L’édito de l’Émancipation syndicale et pédagogique n°3, novembre 2020
Au lendemain du terrible assassinat de notre collègue Samuel Paty, Macron s’est érigé en défenseur de la liberté d’expression et de la liberté pédagogique. Mais quel crédit accorder au discours d’un Président, qui va même instrumentaliser Jean Jaurès alors qu’il s’emploie quotidiennement à écorner chacune de nos libertés ?
Quelle liberté pédagogique quand le rectorat de Créteil interdit à nos collègues du collège Gisèle-Halimi d’Aubervilliers de poursuivre leur expérimentation pédagogique au bout de deux ans seulement, sans évaluation réelle et sérieuse du projet ?
Quelle liberté pédagogique, quand le ministre a tenté d’imposer aux enseignant•es ce qu’ils et elles devaient dire à leurs élèves concernant cet assassinat, pour le jour de la rentrée scolaire ?
Qu’a fait de concret l’institution scolaire pour défendre et protéger Samuel Paty contre des parents d’élèves qui le mettaient en cause ?
Une institution qui bien souvent, quand elle ne les broie pas, laisse souffrir les personnels face aux problèmes qu’ils et elles rencontrent, dans l’indifférence et le mépris.
Quelle liberté d’expression pour nos quatre camarades du lycée de Melle, poursuivi•es en commission disciplinaire pour leur action contre le bac Blanquer, et qui risquent jusqu’à la radiation ? Et pour tant d’autres collègues et militant•es pousuivi•es et sanctionné•es au titre d’une interprétation très extensive du “devoir de réserve” ?
Emmanuel Macron avait choisi le parvis de la Sorbonne pour rendre hommage à Samuel Paty, célébrant ainsi un “lieu de savoir universel depuis plus de huit siècles, le lieu de l’humanisme”. Mais quelles libertés pour les universités, quand c’est un proche du pouvoir qui est nommé à la tête du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, contre toute déontologie et contrevenant au principe fondamental de séparation des pouvoirs ? Quelles libertés et quelle indépendance pour l’enseignement supérieur et la recherche quand la Loi pour la Programmation et la Recherche (LPR) détruit les statuts des personnels, et que le pouvoir acte la suppression du principe de la qualification par le Conseil National des Universités (CNU) pour l’accès aux corps de Maîtres et Maîtresse de Conférences (MCF) et de Professeur•e des universités (PU) ? Quelle indépendance quand un ministre de l’Éducation nationale accuse l’université française de “complicité avec le terrorisme”, d’être des lieux où sévirait un “islamo-gauchisme [qui y] fait des ravages” ?
Quelles libertés pour les associations, quand le gouvernement entend les mettre sous tutelle en exigeant de celles qui demandent des subventions publiques l’allégeance aux “valeurs de la République”, et quand il veut aussi élargir les possibilités de dissolution ?
Quelles libertés publiques quand on interdit les rassemblements et manifestations sous prétexte de lutte contre la Covid-19, quand la “loi d’urgence sanitaire” s’ajoute à l’état d’urgence anti-terroriste ? Comme le souligne un communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme, “La durée cumulée de l’état d’urgence sécuritaire et sanitaire ferait que la France, depuis 2015, aurait été gouvernée pendant presque trois années sous un régime de pouvoirs exceptionnels”. Sans compter qu’à la sortie de l’état d’urgence sécuritaire en 2017, bon nombre de dispositions qui devaient être exceptionnelles ont été basculées dans le droit commun de la lutte anti-terroriste. Elles ont été utilisées notamment dans la répression du mouvement des Gilets Jaunes.
Quand l’État de droit n’est plus qu’un souvenir hérité du passé, c’est à nous, militant•es des syndicats et des associations, qu’il revient de défendre et revendiquer le plein exercice de toutes nos libertés et d’exiger l’abrogation de la loi d’urgence sanitaire. Et même s’il faut bien s’adapter à certaines contraintes imposées par la crise sanitaire, c’est par la mobilisation massive que l’on pourra y parvenir.
Raymond Jousmet, le 30 octobre 2020