Professeur de lycée professionnel et militant de la FERC-CGT, Matthieu Brabant nous livre ici une série de réflexions sous forme de manifeste de la pédagogie des interactions.
Nous proposerons sous forme de feuilleton cet essai très stimulant…
Pour(quoi) faire ?
Cette contribution n’est pas celle d’un savant de la pédagogie : c’est la contribution de la vraie vie d’un militant syndical, politique et pédagogique. Vous n’y trouverez donc ni boîte à outils ni références ni recherches mais des éléments s’inspirant de boîte à outils, de références et de recherches.
Pour ce faire, je me suis donné des repères qui constitueront le cœur de ce texte et je les laisse à l’analyse et la réflexion des lectrices et des lecteurs.
Je vais écrire comme je respire, en m’insérant dans une galaxie de contributions (d’où mes remerciements en début de contribution1). Cette contribution n’est donc pas un projet global d’école : je développerai mes principes pédagogiques mis à la disposition collective afin que petit à petit se construise collectivement une autre école.
Je ne pense pas que l’école puisse changer la société. Ou plus exactement : je ne pense pas que si nous arrivons à faire de l’école un lieu révolutionnaire, alors nous révolutionnerons la société.
D’ailleurs l’école capitaliste ne nous laissera jamais tenter une réelle expérience massive d’une école divergente au Capitalisme. Notre tentation pourrait alors de passer à des modes d’endoctrinement totalement contraires à nos principes émancipateurs. Ou alors de créer nos propres écoles à la marge, mais ce serait oublier que personne n’est réellement à la marge dans une société capitaliste.
Cela ne signifie pas pour autant que nous ne pouvons pas poser des graines, que nous ne pouvons pas expérimenter, que nous ne pouvons pas résister, que nous ne pouvons pas poser des questions, que nous ne pouvons pas nous poser des questions. Je ne conçois d’ailleurs pas la Révolution, avec un grand R, comme un Grand Soir, avec un grand G et un grand S : je considère qu’il s’agit d’un frein d’urgence lorsque le Capitalisme va trop loin2. C’est déjà pas mal je trouve, et cela nous permet de prendre le temps de construire un changement total de civilisation humaine. Il va de soit que dans cette logique, cela demande un peu de patience…
Je ne veux pas non plus m’illusionner de la place de l’école dans la société : fondamentale, certes, mais pas centrale dans les rapports sociaux. Les rapports sociaux se construisent en partie à l’école, mais pas seulement. L’école peut être le terreau d’expérimentations sociales mais, en l’état actuel des choses, pour le dire simplement, la question « et si on prend le pouvoir, comment on fait concrètement pour éviter de retomber dans les fonctionnements actuels ? » reste posée. Au fait, c’est qui « on » ?
Je ne pense pas que l’école peut changer la société, mais je pense que les militant⸱es pédagogiques peuvent beaucoup aider à changer la société. Les fonctions multidimensionnelles de l’école nous apportent ce terreau à partir duquel nous pour travailler à un autre monde possible, donc à une autre école possible.
À suivre…
- Remerciements
Je remercie Célestin Freinet pour son pistolet
Je remercie Élise Freinet pour sa patience
Je remercie Fernand Pelloutier pour sa simplicité
Je remercie Pauline Kergomard pour ses pistolets
Je remercie Francisco Ferrer pour ses prières
Je remercie Nadejda Kroupskaïa pour son enseignement professionnel
Je remercie Ovide Decroly pour ses bifurcations
Je remercie Laurence De Cock pour ses histoires
Je remercie Philippe Meirieu pour son humour
Je remercie Marie Pape-Carpantier pour son enfance
Je remercie John Dewey pour sa liberté
Je remercie Aïda Vasquez pour ses lignes rouges
Je remercie Samuel Joshua pour ses autres écoles possibles
Je remercie Helen Parkhusrt pour ses labyrinthes
Je remercie Ferdinand Buisson pour ses intuitions
Je remercie Marta Mata pour sa persévérance
Je remercie Jean Zay pour ses courses à pied
Je remercie Simonne Ramain pour ses mains
Je remercie Albert Thierry pour ses révoltes
Je remercie Ellen Key pour ses arbres
Je remercie Sylvain Connac pour sa collaboration et sa coopération
Je remercie Élisa Lemonnier pour ses bancs d’école
Je remercie Fernand Oury pour ses trépieds
Je remercie Joséphine Cornec pour ses tableaux noirs
Je remercie Jacques Pain pour ses feuillets
Je remercie Maria Grzegorzewska pour ses rafales
Je remercie Pierre Bourdieu pour Édouard Manet
Je remercie Louise d’Épinay pour ses surprises
Je remercie Paulo Freire pour ses critiques
Je remercie Rosa Luxemburg pour tout
Je remercie Walter Benjamin pour ses freins d’urgence
Je remercie Louise Michel pour ses critiques, ses pistolets et sa patience
Je remercie Daniel Bensaïd pour sa lente impatience
Je remercie Simone Weil pour sa rage
Je remercie tous les élèves que j’ai eu la chance de croiser.
Toutes et tous sans aucune exception.
↩︎ - L’expression « La Révolution est le frein d’urgence » est de Walter Benjamin. ↩︎