“L’éthique professionnelle des enseignants spécialisés à
dominante pédagogique”
Tel est le thème du colloque 2024 organisé par la Fname (Fédération nationale des associations de maîtres E) les 11 et 12 octobre, à la bourse du travail à Paris. Tables rondes et témoignages sont prévus, en plus des intervention d’Irène Pereira, d’André Pachod et de Jacqueline Triguel, pour le collectif Questions de classe(s).
Ci-dessous, l’argumentaire de cette intervention.
Pour vous renseigner et participer au colloque, c’est par ici ! https://fname.fr/paris2024-tout-savoir/
L’éthique à l’épreuve du terrain
Jacqueline Triguel, enseignante spécialisée, membre du collectif Questions de classe(s) et du Cuse (Collectif une seule école) et syndicaliste.
Que ce soit dans les formations initiales, le Code de l’éducation ou encore le « Référentiel de compétences » servant à évaluer les personnels de l’éducation, l’éthique tient une place importante et est présentée comme ce qui devrait guider nos gestes professionnels. Une grande partie des collègues expliquent également leur entrée dans le monde de l’éducation par un engagement éthique fort : aider et accompagner les jeunes vers un parcours de réussite et d’émancipation, œuvrer à la réduction des inégalités ou encore permettre la scolarisation de toutes et tous, quelles que soient les difficultés, le handicap ou l’origine sociale.
Et pourtant, lorsque l’on observe ce qui se passe réellement dans les établissements scolaires, notamment ces quinze dernières années, on ne peut que constater que l’éthique n’est pas ce qui occupe le plus le temps des personnels de l’éducation. En effet, ceux-ci voient leur action pédagogique et éducative sans cesse parasitée et entravée par des réformes effrénées, des contraintes matérielles et des moyens toujours plus réduits qui interfèrent avec les finalités éthiques de leur métier et les font passer au second plan. Ceci a pour conséquence une perte de sens croissante, générant ce que les sociologues du travail nomment un « conflit éthique » ou une « souffrance éthique », définie par Christophe Dejours comme « la souffrance qui résulte non pas d’un mal subi par le sujet, mais celle qu’il peut éprouver de commettre, du fait de son travail, des actes qu’il réprouve moralement. En d’autres termes, il se pourrait que faire le mal, c’est-à-dire infliger à autrui une souffrance indue, occasionne aussi une souffrance à celui qui le fait, dans le cadre de son travail ».
Mais alors, est-ce à dire que, dans un monde et une institution qui nous demandent de plus en plus d’exécuter plutôt que de créer, d’obéir à des politiques et des injonctions gouvernementales plutôt que d’être au service des usagères et des usagers de l’école, l’éthique est ou doit être abandonnée ?
Nous ferons ici l’hypothèse inverse : c’est bien la construction et la défense d’une éthique à la fois individuelle et collective, ancrée dans la réalité commune des personnels, des jeunes et des familles, qui pourraient permettre de tenir, de continuer à donner du sens à notre travail, de préserver un service public d’éducation à la hauteur de la jeunesse, et de protéger la santé des personnels qui y travaillent.
Aborder la question de l’éthique à l’épreuve du terrain nous conduira à nous poser les questions suivantes :
Justice, bienveillance, solidarité, etc. : quelles sont les valeurs qui nous guident au quotidien dans notre travail ?
Y en a-t-il qui soient spécifiques à l’enseignement spécialisé, lorsque nous travaillons aux côtés d’élèves en situation de fragilité accrue, que de trop nombreuses personnes voudraient rejeter hors de l’école ?
L’éthique concerne-t-elle uniquement notre rapport aux élèves et aux familles ?
Quels sont les écueils, au quotidien ?
Comment l’éthique transformée en exemplarité peut-elle devenir outil de contrôle et de sanction des personnels ?
Comment peut-on (re)construire, collectivement, une éthique commune ?