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Peurs du soir, raison d’enfant

Couverture de Peurs du soir. Par une porte entrebaillée, un rayon de lumière entre dans une chambre. La patte d'un monstre dépasse de l'entrebaillement.

Peurs du soir, Laurie Agusti, la partie, 2024, 18€

Peurs du soir m’a replongé dans un souvenir oublié. Celui de ma voix intérieure d’enfant face à la peur et à la solitude de la nuit ; face à la peur des animaux, des monstres et surtout « des voleurs ». Comme le/la petit·e narrateur·rice de l’album de Laurie Agusti, je me souviens avoir « vérifié les issues de secours », et anticipé toutes les possibilités d’intrusion. Je me souviens de la forme découpé de la lumière du couloir par la porte entrouverte…

En effet, l’intérêt de l’album est de ne pas faire de l’enfant un objet passif de ses peurs nocturnes. L’autrice trouve une vraie justesse dans l’écriture du “courant de conscience” de l’enfant ; car face à ses angoisses du coucher, l’enfant pense et réfléchit. « Il n’y a rien. Ce n’était que mon imagination. »

Il n’y a rien. Ce n’était que mon imagination.

Illustration de la chambre dans le noir.

Je ne suis pas d’accord avec les éditeur·rices quand iels écrivent : « L’enfant de cet album joue avec la peur du soir pour mieux l’apprivoiser et se réfugier avec délice dans le sommeil ». Selon moi, et c’est certainement mon passé d’enfant intello et peureux qui parle, l’enfant ne joue pas, iel se bat contre la peur avec du discours et de la rationalité. La narration à la première personne est structurée par les connecteurs temporelles (« avant de me coucher », « enfin », « soudain ») et les modalisateurs (« si il me voit », « on dirait »). A ce titre, elle marque une rupture avec une certaine stylistique des voix d’enfants qui produisent soit des discours poétique, soit miment une soit-disant simplicité du discours enfantin. Ici, le discours est maîtrisé et construit. Il s’oppose au contraire aux illustrations : représentant toujours le même point de vue – de l’enfant depuis son lit – elle varie en fonction des perceptions et des fantasmes du personnage. D’ailleurs, dans les trois dernières doubles pages, lorsque s’évanouit le cartouche blanc où s’écrit le texte et que les illustrations prennent toute la page, c’est que l’enfant dort profondément et est (enfin) dans le monde des rêves et des cauchemars. La chambre se peuple alors d’étonnants animaux dans de sublimes dessins. La relation texte-illustration porte donc une image originale de l’enfance, et selon mes propres souvenirs, réaliste : celui d’enfants tout à la fois sujet à des peurs irrationnelles mais aussi (et peut-être par conséquent) être de raison. Les enfants pensent et réfléchissent. Combien n’ai-je pas fait de calcul de jours, d’heures ou de minutes pour savoir quand j’allais enfin retrouver ma maman ?

Le philosophe Tal Piterbraut-Merx constatait qu’une des spécificités des rapports de domination adulte-enfant était que l’opprimé·e passait au bout d’un certain temps du côté de l’oppresseur. A ce titre, les adultes sont tous·tes des transfuges d’âge et la philosophe proposait une politique de la réminiscence pour tenter de se souvenir de quelque chose de l’enfance comme « condition sociale ». Ce proposition de travail n’est pas si aisée. La littérature jeunesse et notamment des livres comme Peurs du soir peuvent aider le/la lecteur·rice à effectuer ce travail que les auteurs·rices ont souvent du effectuer elles/eux aussi.

Pour les jeunes lecteurs·rices, l’album est une proposition qui les prend au sérieux, elles/eux, leurs peurs, et leur capacité à les penser.

Arthur Serret

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