Les dernières mesures annoncées par l’Éducation nationale, relatives à la « sécurisation » des établissements scolaires, sont en réalité une étape supplémentaire dans ce qui apparaît comme le seul projet politique du gouvernement : le projet de la peur.
Pour l’instant, le port du casque n’est pas encore obligatoire, l’armement des enseignants non plus mais les dernières mesures prises par Cazeneuve, ministre de l’Education nationale et présentées par sa directrice de la communication, Najat Vallaud-Belkacem, sont une étape supplémentaire dans ce qui apparaît comme le seul projet politique du gouvernement : le projet de la peur.
La circulaire conjointe de l’Intérieur et de l’EN en date du 29 juillet dernier, manifestement rédigée dans la panique et la précipitation de l’attentat de Nice, le confirme : puisque le gouvernement s’interdit obstinément toute réflexion sur les causes profondes du terrorisme au prétexte qu’ « expliquer, c’est excuser », il ne reste plus qu’à travailler l’opinion publique pour la faire arriver aux mêmes conclusions. Avec, en arrière-plan, ce vieux principe d’un régime à la dérive : faire peur pour faire obéir.
Surveiller plutôt que protéger
Avec cette circulaire, au-delà des annonces de façade, c’est le vocabulaire choisi qui fait sens :
« vigilance renforcée, plan particulier de mise en sûreté (PPMS), espaces vulnérables de l’école, cellules académiques de gestion de crise, capacités de résilience de la communauté scolaire etc »
Un vocabulaire policier pour une vision policière de l’ordre scolaire, dont le but ultime est davantage de surveiller que de protéger. Car si aucun établissement scolaire n’est évidemment à l’abri d’un attentat, il n’est pas nécessaire d’être sorti de l’IHEDN pour savoir que le principe de toute action terroriste consiste précisément à contourner l’obstacle mis sur sa route : devant une porte fermée, on entrera par la fenêtre ; plutôt que franchir une grille, on déposera sa bombe avant. Au printemps dernier, Estrosi pouvait bien plastronner sur l’interdiction des fêtes de fin d’année décidée pour les écoles de sa ville ; les écoliers qui par malheur se trouvaient sur la promenade des Anglais le 14 juillet au soir ne sont pas obligés de le remercier pour sa lucidité…
De ce point de vue, les « instructions relatives à la sécurité dans les établissements scolaires » présentées par la ministre ont surtout pour objectif de protéger les pouvoirs publics des critiques irresponsables que ne manqueront pas de lancer, en cas d’attentat, des politiciens que rien n’arrête dans la récupération indécente des victimes. Un catalogue à la Prévert, complètement déconnecté du quotidien des établissements… et de la réalité du terrorisme :
– organisation d’exercices « anti-intrusion » dont on a déjà vu à quelles stupides dérives ils pouvaient mener ;
– une « alerte attentat-intrusion », à distinguer de l’alerte-incendie et dont il faudra s’assurer qu’elle soit « audible » (sic) ;
– éviter les « attroupements » à l’entrée des établissements (avec une distance de sécurité minimum entre chaque élève ?)
– la formation des élèves aux premiers secours (PSC1), comme si des élèves de 14 ans en situation réelle d’attentat étaient en mesure de se transformer en urgentistes ;
– sans oublier, bien sûr, la mobilisation formelle de la hiérarchie à tous les échelons, sans laquelle l’EN ne serait pas ce qu’elle est : des « référents sûreté », des « cellules académiques de gestion de crise », des modules de formation pour les directeurs d’école, des stages pour chefs d’établissement au centre de formation de la gendarmerie etc.
– plus grave, la chasse à la « radicalisation » – celle des élèves comme des adultes – ouvrant les portes à toutes les dérives racistes comme on a déjà eu l’occasion de s’en rendre compte.
Si, après cela, les élèves ne sont pas protégés du terrorisme, c’est à désespérer de la communication gouvernementale.
C’est le gouvernement qui fait peur
Un nouveau plan de mesures pour rien ? Evidemment non. Ce serait négliger le fait que cette nouvelle initiative, sûrement pas la dernière en cette année électorale où toutes les surenchères sont attendues, trouve sa place et sa justification dans le climat anxiogène, virant à la paranoïa, délibérément organisé depuis un an et demi dans le cadre d’un état d’exception devenu permanent et dont l’effet le plus certain est de limiter toujours plus les libertés publiques. N’est-ce d’ailleurs pas le but poursuivi ? En dépit de leur caractère objectivement absurde, les dispositions annoncées ne font guère que récupérer, que recycler, des discours plus anciens, bien antérieurs aux attentats, appelant à une « sanctuarisation » des établissements scolaires, en réalité un repli derrière les murs, matérialisé par des dispositifs toujours plus sophistiqués de surveillance et de contention. Une sorte de politique de la peur, inscrite dans un programme plus large de contrôle idéologique des élèves à base de rabâchage autour des « valeurs de la république » : de fait, il se confirme au fil des mois que les attentats sont aussi (d’abord ?) un prétexte pour une mise au pas de l’école, de la société avec elle, reflet d’une vision nostalgique d’un monde passé (disons d’avant Mai 68), qui n’est pas l’apanage de la seule droite politique.
Le 4 novembre dernier, donc avant les attentas du Bataclan, de Nice, de Rouen, la ministre de l’Education nationale, déjà flanquée de son collègue de l’Intérieur, concluait ainsi son allocution : « A travers nos deux ministères, ce sont deux piliers de notre République qui se mobilisent conjointement. Une mobilisation qui s’accompagne d’un changement radical de culture. »
Avant l’échéance, fatale, des élections présidentielles, il reste aux acteurs de l’éducation à peine deux trimestres d’une année scolaire pour faire connaître leur point de vue sur ce changement radical de culture.