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Pour une écopédagogie critique

Écrit par : Alexandre Magot

Comment enseigner la protection de l’environnement ? Quels outils convoquer ? Quelles stratégies adopter ?
Force est de constater que l’éducation au développement durable à l’œuvre depuis 15 ans est un échec. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Le développement durable s’inscrit dans un cadre – celui de la croissance, du libéralisme, du capitalisme – qui est précisément la cause du problème. Il s’inscrit aussi dans une démarche n’invoquant le changement qu’à la marge, quand l’urgence de la situation nécessiterait un changement total de paradigme.

L’analyse de la nature du problème peut nous servir à déterminer quelques pistes qu’il pourrait être plus qu’utile de mettre en œuvre.

I- De la nécessité d’une pédagogie anti-oppression

Contrairement à ce que voudraient faire croire celles et ceux qui ont tout intérêt à ce que rien ne change, la crise environnementale n’est évidemment pas le fait de mauvais comportements individuels, mais le résultat direct d’un système. En l’occurrence un système d’oppression. Et il n’a rien de fondamentalement différent des autres oppressions, qu’elles soient liées au genre, à la classe sociale, à la race, etc.

– Comme toutes les oppressions, elle est basée sur une division du monde en deux groupes : les un·es (qui déterminent le cadre et se posent en norme par des processus de domination discriminants) et les autres.
Dans le cas présent, cette dichotomie peut être envisagée à l’échelle de la planète entière. La Terre est en effet un écosystème, c’est-à-dire d’un ensemble composé d’êtres vivants (constituant ce que l’on nomme la biocénose) évoluant au sein d’un environnement aux caractéristiques physico-chimiques particulières (le biotope). Au sein d’un écosystème, l’ensemble des êtres vivants sont interconnectés de manières multiples. Mais ces connexions ne se limitent pas au monde vivant, la biocénose est elle-même intimement reliée au biotope. Autrement dit, le monde vivant et l’environnement, c’est-à-dire l’écosystème, forment un tout, un équilibre fragile et en perpétuelle évolution, dont la résilience dépend d’ailleurs de la richesse des interconnexions en son sein.

Or l’oppression qui se joue actuellement repose précisément sur l’idée fausse que l’espèce humaine serait une espèce à part, ne faisant pas partie de l’écosystème Terre (ni d’aucun autre, quelle que soit l’échelle considérée), et que son destin ne serait pas intimement lié au devenir des autres espèces ni à celui de son environnement.

Cette distinction entre les un·es et les autres peut d’autre part se concevoir également à l’intérieur même de l’humanité, puisque nous sommes face à une oppression exercée à son profit sur la planète entière par un groupe relativement petit de personnes (une minorité détenant le pouvoir économique, politique, industriel…). Il y a donc finalement les un·es qui oppressent, et les autres qui en souffrent et en souffriront.

– Il s’agit d’une oppression systémique, c’est-à-dire s’exerçant à tous les niveaux de la société et utilisant tous les moyens à sa disposition – en particulier ceux de l’État – pour s’exercer et se perpétuer.

– C’est une oppression bâtie sur des mécanismes érigés en normes. Elle tire sa force en particulier du fait d’être invisibilisée, et de son incroyable capacité à faire croire qu’aucun autre modèle n’est possible.

– C’est également une oppression basée sur un certain nombre de privilèges :
* des privilèges géographiques : beaucoup de celles et ceux qui sont responsables de la crise écologique actuelle ne vivent pas dans des pays qui en subissent déjà les conséquences, et nombre de ces personnes restent persuadées en définitive que ce sont les autres, ailleurs, qui en souffriront.
* des privilèges d’ordre temporel : les responsables sont en effet persuadé·es que les conséquences écologiques et l’effondrement ne concernera que la ou les générations futures.
* des privilèges de classe : nombre des responsables sont persuadé·es, à tort ou à raison, qu’ils et elles auront les ressources nécessaires pour s’en sortir. La crise touche et touchera en tout premier lieu les personnes les plus précaires.

– C’est enfin une oppression qui puise sa source dans la colonialité. Ce concept a été développé initialement par le sociologue péruvien Aníbal Quijano pour décrire le cadre, la matrice de pensée coloniale qu’imposent de façon hégémonique les puissances occidentales à travers le monde. Pour lui comme pour les autres intellectuel·les travaillant ces concepts – notamment, à partir des années 2000, celles et ceux du projet Modernité/Colonialité – il s’agit du cadre de pensée de la modernité, dont l’évènement fondateur est la colonisation de l’Amérique en 1492. S’il a pu se propager via les processus de colonisation, il ne peut se réduire à cela et surtout il ne s’est depuis jamais arrêté, prenant des formes différentes et s’insinuant à travers des champs variés. Cette « conquista ininterrompue » – pour reprendre l’expression de Bolívar Echeverria – dont les fondements ne reposent pas seulement sur une appropriation territoriale, mais également sur celle de la force de travail des populations colonisées bien sûr, tout comme l’appropriation des savoirs, des croyances, des cultures… et de la nature. Colonialité du pouvoir, du savoir, de l’être, du genre, de la race… sont ainsi autant de champs explorés au sein des études décoloniales, qui peinent à être acceptées en France mais qui sont particulièrement développées et vivantes aux États-Unis et en Amérique centrale et du Sud. C’est principalement à travers les travaux de Héctor Alimonda et Arturo Escobar (dont le livre Sentir-Penser avec la Terre est paru en 2018 aux éditions du Seuil) que l’on doit l’étude de l’exploitation et la destruction systématique de la nature à travers le prisme décolonial.

Évoquant ainsi la colonialité de la nature latino-américaine, Héctor Alimonda écrit : « la nature […] en tant que réalité biophysique (sa flore, sa faune, ses habitant·es, la biodiversité de ses écosystèmes), aussi bien qu’en son aspect territorial (la dynamique socio-culturelle articulant de manière significative ces écosystèmes et paysages), apparait face à la pensée hégémonique globale et face aux élites dominantes […] comme un espace subalterne, qu’on peut exploiter, détruire, reconfigurer, selon les besoins des régimes d’accumulation en vigueur. […] Une longue histoire de développement inégal et combiné, une rupture globale du métabolisme société-nature, qui affecte de plus en plus la nature latino-américaine et les peuples qui, au sein d’elles, y font leur vie. »
Héctor Alimonda, “La colonialidad de la naturaleza. Una aproximación a la Ecología Política latinoamericana”, dans La naturaleza colonizada. Ecología política y minería, éd. Ciccus, 2017, ma traduction

La similitude avec les autres systèmes d’oppression invite donc naturellement à convoquer les mêmes stratégies que celles développées dans le cadre des pédagogies anti-discriminations, en particulier des pédagogies critiques dont Paulo Freire a posé les bases, et qui ont été ensuite développées par des pédagogues d’Amérique du Sud et des États-Unis principalement. Il s’agit donc de mettre en place, dans une approche profondément intersectionnelle, une écopédagogie critique de l’environnement.

« Comme le signale Leonardo Boff, la Terre est le plus grand de tous les pauvres. Elle est opprimée par un mode de production non seulement exploiteur de la force de travail, mais aussi exterminateur, destructeur de la nature, un système qui épuise toutes ses ressources. L’écopédagogie […] n’a de sens que dans le cadre de la pédagogie de l’opprimé énoncé par Paulo Freire, que nous voulons voir réinventée ».
Angela Antunes, préface de Pedagogía de la tierra (Pédagogie de la Terre) de Moacir Gadotti, 2003, ma traduction

II- Les principes des pédagogies critiques

La suite à lire sur le site de SVT égalité Pour une écopédagogie critique

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