliblement cette situation paradoxale : les enfants et les parents responsables d’ateliers désiraient participer aux autres ateliers, mais souhaitaient que le leur perdure. Et la solution proposée était chaque fois la même : transmission de leur atelier à un enfant ou à un parent par compagnonnage.
L’estime de soi, la fierté étaient au rendez-vous aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte !
– Aux responsables associatifs (le patrimoine, la protection des oiseaux, de la rivière…)
– Aux intervenants culturels pour un projet artistique, un spectacle…
Une classe Freinet est une classe coopérative
Tous les projets émergents sont proposés, examinés et organisés en Conseil de classe.
Les enfants vont ainsi pouvoir s’impliquer dans la préparation de la sortie, de la visite, de l’invitation. Le Conseil permet de lister les besoins, les renseignements à chercher, les personnes à contacter, les documents à écrire, les tâches à se répartir, le matériel à se procurer. Le Conseil fait régulièrement le point pour ajuster les besoins, déterminer les actions restant à mener et les responsabilités de chacun.
Les emplois du temps, plannings sont actualisés chaque semaine.
L’enseignant reste la personne ressource, le guide et le soutien pour que chacun réussisse dans sa responsabilité et sa tâche. Garant des apprentissages, il a la responsabilité de la prise de conscience chez chacun de son cheminement vers la compréhension du monde.
Le mot de la fin
« Sortir de l’école pour mieux y entrer… », et penser l’École comme une grande maison de la culture ouverte à tous, adultes et enfants.
La photo de couverture est celle de la classe unique de Moussac/Vienne (une école du 3ème type) dans les années de 1975 à 1996. C’est la photo de couverture du livre “une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche”
Excuse-moi Bernard, je ne m’en souvenais plus… J’ai changé l’image.