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Pap Ndiaye ministre, la fin du blanquerisme ? Entretien avec Grégory Chambat

Un entretien de notre camarade du collectif Questions de classe(s) à retrouver sur le site Révolution permanente

Grégory Chambat est enseignant en collège et co-animateur de la revue Questions de classe(s). Auteur de plusieurs ouvrages critiques sur l’école, nous avons souhaité l’interviewer à la suite de l’annonce de la nomination du nouveau ministre de l’Éducation Nationale.

Marion Scolaire, enseignante dans le 93

Le nouveau ministre de l’éducation vient d’être annoncé tournant la page de 5 ans de Blanquerisme. Comment comprends-tu ce choix du gouvernement Macron ?

Il se trouve que je lisais un petit texte de Aliocha Wald Lasowski au moment où l’annonce du nouveau gouvernement est tombée. Un passage m’a semblé particulièrement en phase avec la situation actuelle : « le brouhaha assourdissant du verbiage médiatique produit du vide, et rend parfois inaudible l’appel à inventer de nouvelles formes d’action. »

« Le brouhaha assourdissant du verbiage médiatique produit du vide, et rend parfois inaudible l’appel à inventer de nouvelles formes d’action. »

Aliocha Wald Lasowski

Assurément, la nomination de Pap Ndiaye constitue une surprise, mais finalement une surprise logique. Macron avait deux possibilités : nommer un nouveau ministre dans la lignée de Blanquer, tout aussi brutal (le nom de Damien Abad avait circulé) ou bien placer une personnalité moins clivante pour tourner la page Blanquer. La première option était politiquement assez suicidaire puisque la fin de règne de Blanquer a démontré que nous étions arrivé·es au bout d’un cycle. Le choix de ce nouveau ministre est donc habile. Pap Ndiaye est l’un des initiateurs des Black studies en France, il a dénoncé un racisme systémique et les violences policières. Mais, pourra-t-il mettre en cohérence ses déclarations d’hier et ses actes de ministre – par exemple en amnistiant les réprimé·es de l’Éducation nationale et en dégageant le Dasen du 93 responsable de la mutation d’office de nos camarades de l’école Pasteur ?

Si, idéologiquement, il apparaît comme progressiste, socialement c’est déjà moins évident. En témoigne la gestion de la Cité de l’immigration sous la direction du nouveau locataire de la rue de Grenelle. L’entreprise de nettoyage Challancin s’y est distinguée par une politique d’exploitation digne d’un autre âge (précarité, cadences inhumaines, répression, etc.) dénoncée par le syndicat CNT-SO et la CGT. Il se trouve que j’ai visité il y a quelques mois ce musée, et effectivement, en voyant travailler le personnel du nettoyage, on est frappé par le décalage entre le discours antiraciste et décolonial mis en avant et la réalité des conditions de travail. Interpellé sur cette question, Pap Ndiaye a répondu à la CGT « ça ne nous regarde pas »… Sa gestion du musée a ainsi régulièrement fait l’objet de contestations. Un délégué syndical CGT, cible de la répression, a dénoncé le fait que « le palais de la Porte-Dorée sert un peu de laboratoire au sein du ministère de la Culture. On s’éloigne de la mission initiale d’être un lieu d’échanges et de transmission des savoirs, et on dérive vers une sorte de parc d’attraction. » Tout cela ne laisse donc rien présager de bon…

Enfin, l’insistance du nouveau promu sur la méritocratie républicaine dont il aurait été bénéficiaire (« Je suis, a-t-il déclaré lors de la cérémonie de passation de pouvoir au ministère, un pur produit de la méritocratie républicaine dont l’école est le pilier. »), interroge aussi sur le discours qui sera tenu dans les mois à venir.

Un autre élément est, me semble-t-il, à souligner, c’est la réaction outragée de l’extrême droite suite à l’annonce de cette nomination. Cela nous dit combien Blanquer avait su se faire apprécier de l’extrême droite mais également combien cette dernière est très sensible à la bataille culturelle au sein de l’éducation qu’elle pensait avoir emportée. Il va probablement s’attendre aussi à des attaques de ce côté-là.

Changement de ministre et changement de ton mais pas changement de programme, les chantiers qui s’annoncent continuent d’opérer un tournant d’une école publique libéralisée quel regard portes-tu là-dessus ?

Oui, il y a peu d’illusions à avoir. L’enrobage sera différent, mais la logique à l’œuvre ne va pas changer et les réformes seront pilotées par Bercy et l’Élysée. Et, malheureusement pour nous, Macron entend faire de l’éducation une priorité de son nouveau quinquennat ! Son programme est à cet égard limpide : casse du statut des personnels enseignants avec quelques euros de primes en échange de nouvelles missions qui généraliseront la maltraitance institutionnelle et la souffrance au travail, renforcement de la hiérarchie, logique autoritaire et managériale, et surtout, renforcement du tri social avec l’instauration d’une sélection précoce (en 5e) et la disparition du collège unique. Sans mobilisation d’ampleur, il y a fort à parier que, d’ici cinq ans, l’école publique telle qu’on l’a connue aura disparu.

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